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2 mars 2016

La revue Laura, entretien avec Sammy Engramer et Jérôme Diacre

Fichiers liés :

Depuis 2006, la revue Laura s’est inscrite dans le paysage tourangeau, de façon durable. 10 ans est un très bel âge pour une publication d’art et l’esprit «  anar punk fuck off  » qui la traverse ne semble pas avoir pris une ride en 20 numéros.

Le 2ème volet de notre dossier «  revues d’art  » consacré à la revue Laura suit l’article que nous avions publié sur la revue Faros.

Les lignes éditoriales et les problématiques économiques diffèrent, mais la précarité des publications est sensiblement la même. Dans le 3ème volet de ce dossier, nous interrogerons «  les cahiers de l’école de blois  » dont le soutien direct de l’école du paysage et de la nature de Blois présage encore une situation bien différente.

Fiche d’identité

  • Nom de la revue  : Laura
  • Thématique(s)  : Art contemporain, Philosophie, Littérature expérimentale
  • Édition  : Groupe Laura
  • Lieu d’édition  : Tours
  • Directeur de publication  : direction partagée
  • Année de création  : 2006
  • Format  : 25 x 32 cm – 48 pages – noir et blanc
  • Périodicité  : bi-annuelle
  • Nombre d’exemplaires  : + ou – 1800
  • Prix  : gratuit (mais possibilité d’abonnement pour recevoir les numéros à domicile et bénéficier d’avantages)
  • Site web  : http://groupelaura.fr/ (versions PDF des numéros de la revue) + Référencement AAAR

Sammy Engramer, artiste et professeur à l’école nationale d’art et de design de Dijon, et Jérôme Diacre,  professeur de philosophie chargé de mission au château d’Oiron, critique et commissaire d’expositions, font partie des fondateurs de la revue Laura. Ils portent sur leurs épaules une aventure rédactionnelle et artistique qu’ils qualifient volontiers d’OVNI. Personne ne les contredira. Et l’interview que nous avons mené ensemble en témoigne. Décrire le fonctionnement de la revue Laura n’est pas une mince affaire.

LIGNE EDITORIALE

AAAR :  Comment peut-on définir la ligne éditoriale de Laura  ?

Jérôme Diacre : Il n’y en  a pas (rires). En fait, il y a une ligne éditoriale par défaut dans le sens où on ne fait pas de compte-rendu d’exposition. Nous ne publions que des planches originales d’artistes. On a donc des articles monographiques, mais pas de compte-rendu d’un festival ou d’un événement… Enfin si, ça peut arriver, mais très rarement. En gros, nous éditons autant des articles théoriques que monographiques.

Sammy Engramer : On a une option queer féministe dans la revue qui ressurgit régulièrement par exemple. Mais en terme de structure, on a des placards, ou plutôt des pleines pages, pour les artistes. Et ils sont invités à réaliser une intervention originale pour la revue. Dans le chemin de fer, la distribution des textes se fait en fonction des images que nous fournissent les artistes. Mais il est vrai qu’on a pas de relation spécifique à l’actualité. Quoiqu’il y en ait eu un peu dernièrement. En réalité, il s’agissait d’une commande pour la triennale de VendômeLaura, c’est un jeu avec le chemin de fer qui est assez passionnant. C’est une histoire de composition, de combinaison, bref, c’est aussi une expérience artistique. L’idée reste tout de même de faire une revue d’art et non pas une revue sur l’art. On peut faire cette distinction relativement importante. D’un côté, on a la revue d’art qui serait une revue artistique au sens propre du terme, avec l’idée de faire intervenir des artistes. De l’autre, il y a la revue d’actualité. Et même encore la revue de journalisme d’art, comme pour Zéro Deux. Patrice Joly, le rédacteur en chef, le revendique clairement. Et c’est encore quelque chose de différent que de faire de la critique d’art. Nous, on se positionne entre la critique d’art, les textes de réflexions et les interventions d’artistes. Laura, c’est des enchaînements d’expériences qu’on fait avec des contraintes. C’est à dire, un 48 pages, en noir et blanc avec des couvertures en couleur.

