Comme chaque année, les Rencontres Bandits-Mages s’élaborent à travers des points de vue esthétiques et politiques proposés par des artistes.
Ceux-ci développent cette année des concepts et des projets tels que TransPlant: Green is the new red, fusion entre la chlorophylle et le sang, et Espècement, expérience de régénération et de l’hybride.
Ils puisent leurs inspirations jubilatoires et leurs fabrications d’identités dans un terreau constitué de sorcellerie, d’écoféminisme, d’écosexualité, de technologies déviantes, de mutations, de mythologies non-patriarcales, et de faits historiques méconnus.
Le jaillissement de nouvelles expériences narratives permet d’arpenter des champs d’investigation inexplorés, de musarder dans un multivers mouvant au temps incertain et selon une perspective queer (étrange et multiple).
Chthulu, monstre tentaculaire et déité souterraine que nous empruntons à Donna Haraway1, est doué de la capacité de relier les espèces, les minorités et marginalités de nos mondes usuels.
Ni calibrée, ni classifiée selon des autorités souveraines, la voix de cette figure chthonienne admet la complexité et abhorre la simplification par et pour le confort.
À son écoute, nous entrons dans plusieurs cultures, nous délaissons la posture d’instance dominatrice pour devenir partenaire de toutes choses, merveilleuses et stupéfiantes, attirantes et terrifiantes, rassurantes et dangereuses.
Il s’agit donc de prendre une position qui ne va pas de soi et qui demande d’abord de regrouper des volontés dans une échelle qui est la nôtre, avec une économie qui nécessite ingéniosité et pragmatisme.
Il s’agit de faire l’exercice d’autres possibles et de fabriquer des espaces dédiés. C’est pourquoi les Rencontres affichent d’abord la volonté d’investir et d’habiter plusieurs lieux de la ville de Bourges, et de réunir des praticiens proposant des workshops pour des étudiants, des créateurs, ou toute personne habitée par le désir d’explorer.
De ces laboratoires (et de ces forges) émanent des séances ouvertes : conférences, projections et rencontres ; autant de façons de nourrir une recherche, d’échanger des énergies et des savoirs.
Concrètement, nous assisterons au programme TransPlantation où Quimera Rosa invite le duo de performeurs Proyecto Inmiscuir (Dani D´Emilia et Daniel B. Chavez), à une carte blanche It’s Time met à l’honneur Donna Haraway avec notamment un workshop de lecture performative du Manifeste Chthulucène mené par Helen Torres en collaboration avec Nadège Piton, à un voyage dans des mondes multiples (Espècement de Hall Noir qui invite cette année le collectif Les Yeux de l’Ouïe), à des renversements de rôles (Encryption de John Sanborn, occasion d’une rétrospective de l’artiste pionnier imaginée par Stephen Sarrazin), à des explorations sonores entre tradition et contemporanéité (Différence(s) et répétition(s) d’Alexis Degrenier), à des séances dédiées aux productions d’apprentis vidéastes issues de la Zone d’Activités Artistiques et Pédagogiques (ZAAP), à des lectures et des conférences de sorcières contemporaines et à des propositions filmiques aussi étranges dans leurs formes que dans les récits proposés, dont celles de notre futur artiste en résidence européenne, Graeme Cole.
1 – D.H. crée ici un mot-valise convoquant à la fois la divinité issue des nouvelles de H.W. Lovecraft et la racine grecque khthon, la terre ; d’où cette graphie différente de celle de l’auteur de Providence.
À PROPOS DES WORKSHOPS ET DE LA PROGRAMMATION
Les Rencontres se présentent avant tout comme un temps de création collective : une grande réunion d’explorateurs et de chercheurs, que nous nommons conventionnellement artistes, étudiants, enseignants, public novice ou initié.
Une terminologie qu’il convient de modifier pour reconsidérer les modes de transmission classiques, ceux qui produisent des schémas de domination et d’exploitation, vers une forme qui tiendrait autant des universités expérimentales que des anciens cultes à mystère.
Pendant ces quinze jours, Bandits-Mages met à l’épreuve du réel le prototype d’une structure imaginée où outils de production et de diffusion sont au service de projets de recherche dans lesquels exploracteurs et chercheurs-cueilleurs cohabitent et partagent la même éthique hacker et le même soin à transmettre.
