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Pacôme Thiellement
LUMIÈRE SUR LUMIÈRE, Trey Spruance, Secret Chiefs 3
Avec son aimablement autorisation, l’un des textes inédits publié dans un magnifique recueil chez Sonatine POP YOGA de Pacôme Thiellement romancier, journaliste et réalisateur. On lui doit en particulier des essais mêlant culture pop et philosophie (Cabala – Led Zeppelin occulte, Hoëbeke, 2009 ; La Main gauche de David Lynch, PUF, 2010 ; Tous les chevaliers sauvages – un tombeau de l’humour et de la guerre, Philippe Rey, 2012
http://www.sonatine-editions.fr/livres/Pop-Yoga.asp
Vous êtes seul dans votre salon, une fin de journée d’été, les stores inclinés striant le sol. Confortablement lové dans le défoncé du sofa, vous vous projetez un film dans votre tête. Vos yeux mi-clos, la musique des Secret Chiefs 3 bat mesure et dicte l’action. « The End Times « , « Combat For The Angel « , « Orbital Room In The Hall Of Resurrection « , tous les genres y passent. Science-fiction arabe, péplum gothique, slasher, bollywoodien, slapstick cyberpunk – entrecoupés de lents plans séquences tarkovskiens extatiques qui se mêlent à d’étranges et déstabilisants passages visionnaires herzoguiens ou des crises d’épilepsie zulawskiesque. Beau comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection métaphysique, de l’épée Zulfiqar et de la machine à coudre du comte de Lautréamont. Vous voyez traversées d’océans à la vitesse de la lumière, des images beiges de peuples mutants en exil, des catastrophes écologiques déclenchées par des sectes néothéosophistes, des apparitions fugitives du XIIe Imam, une enquête infinie sur des actrices assassinées, un romancier de science-fiction bicaméral conduit par la voix du prophète Élie et 30 oiseaux traversant les vallées de la recherche, de l’amour, de la connaissance, du renoncement, de l’unité, de l’angoisse et de l’anéantissement, en quête de leur Seigneur secret, caché au-delà de la montagne de Qâf. Quand le disque arrive à sa conclusion, quelques instants avant le générique de fin, vous visualisez un cow-boy théophanique sur cheval, au milieu de la vallée de la Mort. Il ne rejoint pas le soleil couchant : il s’en éloigne et part vers l’Orient. Cette fin de film marque le début d’une nouvelle époque. Trey Spruance apporte le Xvarnah, « projection dans l’âme d’un élément victorial devant lequel s’inclinent les têtes » (Sohrawardi).
Trey Spruance, c’est le fondateur de Secret Chiefs 3, une des formations musicales les plus profondes, les plus sincères et les plus justes de notre époque ; une de celles qui mettent du baume au cœur de tous les spirituels exilés, de toutes les âmes esseulées. Secret Chiefs 3, c’est « de l’âme pour l’âme » et c’est la musique de notre temps – comme on dit « l’imam de notre temps »· À la diff érence de tous ces groupes de rock, certes bons, mais éternellement nostalgiques, rejouant éternellement les années 1950 , 1960, 1970 et 1980 dans une pop éternellement en retard face au Beatles ou aux Beach Boys, le dissolvant universel de Spruance, qui est à la world music ce que la synthèse guénonienne est au syncrétisme new age , n’aurait pu exister à aucune autre époque. Spruance est une sorte de Vieux de la Montagne de la fin de l’ère hollywoodienne, de la fin de l’ère de la domination américaine, voire de la fin de l’Occident tout court … On le voit très bien, Hassan-i Spruance, en robe de bure pleine de graffitis kabbalistiques, des bottes cloutées de motard aux pieds, gravant ses compositions complexes et baroques au milieu d’une bibliothèque remplie de grimoires arabes du XIVe siècle. Seul et patient comme Eloise Hawking dans la station DHARMA « The Lamp Post » calculant les interférences de l’île avec notre monde … Réfléchissant sur chaque note … Dosant méticuleusement les éléments traditionnels . .. Les gimmicks exotica … Les riffs de surf music … Les extases death metal… Enfin et surtout toutes ces musiques de film sans film qui en font l’incomparable saveur.