JD : Il y a également l’idée de faire la promotion d’artistes de la région Centre, en parallèle d’artistes nationaux et internationaux qui font office de locomotives. Le dernier numéro était, par exemple, entièrement consacré aux ateliers de la Morinerie à Saint-Pierre-des-Corps.

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LECTORAT ET DIFFUSION

AAAR : Comment est distribuée la revue ? Quel public va l’avoir entre les mains ?

SE : C’est la question la plus compliquée du monde.

JD : On peut déjà parler du web, car on a un double lectorat. Papier et web. On tire à 2000 exemplaires…

SE : Oui 2000. Quand on a des sous.

JD : Maintenant, c’est plutôt 1800.

SE : Oui c’est une moyenne.

JD : Concrètement, il y a une série de centres d’art qui accueillent la revue. Et pas uniquement sur Tours. Il y a aussi des espaces de spectacle vivant. Le CCNT est très lié. Le Théâtre Olympia également. On distribue à Paris, Marseille…

SE : La distribution coûte très chère. Donc Jérôme envoie la revue dans quelques lieux, et après c’est manuel. On prend la voiture et on va distribuer à Blois, Orléans ou Paris. C’est très low-tech.

JD : Ce qui nous dit que la revue est lue, ce sont les personnes qui nous sollicitent, et qui ont donc lu la revue. On voit qu’ils viennent de partout. C’est peut-être l’effet du web aussi. On a un nombre de visites assez conséquent.

SE : La diffusion web est extrêmement low-tech également. On a juste un site en html avec des pdf. C’est très pratique et ça nous permet de calculer le nombre de visites assez simplement. Toutefois, comme tout le monde je me méfie d’Internet. Je me suis donc renseigné pour savoir à quoi correspondent ces chiffres. Un ami informaticien m’a dit qu’avec toutes les machines qui visitent les sites et les gens qui se trompent, nous sommes entre 10000 et 15000 visiteurs par an. Pour un semestriel spécialisé produit en province c’est énorme.

JD : Ce qui nous permet de développer notre lectorat, ce sont les conférences que nous faisons, Sammy, moi et Ghislain Lauverjat. À chaque fois, on vient avec un paquet de revues. On communique comme ça. On fait également des expositions avec les artistes publiés dans la revue. Pas seulement à Tours. D’ailleurs, c’était le point de départ du groupe Laura lorsqu’il a été créé en 2001. En 2007, nous nous sommes diversifiés avec la revue. Et nous continuons à faire une ou deux expositions par an.

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ECONOMIE

AAAR : Financièrement, comment vit Laura ?

JD : La publicité paye un tiers du numéro. Rien que la quatrième de couverture, ça paye 450€, autrement dit 15% du numéro. Après, il y a les abonnements qui ramènent 0,00002% …étant donné que la revue est gratuite. Et bien sûr, il y a les subventions. Lorsqu’on fait des conférences, ça va aussi sur le compte de la revue. Avec mes conférences, je ramène à peu près 1000 euros par an. Il y a aussi une source de revenus qu’on pourrait exploiter mais on ne le fait pas. Quand le groupe Laura fait une exposition et qu’il y a une pièce vendue, on ne prend pas de pourcentage. Là, on fait une exposition à Nantes et c’est la galerie qui prend 30% sur les ventes. En même temps, ce sont eux qui s’occupent de la communication, qui font le gardiennage et qui nous accueillent.

SE : On peut peut-être dire d’où viennent les subventions ? Il y a la Mairie de Tours, la Région  et la Drac Centre Val-de-Loire. On a essayé d’en avoir d’autres mais on a jamais réussi, auprès du Conseil départemental d’Indre-et-Loire, CNL (Centre National du Livre) CNAP (Centre national des arts plastiques) par exemple… Et il faut dire que les subventions baissent, surtout à la mairie. On est passé de 6000€ à 2000€. L’argent va ailleurs… Il va probablement au CCCOD.

JD : L’économie est hyper précaire. On travaille avec des bouts de ficelle. Là, par exemple, Bandits-mages nous propose un partenariat. Ils vont nous donner un peu d’argent et on leur confie 15 pages dans la revue.

AAAR : C’est une sorte de sponsoring ?

JD : Oui, on peut dire ça.