La programmation émane de cet “être ensemble”, de cet écosystème où se déploient les conditions nécessaires à l’émergence d’un monde partageable et où chaque plante a ses ramifications.
D’une racine et sa tige qu’est l’espace-temps dédié aux workshops, nous proposons plusieurs branches (les programmes TransPlantation et Espècement) et greffons (les invitations exceptionnelles de John Sanborn, d’Alexis Degrenier, La Tène ou encore de notre futur résident européen Graeme Cole).
Ce sont plusieurs programmes qui impliquent les artistes invités dans un autre type de transmission : celui qui s’opère dans une salle de cinéma, devant un auditoire, devant des esprits curieux et à l’écoute.
Devant ceux aussi, nous l’espérons, qui ne tarderont pas à réagir. C’est l’espace théorique et cinématographique (et donc réflexif) qui est ouvert.
COMITÉ CHTHULU DE PROGRAMMATION
C’est avec nos tentacules, trempés dans du compost que nous proposons une narration hétérochronique dans le Berry, terre de sorcellerie et de la plus grande variété de chiroptères en France.
En 2013, nous avions trempé nos mains dans la boue en construisant un plateau Vidéa Performing Art. Une grande expérience collective qui a donné naissance un an plus tard à Hall Noir, conçu par David Legrand.
La même année, à l’invitation de l’association Emmetrop, Annie Sprinkle et Beth Stephens sont venues pour un grand It’s Time for Ecosex.
Et ainsi de suite, des liens se tissent et des influences nous marquent.
Aujourd’hui, nous sommes :
Isabelle Carlier, pratiquante d’aïkido, monteuse, directrice de Bandits-Mages, membre de E.A.R.T.H. Lab comme contributrice et de Mémoire de Mondes-Mémoire d’Avenir.
Mathieu Simon, tireur à l’arc, artiste, directeur technique de Bandits-Mages et hacker anonyme.
David Legrand, champion d’escrime, artiste collectif et coordinateur de Hall Noir, une Hack School dédiée à la création collective, sans enseignants fixes, dont les invités se mêlent aux étudiants dans l’esprit des grands ateliers d’art vivant autogérés.
Quimera Rosa, un laboratoire de recherche et d’expérimentation sur identités, corps et technologie, créé à Barcelone en 2008 et qui est devenu nomade depuis mai 2014. QR s’inspire de la notion de cyborg définie par Donna Haraway comme « chimères, hybrides théorisés et faits de machine et d’organismes ».
Marine Armbruster, chanteuse et chargée de projet pour la Zone d’Activité Artistique et Pédagogique de Bandits-Mages.
Et aussi :
Les Yeux de l’Ouïe Est : Après leur participation à l’élaboration et l’habitation du plateau multi-mondes Vidéa Performing Art, background de Hall Noir, trois membres de LYO Est (collectif monté à l’initiative d’Hélène Guillaume – artiste et enseignante à l’école d’art de Metz-Épinal) déploient leurs tentacules pour participer à la création de l’Espècement. Anthony Marquelet – artiste plasticien pratiquant du détournement décomplexé, partisan du too-much et performeur-créateur d’avatars, Hadrien Deveaux – bidouilleur sonore et vidéo multi-technologique issu de la scène musicale alternative, et Violaine Higelin – artiste trash-glam créatrice de « spectacle » vidéo et performatif DIY – allient leur goût pour le décalage et s’hybrident pour se déformer encore un peu plus dans une expérimentation extra-artistique.
It’s Time (Erik Noulette et Nadège Piton), programmation de l’association Emmetrop qui répond à l’urgence de donner voix, visibilité et outils de création à un ensemble d’attitudes artistiques et activistes issues des subcultures post-identitaires et micro-politiques.
Alexis Degrenier, à défaut d’une carrière dans la boxe, compositeur et musicien (percussions et vielle à roue). Co-dirige le label Drone Sweet Drone et est membre de diverses formations (La Tène, Outrenoir, Tanz Mein Herz, Minisym, solo…)
Jean-Michel Ponty, artiste, musicien et éditeur, fondateur de Radio Radio et coordinateur du post-diplôme son de l’Ensa de Bourges.
Stephen Sarrazin, professeur/critique/curateur cinema & media art, auteur d’essais et monographies, co-rédacteur en chef de la revue Mondes du Cinéma.