Secret Chiefs 3 est né au milieu de Mr. Bungle, en 1995, sur le pressage vinyle de Disco Volante… Sur le moment, composé de Trevor Dunn, Danny Heifetz et Trey Spruance, le groupe pouvait apparaître simplement comme un canular: Mr. Bungle sans Patton, jouant aux chefs secrets de la Golden Dawn… Mais, moins d’un an plus tard, un premier album sortait, First Grand Constitution And Bylaws, et là on comprenait qu’on ne plaisantait pas et qu’on n’avait encore rien entendu. Avec une ouverture à l’orgue titrée à partir de la phrase de Mansur al-Hallaj « Ana al-Haqq » (« Je suis la Vérité « ), « Assassin’s Blade » comme tango talismanique, et son unique chanson au centre, « Killing Of Kings » (sur laquelle une voix cobainienne chantait : » Le punk rock est la planque parfaite / Ton air défoncé n’est plus une excuse / Ou ton air malin, quand tu dis des conneries après avoir baisé des putes / Le rock’n’roll est une chose qui doit mourir « ), cet album sonnait comme une authentique déclaration de guerre. Ce sentiment de jihad artistique et spirituel était redoublé par l’image au dos du CD où, au-dessus d’un porte-clés kitsch de Pharaon, trônait l’énigmatique « The Enemy Of My Enemy Is My Friend » (« L’ennemi de mon ennemi est mon ami « ). Une guerre contre quoi ? Contre le monde de l’industrie musicale, loupe grossissante de notre époque toujours plus réactionnaire, grossière et dépressive. Contre le rock, son immaturité, son indolence, son incapacité à vivre, son incapacité à faire monde. Mais aussi contre l’Occident, sa corruption et sa détestation de toute forme de spiritualité traditionnelle. Zappa et les Sun City Girls mis à part, personne n’avait sonné aussi arabe dans la musique américaine depuis Dick Dale, l’inventeur – libanais! – de la surf music … Le monde arabe dans la musique rock, de Dick Dale à Trey Spruance : vaste sujet. Et encore ce n’était qu’un début : l’arrivée de Eyvind Kang et son violon divin sur Second Grand Constitution And Bylaws (1998) comme l’apprentissage du saz par Spruance vont accentuer encore cette » réorientation » de la musique populaire… La reprise intensifiée du » Renunciation » d’Ananda Shankar comme celle de » Mera Pyar Shalimar » de Rahul Dev Burman ouvrent le champ musical des SC3 à une Inde épique et onirique, et encouragent Spruance à écrire ses propres thèmes glorieux : « Jabalqa », « Jabarsa » (les villes d’émeraude chez Sohrawardi), « Hurqalya » et enfin « Beyond The Montain Qaf « , quatre thèmes inspirés des cités spirituelles, intermédiaires entre le monde matériel et le » monde des formes en suspens « , présents dans les textes des mystiques chiites duodécimains – de Avicenne à Mollâ Sadrâ – dont le plus grand lecteur et exégète en Occident fut évidemment Henry Corbin.
Une fois intégrée au processus de création, la lecture de Corbin change totalement la donne. La notion de ta’wîl, l’exégèse comme réappropriation par le cœur, devient centrale dans l’élaboration des morceaux des Secret Chiefs 3. Toute reprise est elle-même un ta’wîl, à la fois lecture et interprétation, présentation et représentation. » À toi incombe la tâche de lire le Coran comme s’il n’avait été révélé que pour ton propre cas « , écrit Sohrawardi dans Le Livre du verbe du soufisme. À Secret Chiefs 3 incombe la tâche de rejouer les morceaux de Brian Wilson, de Bernard Hermann ou de Camille Saint-Saëns comme s’ils n’avaient été révélés que pour eux. Ce sera évidemment le cas des deux reprises des Beach Boys, » Good Vibrations » et « Heroes And Villains « , proposant une forme kaléidoscopique à partir de fragments des différentes versions de ces chansons par le groupe californien (« Heroes And Villains » se focalisant surtout sur le riff de piano tordu et répétitif aussi connu sous le nom « Bicycle Rider Theme « ). Ce sera également le cas de l’extraordinairement intense reprise du générique de Halloween de John Carpenter (rebaptisé : « Personae : Halloween « ). Ce sera enfin le cas de leur incontestable sommet : le single de 2012 reprenant « La Chanson de Jacky » de Jacques Brel. La reprise des Secret Chiefs 3 fait miraculeusement basculer la version de Scott Walker (+ des éléments de western, des râles comme des coups de cravache) dans l’original de Brel, ou plutôt fait remonter Brel depuis la version de Walker, au milieu d’une phrase: « celle du temps où j’m’appelais Jacky … », alors qu’apparaissent un accordéon ivre et un piano bastringue totalement destroy… Il y a bien sûr un élément autobiographique dans cette reprise de Brel : une chanson racontée du point de vue d’un homme au milieu du chemin de sa vie, se souvenant du jeune homme brillant qu’il a été (Jacky) et ironisant d’avance sur le vieux con qu’il pourrait devenir (Antonio, le beau Serge, Dieu le Père)… Ce qui rend d’autant plus émouvante la présence de son vieil ami-ennemi Mike Patton aux vocaux : Patton à la fois plus cabotin et plus virtuose que jamais lorsqu’il passe d’un anglais de drama queen à un français de vache espagnole … Et dans leur dernière tournée européenne à ce jour (2012), il fallait entendre la « Toccata » d’Eugène Gigout, la « Danse macabre » de Saint-Saëns ou même les » Stars And Stripes Forever » de John Philip Sousa devenir simultanément démoniaques, désolantes et surtout invraisemblablement chargées, pleines d’une intense montée en puissance, à mi-chemin du heavy metal et de la musique de film, et qui est le véritable trademark du groupe.