SE : Après, on a une belle relation avec des associations comme Bandits-mages, Emmetrop ou Labomedia. C’est un petit réseau régional dont on défend les idées. On a une affinité culturelle. Il y a un état d’esprit qui est un peu différent du côté artistique institutionnel. Le fait qu’on soit un peu dans la marge, c’est ce qui plaît à notre lectorat. Il faut tout de même dire qu’aujourd’hui, le magazine d’art, c’est surtout de la publicité.

JD : Et d’ailleurs, ce sont ceux qui ont payé des publicités qui ont des articles.

SE : Mais ce n’est pas systématique non plus.

JD : Il est vrai qu’il y a une économie qui fonctionne par fidélité. Il y a des gens qui nous suivent depuis plus ou moins longtemps. Par exemple, le CCNT nous achète une page de publicité à chaque numéro depuis 4 ans.

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MODALITÉS DE REDACTION

AAAR : Comment ça se passe au sujet des contributions ?

SE : Les contributeurs sont bénévoles. Je leur dis tout de suite «  contribution bénévole et pénible ». Toutefois, c’est toujours un apport pour les artistes que d’avoir une double page dans une revue… Alors on s’adresse plutôt à des artistes en phase de recherches. Ghislain avait essayé d’avoir un plan avec Jeff Koons. On s’était dit qu’on allait avoir une grosse tête de série. Et puis finalement non. Son agent trouvait que ça ne valait pas le coup.

JD : On avait eu l’inverse avec l’atelier Van Lieshout en Hollande. L’agent était super emballé. Et Van Lieshout se demandait d’où on sortait. Mais si c’est une commande, par contre, il nous arrive qu’on rémunère les contributions. Pour le numéro spécial sur la triennale de Vendôme, il y a eu des rémunérations. Mais on avait une aide spécifique pour ça. Ça peut donc arriver, mais c’est rare.

AAAR : Vous ne lancez pas d’appel à contribution. Est-ce que votre réseau suffit ?

SE : Oui, il suffit. En fait, on ne fait pas vraiment appel à des critiques d’art professionnels, car c’est leur gagne pain et et il nous paraît idiot de les engager sans rémunération. On fait plutôt appel à des personnes qui ont le désir de sortir un article qui serait plus long ou sur une thématique difficile à diffuser, qui éventuellement sont critiques… 7000 signes, c’est déjà un très long article pour un magazine d’art. Alors que nous, on peut aller jusqu’à 25000 signes quand le sujet est intéressant, on s’en fout. On écrit nous-mêmes aussi. Bref, les 48 pages sont toujours très vite remplies.

AAAR : Quels profils retrouve-t-on ?

JD : Ça va être compliqué pour toi. Tu vas vite te rendre compte qu’il n’y a pas de règles pour la revue Laura. C’est au coup par coup. On est à flux tendu. Chaque numéro ne ressemble pas au précédent. Il y a un tel espace de liberté dans cette revue. C’est un objet indéfinissable et étrange.

SE : Effectivement, les pleines pages sont toujours réalisées par des plasticien(ne)s. Mais on est toujours intéressés d’accueillir des textes complètement en dehors. On a proposé à Nicolas Simarik et Olivier Dohin de nous faire des fiches « recettes » à la Marie-Claire. Il est possible que les photos de recettes n’en soient pas. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que les recettes ne soient vraies non plus. Ce sont toujours de petites expériences.

JD : En fait on ne peut parler de la revue que par anecdotes parce que la revue a cette configuration là.

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PERSPECTIVES FUTURES

AAAR : J’imagine que les perspectives de la revue visent à continuer de raconter ces anecdotes. Mais vous avez évoqué un avenir financier compliqué.

SE : C’est compliqué parce qu’on travaille tous à coté. On est bénévole.

JD : Parmi les anecdotes, on travaille avec un imprimeur qui nous permet des délais de paiement assez incroyables, genre 6 mois. Comme on est dans un réseau comme ça, on s’en sortira toujours. Pour la Triennale, on était limite en trésorerie. Les subventions avaient changé de période de versement, à la mairie et ailleurs. Maintenant on reçoit tout en mai. On avait demandé à l’imprimeur un délai car on voulait rémunérer les auteurs avant lui. Et il nous a regardé avec des grands yeux parce que c »était la première fois qu’on lui disait ça.

