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4 mai 2017

Entretien avec Éric Dégoutte, directeur des Tanneries à Amilly (45)

Entretien avec Éric Dégoutte,
directeur des Tanneries à Amilly (45)
par Antoine Rouzet

Comment est née l’idée d’inviter Wesley Meuris ?

Le travail d’un directeur de centre d’art est, entre autres choses, de déterminer le calendrier des présences artistiques qu’il identifie pour matérialiser le projet artistique qu’il souhaite développer.

Ce qui veut dire que l’invitation faite à Wesley Meuris l’a été parce que son travail est en réelle résonance avec le centre d’art. Il dialogue avec son actualité de lieu émergent, comme son histoire ou plutôt ses histoires : celle liée à son passé industriel, celle du temps des friches et celle en devenir, qui qualifie aujourd’hui son identité et détermine le parti pris artistique qui porte désormais son projet.

Le centre d’art est entré dans une nouvelle histoire, matérialisée par le lancement de sa première saison artistique lors de son ouverture en septembre dernier.

Depuis l’exposition inaugurale intitulée Histoire des Formes jusqu’à ces deux expositions ouvertes ces derniers jours se constitue une première forme de visibilité de ce que seront les présences artistiques du site : les espaces importants et très variés du site invitent à l’accueil de la diversité que recouvrent aujourd’hui les pratiques artistiques contemporaines. Il y a là l’enjeu d’une « démesure habitée ».
Si diversité il y a (sans être limitatif que ce soit entre pratique de la peinture et du graphisme, pratique du display et de l’installation ou de l’image fixe ou en mouvement par exemple…) l’émergence d’un nouveau lieu de découverte de ce qui est, fait le contemporain en art, oblige aussi à considérer que le regard s’y construit autant que l’œuvre.

L’enjeu de visibilité est donc la part commune de tout ce qui se met en place :L’ÉTERNITÉ PAR LES ASTRES nous renvoie ainsi à différents seuils de perception du visible, celui que portent les cieux ou la couverture céleste, mais aussi nos projections – poétiques, utopiques ou non – face à l’inaccessible, au réel immédiat, à la pensée politique.

SCENES OF ENGAGEMENTS, l’exposition de WM interroge, elle, le contexte du lieu dans un rapport à l’In Situ, dans son histoire, dans sa physionomie architecturale (matière, texture, volume espace, lumière, sonorité, etc.) mais aussi dans ces projections et autres programmes d’usages en devenir qui sont ceux liés à une plateforme de création, de production, à un lieu de visibilité d’un art en devenir, au travail, en transformation.

Histoire des formes inaugurait enfin cette part commune en recentrant dans le champ de l’abstraction, sur une figure resserrée (le carré) la force et la dynamique de représentation que chacun des artistes (une trentaine), chacune des œuvres (presque 100) rendaient si visibles et foisonnantes.

Le fait d’inviter un artiste en résidence dans la perspective d’une exposition est-elle une proposition que vous renouvellerez régulièrement ?

La résidence est un outil structurant du projet des Tanneries : que ce soit celle d’artiste comme celle d’auteur. Il s’agit ainsi de favoriser autant le geste que la pensée liée à l’art contemporain. L’un et l’autre sont imbriqués. Ces résidences seront annuelles.

D’autres formes de présences artistiques, telles que des rencontres, des workshop, des interventions sur le territoire de vie du centre d’art, sont aussi en cours de définition, notamment dans le cadre de partenariats forts (institutions de diffusion ou écoles d’art).

Quels sont les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’un programme de résidence d’artistes dans un contexte rural ?

Une politique publique partagée par les acteurs territoriaux, à commencer par la ville d’Amilly. Cette volonté initiale est une clé première.

Ensuite la fédération des artistes et des publics (du grand public au public de l’éducation, au public empêché). Mais il s’agit là déjà moins de préalable que d’enjeux et d’objectifs.

Le contexte rural est une donnée qui doit s’appréhender sous l’angle de la mobilité nécessaire à son parcours plus que de sa nature même (économique, sociologique, etc.). Travailler la mobilité c’est d’abord créer la motivation : par l’événement, la singularité et la curiosité qui s’y déploie. Etre dans la proximité du geste de l’artiste est notamment ce que permet la situation de résidence : elle est pensée aux Tanneries comme un « temps de visibilité » au même titre qu’une exposition. C’est être dans son voisinage et c’est gommer l’éloignement.

Dans quelle mesure une résidence artistique accompagne-t-elle la création émergente ? L’architecture utilitaire des Tanneries vous pousse-t-elle à expérimenter de nouveaux rapports au patrimoine industriel ?

Donner une réalité performative aux êtres et aux choses qui la constitue est la base de toute résidence : par elle doit se créer les conditions d’une transformation liée à un « état de travail ». Quelque chose se produit. Cette production est à Amilly directement en tension avec l’architecture utilitaire.

La physionomie du lieu – celle du plateau, de la plateforme – ajoute à cela l’expérience de ses espaces, voire de leur démesure. Les logiques de travail ne sont plus celles de l’intime de l’atelier. L’enjeu d’émergence se manifeste alors là pour tous, jeune artiste autant qu’artiste établi.
Et c’est donner à voir la création émergente dans cette dualité que je recherche pour parler du contemporain : à la fois l’actuel, l’inédit et la continuité, la permanence.

Car être artiste c’est aussi travailler la permanence.

Comment le public est-il associé à ce processus ?

Ce travail en résidence s’opère « in vivo ». Et cela est valable pour l’artiste comme pour son regardeur. L’enjeu d’une expérience artistique propre à chacun mais dans une même forme de vie partagée.

Nous invitons pour cela les visiteurs à avancer leur perception, leur visibilité de ce qui fait œuvre, de ce qui fait art en amont de la cimaise, de la salle d’exposition. Notamment à travers une rencontre avec l’artiste au moment de son arrivée, avec la présentation de son projet, de ses intentions, puis des visites de l’atelier sur la période de production. Ces découvertes se font au fil du travail, dans le temps d’un chemin parcouru autant par l’artiste que par le regardeur. Il y a là une expérience partagée.

Il s’agit bien de faire participer les publics de cette appréhension recherchée du contemporain par laquelle se manifeste la création : dans la durée de sa mise en œuvre et non pas seulement dans la considération objectale du geste accompli. Et pour cela, il faut venir aux tanneries : l’équipe et moi auront plaisir à vous y accueillir.