À partir du troisième album, Book M, tout devient sublime. Les rythmes et les tonalités étendues aux quarts de ton de « Vajra » annoncent les morceaux ultérieurs des Ishraqiyun. Spruance ne joue plus seulement de la guitare, des claviers, des percus sions et du saz, mais aussi du tar, du cümbüs, de la cithare, du sympitar (un mélange de sitar et de guitare inventé par le luthier Fred Carlson) et de la trompette. Alors que » Ship Of Fools » s’insinue rêveusement dans la psyché de l’auditeur et que les « Horsem en Of The Invisible » orientalisent la techno, tout part dans une extase ultime sur » Combat For The Angel « , titre corbinien jusqu’au trognon (le » Combat pour l’ange » est une des thématiques clés de l’islamologue français) sur lequel Eyvind Kang, sur une percussion totalement démentielle, dépasse tous Les violonistes à la fois, devient vraiment le plus grand violoniste de tous les mondes : plus démoniaque et plus angélique que Ray Nance, Yehudi Menuhin, Stéphane Grappelli, Sugar Cane Harris, Lakshminarayanan Shankar… Le violon de Kang s’envole dans un jeu d’une violence au niveau de sa pureté et redescend dans des nuances d’une clémence analogue à sa rigueur … Il n’est probablement pas inutile de préciser que le disque sortit le 11 septembre 2001 et comprenait, entre autres messages cryptés et red herrings, une fausse coupure de presse traitant d’un attentat terroriste – ainsi qu’un remerciement à « l’équipe du 911 « ! Un remerciement qui s’expliquait par l’adresse des studios Rohypnol où l’album était enregistré mais restera pour le moins » étrange » sur un album traitant presque exclusivement de guerre théopha nique, avec ses morceaux inspirés par Le Mystère du Graal de Julius Evola (« Siege Perilous », « Doulouros Stroke », « Blaze Of The Grail ») et ceux qui renvoient aux « Chevaliers de l’invisible » évoqués par Corbin dans Temple et contemplation …
C’est la guerre, mais une guerre intérieure d’abord, pour se transformer soi-même en miroir de la divinité. Et cette guerre est si exigeante, si contraignante, qu’on a l’impression que, mis à part Spruance, personne n’a envie de continuer à combattre … Disque après disque, la formation de Secret Chiefs 3 semble moins claire, les anciens membres de Bungle s’éloignent, et son plus grand chevalier, Eyvind Kang, a lui-même d’autres guerres à mener. Ce sont tous ses splendides opus, aussi alchimiques qu’inclassables : l’éblouissant Theater Of Mineral NADEs (1998), le mystérieux The Story Of Iceland (2000), le bouleversant Virginal Co Ordinates (2003), le grandiose Athlantis (sur des poèmes de Giordano Bruno, 2007), le démentiel The Narrow Garden (2012) … Trey Spruance se met à impliquer les membres d’Estradasphere davantage dans Secret Chiefs 3… À partir de Book Of Horizons (2004), le projet général se fait plus clair. En fait, Secret Chiefs 3 n’est pas un groupe. Secret Chiefs 3, c’est sept groupes : représentant chacun une des branches de cette science secrète dont Spruance est le seul membre permanent. C’est The Electromagnetic Azoth (le groupe électroacoustique, au cœur du septénaire de SC3). C’est UR (le groupe de surf rock supra-sensoriel, faisant remonter le surf à ses sources arabes, indiennes et persanes). C’est Ishraqiyun (le groupe de heavy électro-folk néopythagoricien, joué essentiellement avec des instruments orientaux : dhol, saz, rabab, esraj et batterie, inspiré par la musique d’Asie centrale et la théosophie de Sohrawardi). C’est Traditionalists (le groupe de folklore occidental, réinterprétant les percées des grands maîtres de la musique de film, d’Ennio Morricone et Bernard Hermann à Goblin et Piero Piccioni). C’est Holy Vehm (le groupe d’ultra-death, utilisant les recettes dl’ l a musique sérielle en les adaptant au grindcore le plus impitoyable). C’est FORMS (le groupe spécialisé dans les marches funèbres). C’est enfin le mystérieux septième groupe, toujours pm; entendu à ce jour, aussi caché que l’imam caché : NT Fan. Les morceaux passent donc ainsi d’un style à l’autre, avec courage, humour et amour, comme si le maître d’œuvre voulait être à la fois Pig Destroyer et Nino Rota, Sun City Girls et Sun Ra. La part d’improvisation dans les albums des Secret Chiefs 3 ? Presque nulle. Tout y est minutieusement composé, même lorsque le résultat est d’une multidimensionnalité à vous donner le vertige; ce qui ne veut pas dire que les concerts, eux, ne vont pas vers des improvisations éblouissantes, surtout de la part de Spruance, faisant hurler de joie ou de douleur son saz électrique comme s’il Nait à la fois Jimi Hendrix et Kay Khosraw!
Une des spécificités de Spruance, c’est qu’il n’hésite pas à s’exprimer sur ses influences. C’est un trait qui marque sa générosité. D’ordinaire, les Américains détestent citer des noms, ils ont toujours peur qu’on ne les accuse de copier ! Le Myspace de Secret Chiefs 3, au contraire, c’est la database ultime de la métaphysique universelle. Et le Web of Mimicry – avec ses chroniques de livres de Borges, de Corbin et de Sohrawardi – dévoile dans la personne de Trey Spruance un des meilleurs commentateurs littéraires et philosophiques actuels; sans parler de ses longs essais pytha goriciens, publiés dans les volumes d’Arcana de John Zorn. Parti de Nietzsche et des poètes maudits (Artaud, Hedayat, Lautréamont) à l’adolescence, Spruance s’est intéressé très tôt à l’hermétisme, par le biais de Jung, et a découvert Henry Corbin à 23 ans à travers des lectures liées aux rencontres Eranos à Ascona. Il a navigué entre les kabbalistes (Le Sefer Yestirah, Le Bahir, Le Zohar) et les néoplatoniciens (Plotin, Jamblique, Proclus), avec, au centre, la vaste littérature islamique iranienne (Avicenne, Attar, Hafez, Ruzbehan) ainsi qu’un intérêt toujours accru pour la pensée traditionnelle (Guénon, Evola), jusqu’à la découverte de Sohrawanli qui deviendra totalement central dans le développement réciproque de sa spiritualité et de sa création musicale. La lecture passionnée des traditionalistes, d’un côté, et des mystiques ou gnostiques chiites duodécimains, de l’autre, l’a amené à la découverte, par le frère Seraphim Rose, de l’orthodoxie chrétienne, et à sa conversion comme à sa plongée dans la patristique. Ces derniers temps, en plus de l’acquisition d’une connaissance encyclopédique de l’histoire du christianisme oriental (et spécifiquement de l’Empire byzantin), Trey Spruance a retrouvé la route des anciens hermétistes d’Alexandrie, la société des magiciens arabes préislamiques connus ensuite sous le nom de sabéens de Harran et à qui on attribue les connaissances astrologiques et mantiques qui remplirent L’Agriculture nabatéenne et le Ghayat al-Hakim (appelé en Occident Picatrix). Sur quelques morceaux joués à Lille en 2012 sur de très anciennes gammes, avec Eyvind Kang au violon, la harpiste de l’orchestre national de Lille sur une harpe customisée, Jessika Kenney chantant en araméen et enfin Spruance sur une lyre éthiopienne, c’est la plus mystérieuse histoire de l’humanité qui émergeait dans l’espace psychique de l’auditeur. Un monde que nous n’étions pas supposés retrouver ressurgissait, avec ses invocations à la divinité et sa lente marche dans le désert … L’autre sommet des compositions de ces dernières années, c’est « Balthassar : Melchior : Caspar » sur Supersonic Satellite vol. 1 (une compilation de morceaux choisis). Inspiré d’un air traditionnel afghan, passant d’une orchestration arabe à une atmosphère