AAAR : Ça ne vous a pas déjà traversé l’esprit de mieux investir le web ?

SE : Si. Mais cela demande de payer des contributions pour faire un vrai site et l’entretenir. On s’était dit qu’on allait mettre des bandeaux publicitaires, mais vu le nombre de visites… Et puis c’est pas trop dans notre état d’esprit. On a tout de même un esprit « trans-punk-fuck-core » et nos textes revendiquent souvent un anti-capitalisme primaire. Donc, cette revue reste un OVNI. Quand on a travaillé sur le projet AAAR, j’avais défendu l’idée d’un espace « revue ». Avant, on avait un agenda dans Laura. On ne le fait plus, car il est sur AAAR. Quelque part, la revue AAAR est une continuité de la revue Laura.

Sommaire du numéro 20

Couverture : D’après Julie Verin, Dérapporteur, 2013, bois MDF et encre, 40×13 cm

Par ordre d’apparition (images) :

  • D’après Mélanie Letessier, drapé, Impression encre UV sur PVC 300 microns thermoformé, 1m10 x 50 cm, 2014.
  • D’après Lus Dumont, Salmigondis EXP.
  • D’après Jonathan Bablon, Autoportrait, 150x100x100 cm, plâtre et résine, 2015.
  • D’après Lena Nikcevic, Stairway to heaven – part II, huile, marqueur à alcool et relief en creux sur une plaque de verre organique abandonnée, 181 x 248 x 1,5 cm.
  • D’après Fred Morin, Pin Up (détail), Photographie, 170×330 cm, 2013.
  • D’après Slim Cheltout, Schicksal, peinture mécanique 185 X 85 X 50 cm, 2014.
  • D’après Jeremy Bruand, Accident, poussière sur papier déchiré, 50×50 cm, 2014.
  • D’après Remy Chabreyrou, Judith .!., kraft, 100×150 cm, 2015.
  • D’après Jean Roukas, Tales of Kim en Duck : Zeppelin Pirate Club.
  • D’après Vanina Lange, Simone et Marcel, silicone et étui, moulage et tirage,100 cm de long, 40cm de largeur et 30 cm de hauteur, 2012.
  • D’après Maud Vareillaud; Argonne (everythingbut)nohell Hellno(everythingbut)artgone, mousse polyuréthane, rétroviseur, spot, moteur de tourne-broche, batte de base-ball, 2014.
  • D’après Nental, Sans Titre, n.d.
  • D’après Sébastien Hoeltzener, Pomme de terre plâtrée et Pierre Feller, Sculpture For Airports (maquette), stéréolithographie (2012), sur fond de grille modulaire en acier bétonné, 2015.
  • D’après Marion Franzini, Après toi, Technique mixte sur toile, 55 x 46 cm, 2014.
  • D’après Charlotte Duchan, Joceline, techniques mixtes sur table à manger, 2015.
  • D’après T. LEO, Sans Titre, n.d. ~ ! Azara San, L’œuvre en pied, cliché noir et blanc, format revue Laura n°20 échelle 1, 2 septembre 2015.
  • D’après FX Chanioux, Sans Titre, n.d.
  • D’après Vincent Guderzo, Passion XXXVI, plâtre original, 35x230x35 cm, 23 avril 2010.
  • D’après Christophe Lalanne, Rencontre Noires 1, encre sur papier, 100×70 cm, juin 2014 – janvier 2015.
  • D’après Emilie Lagarde, Sans Titre, n.d.

Quatrième de couverture : D’après T.LEO, La Chapelle Saint-Anne, 2015.

Par ordre d’apparition (textes)

  • « Je n’arrive pas à me concentrer dans des chaussures plates » — (Victoria Beckham) Ghislain Lauverjat.
  • « D’après » la Morinerie, Jérome Diacre et Ghislain Lauverjat.
  • Le Silence des couleurs, Thomas Anquetin.
  • L’effet Snowden, Sammy Engramer.
  • Entretien Avec Emmanuel Eggermont, Nadia Chevalieras.
  • Des seuils de dansité, David gé Bartoli