Entretien avec Léa Bismuth, commissaire de l’exposition L’éternité par les astres par Antoine Rouzet
Pouvez-vous nous faire part de votre rapport au commissariat d’exposition ?
Le commissariat d’exposition est avant tout pour moi un geste de recherche, me permettant de faire le lien entre l’art de mon temps — les artistes et mouvements qui s’affirment, dans leurs singularités, mais aussi dans des lignes qui se tracent — et mes recherches en philosophie et en littérature. Celles-ci s’orientent, en philosophie notamment, vers la pensée de Georges Bataille (je mentionne ainsi La Traversée des Inquiétudes, une trilogie librement adaptée de la pensée de Georges Bataille, Labanque, Béthune, 2016-2019) ou de Walter Benjamin par exemple, mais je m’intéresse de plus en plus à la pensée politique de la fin du XIXème siècle, à l’instar de celle de Blanqui.
Ce qui compte, c’est avant tout la rencontre avec l’œuvre, les œuvres, dans l’ici et maintenant qui nous pousse et nous habite. Puis, de penser l’exposition comme un monde à traverser, à expérimenter, à vivre pour le visiteur. Ce monde-là, organique et vivant, est aussi un espace à penser, une autre manière d’écrire.
Je pense qu’une exposition authentiquement collective est possible. Cela passe par l’implication de tous les artistes qui y participent et qui se fédèrent autour d’une pensée, celle que je propose d’impulser à partir des auteurs que nous relisons ensemble. L’exposition, ainsi, devient terrain de jeu et de réflexion.
Comment intervenez-vous dans le processus de montage ?
Le montage est un moment essentiel. C’est l’instant de l’émergence, celui où la vision — toujours rêvée au préalable — devient réalité. Généralement, c’est assez mystérieux et miraculeux, mais l’exposition correspond à la vision que j’en ai eu, même lorsque les œuvres sont encore en production. Les œuvres s’agencent et se mettent à dialoguer. Le montage (au sens cinématographique) s’active. Dans le cas de L’Eternité par les astres, c’était une vraie expérience pour moi, dans la mesure où l’essentiel des œuvres étaient des vidéos, donc l’exposition était en ce sens dématérialisée, et n’a pris sa véritable forme qu’au dernier moment.
La grande verrière échappe à priori aux espaces très normés de certains centres d’art, qu’est-ce qui la rend si différente, si intéressante pour la création in situ ?
Tout à fait. C’est immédiatement ce que j’ai pensé. Cette verrière se devait d’accueillir des œuvres in situ, surtout dans la mesure où elle construisait cet espace du jour dont je parle (en regard de l’espace de la nuit de la grande galerie). C’est pourquoi Charlotte Charbonnel a pu installer son installation sonore Astérisme qui vibre littéralement du son des étoiles sous ce toit de verre connecté au ciel et à la nature. De même, pour Edouard Wolton et son installation au sol, en un chemin de miroirs reflétant le ciel et les nuages et redessinant des constellations. Je tiens d’ailleurs à remercier Les Tanneries qui ont permis aux artistes de réaliser des productions spécifiques pour leurs espaces, en un dialogue fécond avec le site.
Dans l’idée que la recherche en art progresse naturellement grâce au dialogue et à l’expérimentation, une exposition collective peut-elle se rapprocher d’une sphère d’action politique ?
C’est évident. Je l’ai grandement précisé dans l’entretien que j’ai pu réaliser avec Eric Degoutte (publié par le Centre d’art dans une « affiche-programme » diffusée en différents lieux culturels de la Région Centre-Val-de-Loire, de la Seine et Marne, de l’Île de France…). C’est politiquement qu’il faut faire des expositions. Le cas de L’Eternité par les astres est à cet égard très significatif, puisque nous avons proposé une lecture de la pensée de Blanqui, ce penseur de la Commune de Paris, et cela la veille des élections présidentielles. J’y ai vu une sorte de signe.
De plus, l’aspect politique est nécessairement présent, au-delà même des circonstances, si l’on considère l’exposition comme une adresse, un appel, à un public que l’on ne connait pas encore. C’est un espace de rencontre vivant. En tant qu’ouverture du récit, l’exposition est aussi le lieu de ce qui doit se dire, se crier ou se murmurer. Parfois, c’est une bouteille à la mer. Mais, ce qui compte, c’est bien que l’exposition soit une prise de parole au présent.
Dans la mesure où des pièces sont réalisées dans un contexte précis avec un contenu très spécifique, y voyez-vous un risque potentiel pour leur autonomie ?
Absolument pas. Les œuvres sont beaucoup plus fortes qu’on pourrait le croire. Elles nous échappent toujours, et même aux artistes. Elles font leur vie et peu importe leur contexte de naissance ou de diffusion. Le sens d’une œuvre est infini et en perpétuelle reconfiguration.