prog rock et des traits électro-techno, c’est une traversée Ishraqiyun des archaïsmes comme des modernités que cette chanson au nom des trois Rois mages. Les Rois mages ont une importance évidente dans le dispositif spruancien. En ce qu’ils relient lJ tradition primordiale (dont ils sont les trois représentants) au chris· tianisme -comme Melchisédech pour le judaïsme ou le Khezr pour l’islam -, ils justifient l’alliance entre le christianisme oriental de Spruance (Californien converti à l’orthodoxie) et son complexe éclectisme tant musical que spirituel, comme son intérêt pour les penseurs de la tradition…
Etrange ? Non. Car la gnose, c’est l’autre côté de la pop. Seuls quelques bozos croient encore que le rock est une musique d’incultes et de primitifs, faite pour danser, se bastonner et s’identifer. Depuis Sgt. Pepper’s Lonel y Hearts Club Band en 1967, la pop music est un instrument de connaissance vivifiante. Avec Led Zeppelin en 1968, elle s’inscrit tel un Islam moderne dans la deuxième partie du cycle de la révélation divine : la walayat , l’ère des Guides qui interprètent le sens des prophéties. Avec le Hot Rats de Frank Zappa en 1969, elle invente son second souffle comme musique de film sans film ou bande originale pour film dans la tête. Et, des années 1970 à nos jours, deux tendances presque inconciliables occupent cet univers : un rock sunnite (pour lequel le rock doit s’exprimer en trois accords et sur quatre temps) et une pop chiite qui se doit de désenvelopper tous les mystères contenus dans son apparition et sans cesse de remonter à ses sources antérieures, qu’elles soient celtes, africaines, arabes ou indiennes. Dans ce cadre, Secret Chiefs 3 fait la synthèse de tout ce qui n’a cessé d’évoquer l’immémoriale nostalgie de la Grande Note et fait également l’économie de tout ce qui entrave son accès …
L’Occident, c’est la mort. C’est pourquoi il n’existe pas de spiritualité occidentale, contrairement à ce que prétendent les faux malins. Tout événement théophanique est oriental. Même le judaïsme et le christianisme, dans leur forme initiale, épiphanique et visionnaire, étaient orientaux. L’Occident, c’est la reconduction de l’événement spirituel en Église temporelle, c’est-à-dire son application politique et son déclin. La pop chiite est donc un exil d’Occident, vers le Temple de notre cœur oriental. Et le cœur de l’Orient, c’est l’Iran – l’Iran avestique, mazdéen, zervanien, zoro astrien … Le lieu de naissance des fravashis, nos « anges gardiens » que l’on rejoint par le voyage astral… Impossible de ne pas penser au zoroastrisme quand on écoute la musique de Secret Chiefs 3. Mais il faut fermer à nouveau nos paupières gercées pour voir le film. En plissant les yeux, on se voit passer le Pont Chinvat où nous attend la Daena, cette jeune fille qui incarne l’image céleste de notre existence sur la Terre. C’est une Daena purement sonore et elle ressemble à l’air de » Book T: Waves Of Blood « . À travers elle, nous ne faisons plus qu’un avec notre Xvarnah, notre corps de gloire. Elle nous murmure la phrase que nous cherchions depuis le début : Trey Spruance n’est pas un génie ; c’est un ange. Et voilà bien ce dont nous avons besoin plus que tout au monde; des anges pour soutenir nos pas et tenir la torche flambante pendant que nous éprouvons notre humaine condition dans la dimension ascensionnelle de l’Éternel Présent. Cela arrive quand les musiciens se font chevaliers théophaniques et trans forment leur présence en un pur réceptacle de Lumière. Alors la musique est une lampe brûlant avec l’huile d’un olivier qui n’est ni de l’Orient ni de l’Occident, s’enflammant sans même que le feu la touche; et c’est Lumière sur lumière.
Pacôme Thiellement