Nous relayons ici une contribution d’Olivier Morvan déposé le 27 octobre 2016 sur la Plateforme de démocratie participative de la Région Centre-Val de Loire
Bonjour.
Artiste-plasticien résidant en région Centre, j’aborde ici trois questions qui me semblent prioritaires de ce point de vue :
La première concerne la pénurie d’espaces de travail.
Lieu essentiel à la production quotidienne d’un artiste, l’atelier permet de créer, de stocker, de présenter le travail en cours. À titre d’exemple il m’est arrivé de devoir détruire des pièces de grande taille (parfois produites, soit dit en passant, grâce à des financements publics) à la suite d’expositions par manque d’espace de stockage. Cette situation est fréquente.
Au delà de sa dimension fonctionnelle, l’atelier, particulièrement lorsqu’il est partagé, constitue un lieu de dialogue, d’émulation, d’effervescence bénéfique au développement du tissu local et au delà, par le biais des possibilités d’échanges et de collaborations qu’il offre, national et international.
Comme tout habitant des villes, j’observe régulièrement dans celle où je réside (Orléans) l’abandon, la destruction, la réhabilitation d’anciens bâtiments publics au bénéfice quasi-systématique de projets immobiliers. Je conçois que le logement constitue, socialement comme économiquement, une priorité mais l’un n’exclue pas l’autre. Ces bâtiments sont certes aussi souvent propriétés de la ville ou de l’état plus que de la région mais je pense qu’une volonté commune à cette égard suffirait à moindre frais (puisque, contrairement à un logement, un atelier ne nécessite généralement sur une base existante que de légers aménagements) à doter nos centres-villes de ce type d’équipement qui sont aussi potentiellement autant de lieux d’échange avec les populations.
La seconde concerne la rémunération des expositions.
Le Canada, ou il m’est arrivé d’exposer à deux reprises, dispose (depuis 1968 !) d’une charte contraignante pour tous lieu bénéficiant de financements publics (communément non destinés à la vente d’oeuvres) qui garantit, outre la production et le défraiement, une rémunération minimum des artistes. Celle-ci s’élève à environs 2000 $CA pour un mois d’exposition. Tout juste un smic.
En France, malgré notamment un courrier aux régions à ce propos co-signé par le ministère de la culture et le ministère des affaires sociales daté du 07 aout 2015, le “droit de présentation publique”, droit d’auteur pourtant expressément prévu par l’article L.122-2 du Code de la propriété intellectuelle, est encore très souvent bafoué. Il arrive ainsi que des équipes salariées de lieux financés par des fonds publics avec pour mission d’assurer la diffusion des arts plastiques ne prévoient pas la rémunération des artistes exposés.
Est-il besoin de rappeler au passage qu’outre le temps de montage, une exposition suppose généralement plusieurs semaines, plusieurs mois, parfois plusieurs années de travail en amont ? Quelle autre catégorie professionnelle accepterait de telles conditions ?
Fondé en 2014 par 4 artistes et comptant à ce jour près de 10.000 sympathisants, le collectif « économie solidaire de l’art » vient de proposer une charte. La Fraap (Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens), qui compte plusieurs centaines d’associations adhérentes sur l’ensemble du territoire, travaille également en ce sens. Les pratiques évoluent et les premiers à prendre en compte ce problème ne sont pas forcément les lieux les mieux lotis du point de vue financier. Seul un cercle vertueux des divers acteurs du secteur peut mener à changer cette situation. Il serait regrettable en terme d’image comme d’action que les institutions concernées raccrochent les wagons sur le tard plutôt que de contribuer à le bâtir.
La troisième, non sans lien avec la précédente, concerne la diffusion et particulièrement le dialogue (où plutôt en l’état son absence) avec les institutions régionales.
Lors des réunions « réseaux professionnels » préliminaires à ces états généraux de la culture, les dites institutions se sont trouvées par vous même baptisées « vaisseaux amiraux ». Cette terminologie militaire laisse songeur. La politique de subventions envisagée semble vouloir privilégier ces « vaisseaux amiraux » au détriment du « saupoudrage » de plus petites structures. Il s’agirait donc d’une guerre à l’arme lourde. Au demeurant les (courageux) acteurs de ces petites structures vous diront que c’est dors et déjà le cas. Les chiffres à cet égard se passent de commentaires. De la « culture » envisagée comme pilonnage massif plutôt que déplacements furtifs, donc.
Dans un récent et quelque peu grinçant courrier concernant cette situation, l’artiste Sammy Engramer endosse (non sans ironie) le statut d’ « artiste régional », qu’il pourrait réfuter. Non pas qu’il y ai là quoi que ce soit de péjoratif, mais un coup d’oeil à son cv nous permet de constater que cela ne correspond pas aux faits puisque, comme la plupart d’entre nous, il expose ou commissionne des expositions un peu partout en France et à l’étranger. Il n’est pas plus régional que Daniel Buren ou Xavier Veilhan (dont je suppute qu’ils viennent aussi de quelque-part), juste moins connu.
Les institutions en question fonctionnant grâce à des fonds publics, on peut se féliciter qu’elles aient pour souci de minimiser les risques en investissant dans des valeurs sûres. Cependant si l’on s’accorde à considérer que la promotion, le développement, le soutien à la création contemporaine (trois termes concernant par définition des valeurs moins confirmées) entrent dans leurs missions, force est de constater qu’elles s’en sont amputées. Il n’y a quasiment pas de dialogue entre elles et les artistes actifs dans les territoires ou elles sont implantées. Elles ne les connaissent tout simplement pas
J’y suppose trois raisons essentielles : une telle démarche de prospection est chronophage, peu valorisante (tout du moins à court terme) et surtout présente un risque. Le risque de se tromper. D’être mis en question. Remettre en question. C’est à mon sens une fonction essentielle de l’art. Pas de création sans risque. En spécialisant le Frac-Centre et en faisant l’acquisition de maquettes qui n’intéressaient alors personne, Frederic Migayrou prit un risque. Avant d’acquérir la reconnaissance institutionnelle dont ils jouissent aujourd’hui, les activistes d’Emmetrop ont multiplié les risques. On compte à leur actif d’avoir contribué à lancer la carrière de Claude Lévêque, entre autres.
Tandis que nos instances dirigeantes s’alarment des fractures qui traversent nos sociétés et conduisent notamment à une défiance de plus en plus manifeste à leur égard, ce fonctionnement fondé sur une distribution descendante d’une « culture » tendant vers l’évènementiel, des investissements sans risque et des castes qui ne dialoguent pas me semble témoigner et participer de ce climat délétère.
La question reste ouverte de savoir si institution et risque sont compatibles. Si oui l’impulsion ne peut en l’état émaner que des institutions. Si non d’autres modèles existent, tels les centres d’art autogérés (qui, à mi-chemin entre l’association et l’institution et dotés de règles démocratiques strictes et transparentes, ont brillamment fait leurs preuves au Canada) ou encore ces lieux que l’on regroupe sous le terme plus informel d’ « artist-run spaces » et qui ont connu ces dernières années un essor fulgurant. Il s’agirait alors de voir en quelle mesure la région est disposée à soutenir ce type d’initiative ouverte et innovante.
Bien à vous.
Olivier Morvan, octobre 2016.