Jean de Cambrai, sculpteur du Duc Jean de Berry, par Alain Erlande-Brandenburg
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1979_num_123_1_13556
La personnalité de Jean de Cambrai n’a pas été suffisamment mise en lumière jusqu’à présent. Il était écrasé par le génie d’un Beauneveu que l’on a souvent considéré comme son maître. A l’analyse des documents la réalité paraît bien différente. Ces deux sculpteurs sont mentionnés à Bourges, dans la capitale du duc de Berry, à la même époque, en 1386. L’un auréolé de gloire venait y terminer une carrière brillante, l’autre commençait la sienne. Jean de Camb rai réussit à s’imposer très vite dans l’amitié du duc qui rapidement dut le considérer pour l’un des plus grands artistes de son temps pour lui confier, après la mort de Beauneveu (avant 1401),
les chantiers de la Sainte-Chapelle et de Mehun-sur-Yèvre. Les textes se montrent néanmoins particulièrement avares de renseignementesn ce qui concerne sa production. La seule oeuvre attestée est le gisant du duc qu’il laissa inachevé à sa mort (1438). Il faut lui ajouter cinq des pleurants et un fragment de dais taillé comme le gisant dans le marbre. Des comparaisons fondées sur le style permettent d’ajouter les figures agenouillées du duc et de sa seconde femme, Jeanne de Boulogne, aujourd’hui dans la chapelle axiale de la cathédrale et autrefois dans la Sainte-Chapelle. Il dirigea l’équipe de sculpteurs réunis pour exécuter les statues d’apôtres destinées à cet édifice, ainsi que ceux qui taillèrent les prophètes. Quant à Mehun-sur-Yèvre, dont une tête d’apôtre acquise par le Louvre a échappé à la destruction, il en est également l’ordonnateur.
A cette liste de sculptures autrefois à Bourges, il faut ajouter la Vierge et l’Enfant conservée à l’église de Marcoussis (Essonne). Elle était un cadeau du duc Jean à Jean de Montagu, lors de la dédicace en 1408 de l’église du couvent des Célestins qu’il venait de faire construire. Le style de cette oeuvre est si proche de celles de Jean de Cambrai qu’elle peut lui être reconnue. Il s’agit même de son chef d’oeuvre. Exceptionnelle par ses dimensions avec ses 2,10 m, elle l’est également par la qualité de son marbre, par l’originalité de son iconographie et la beauté de son traitement. Elle témoigne avec éloquence du génie pleinement maîtrisé de l’artiste. Elle permet aussi de mieux juger de son style étranger à la grande révolution que Sluter venait d’accomplir sur le chantier de la chartreuse de Champmol, aux portes de Dijon.
Sculpteur de la fin du XIVe siècle sur lequel la lumière n’est pas encore entièrement faite. On sait qu’il naquit dans une petite ville de Picardie, à Roupy, près de Saint-Quentin, et qu’il porta d’abord le nom de Jean de Roupy avant d’adopter, vers 1375-1376, celui de Jean de Cambrai, lorsqu’il alla travailler dans cette ville à la sculpture du campanile de la cathédrale. En 1387, il est dit imagier du duc Jean de Berry et, en 1401-1402, on le trouve mentionné comme valet de chambre de ce même duc. Il y épouse Marguerite Chambellan, apparentée à la meilleure bourgeoisie de la ville. Leur fils Jean devint pannetier de Charles VII puis conseiller et maître de comptes de Charles, duc de Berry ; un autre fils devint archevêque de Bourges. Quant à Jean de Cambrai, il devait être enterré aux Cordeliers. Si la vie de cet artiste nous est donc relativement bien connue, on ignore en revanche presque tout de sa production. La seule œuvre que l’on puisse lui attribuer avec certitude est le gisant du duc de Berry, placé autrefois dans la Sainte-Chapelle de Bourges et conservé actuellement dans la crypte de la cathédrale. Jean de Cambrai l’exécuta d’ailleurs après la mort du duc en 1416, sur l’ordre du roi Charles VII, mais laissa l’œuvre inachevée à sa mort. Elle fut terminée par Étienne Bobillet et Paul Mosselman. Le sculpteur a rendu dans le traitement du visage la dureté des traits du duc en soulignant le ferme arrondi du visage et en creusant les yeux. En revanche, les plis du manteau sont traités avec une ampleur monumentale qui révèle le ciseau d’un grand maître. On lui attribue également certains des pleurantsTombeau du duc de Berry, J. de Cambrai qui se distinguent de la série d’Étienne Bobillet et de Paul Mosselman par l’ampleur du traitement de la draperie, qui rappelle l’art de Sluter.