Mise en contextes
L’invitation faite par Les Tanneries – Centre d’art contemporain aux diplômé.e.s 2020 de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans d’investir l’espace de la Verrière d’une exposition collective s’inscrit dans la lignée d’une collaboration au long cours entre les deux établissements, initiée depuis l’ouverture du centre d’art en 2016 et renforcée d’année en année. Cette collaboration est développée dans un esprit d’accompagnement et de « fabrique des parcours » des futurs ou jeunes professionnels de l’art que portent et déploient Les Tanneries à travers des dispositifs variés, en lien avec l’ensemble des acteurs du territoire et en particulier avec les écoles supérieures d’art de la Région Centre – Val de Loire. Cet esprit repose sur des principes de formation et de professionnalisation artistiques.
Les projets et partenariats mis en place avec l’ÉSAD Orléans permettent d’interroger des formes de continuités, de complémentarités et de prolongements qui se jouent entre une école supérieure d’art et un centre d’art contemporain, que ce soit dans la conception du geste créatif lui-même – ici tourné vers les arts numériques et le design d’objet et d’espace – ou encore dans son contexte de mise en œuvre ; que ce soit dans la considération de formes hétérotopiques qui se manifestent de l’atelier au lieu d’exposition, dans celle des états discursifs qui se signifient au fil du langage scénographique ou bien dans le besoin d’envisager le geste artistique comme geste situé. Par ailleurs, dans le cadre d’une expérimentation lancée en octobre dernier et programmée sur deux ans, l’élaboration aux Tanneries d’une sonde pédagogique inscrite au cursus de formation de l’ÉSAD Orléans offre aussi la possibilité aux étudiants d’investir le champ de la production, de l’inventorisation et de la valorisation d’archives du centre d’art, que ces dernières soient liées au déploiement du geste artistique ou à l’émergence d’un regard documenté, deux axes situés au cœur du projet des Tanneries. Ces explorations et expérimentations conjointes se font dans un souci toujours renouvelé de porter une attention particulière aux formes d’expression les plus contemporaines ainsi qu’aux mutations en cours dans nos environnements et sociétés.
Que ces projets et partenariats prennent la forme de visites sur-mesure, d’accueil de stagiaires sur des missions spécifiques, de workshops associés à des ateliers-résidences d’artistes programmés par le centre d’art, de séminaires pédagogiques autour de thématiques liées à la programmation ou encore d’expositions de travaux de recherche et d’œuvres finalisées, ils se construisent autour de valeurs, d’interrogations et d’intérêts communs, respectivement et singulièrement partagés.
Au sein des échanges qui s’opèrent entre le centre et l’école supérieure d’art, le projet Uncool Memories #1 – développé dans un contexte de continuité et de discontinué exceptionnel sur lequel son concept repose en partie – constitue un jalon essentiel puisqu’il prend pour la toute première fois la forme d’une exposition collective intégrée à la programmation artistique du centre d’art. En cela, il s’inscrit parfaitement et à plusieurs titres dans les réflexions portées par le fil de saison Dis] Play Off [Line à la faveur d’un dispositif scénographique travaillé par les designers fraîchement diplômés en collaboration avec le scénographe Olivier Bouton. À la fois commun et différencié, ce dispositif permet de révéler une communauté d’esprits tout en mettant en lumière la variété des œuvres, des gestes et displaysconçus par les jeunes créateurs comme autant de regards portés sur leurs disciplines et leur capacité à renouveler notre manière d’appréhender le monde qui nous entoure et à en faire bouger les lignes.
« Le premier jour du reste de votre vie », note d’intention de l’exposition, par Emmanuel Guez, Directeur de l’ÉSAD Orléans
« Le premier jour du reste de votre vie. » (octobre 1980)
Jean Baudrillard, Cool Memories 1980-1985, Tome 1
Mi-mars 2020. « En raison de la pandémie du Covid-19, l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans est fermée aux étudiant.e.s et au public à compter du lundi 16 mars 2020 pour une durée inconnue. »[1] Mi-juin 2020, les diplômes de fin de 5e année se déroulent sur dossier artistique, comme l’on dit. Trois mois de préparation à distance. Les diplômes sont PDF, Spark, Skype, Zoom, Classroom, Meet, WhatsApp, autrement dit Adobe, Microsoft, Google, Facebook. Tâches difficiles pour les étudiant.e.s comme pour les enseignant.e.s car, apparemment, il n’y avait rien à voir à part des documents partagés, des vidéos et des visios.
Le 23 juin, les résultats sont proclamés. Les projets des étudiant.e.s sont là, conséquents, pensés, argumentés. Mais il manque quelque chose. L’ÉSAD Orléans est une école d’art et de design. Après le confinement, nous avons ressenti un besoin d’air, de créer un appel d’œuvres. Après une première exposition en septembre 2020 à la Galerie de l’ÉSAD[2], les jeunes designers déconfinent une nouvelle fois leurs travaux au sein de la Verrière des Tanneries – Centre d’art contemporain d’Amilly. Des travaux qui sont marqués par l’époque, c’est-à-dire par les réseaux, les machines informatiques et les enjeux de la transition écologique.
Saisissant le jeu qui s’établit aujourd’hui entre l’espace tangible et les réseaux, entre les formes et les machines, entre la production et les questions environnementales, les designers fraîchement diplômés réaffirment le besoin de penser la place de l’humain, de son corps, de sa parole, de ses écrits, de ses pensées et de ses objets.
Face aux défis que présente un monde en mutation, certains regards se posent sur la coopération humain/machine (Jessy Asselineau), génèrent des objets en céramique contextualisés (Léa Fernandès) tout comme des tentatives de création de contenus communicationnels différenciés à l’heure d’Instagram (Antoine Souvent) ou encore se traduisent par la « dataïfication » des images des réseaux sociaux afin qu’elles puissent aussi devenir un matériau appropriable par des domaines non-commerciaux tels que celui de la recherche (Basile Jesset). D’autres regards interrogent quant à eux le rapport de l’écriture à l’oralité (Théo Bonnet) ou nos manières de communiquer à travers l’image (Lucie Laval). Parallèlement, d’autres encore réaffirment le besoin de prendre soin, prêtant attention au regard que les enfants posent sur leur propre ville (Chloé Lesseur) ou suscitant une nouvelle forme d’exploration de notre corps au contact d’un vêtement modulable et sensoriel (Natacha Varez Herblot).
À l’image de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans, les diplômé.e.s 2020 sont ainsi mobilisé.e.s par l’époque, animé.e.s par un désir d’agir, sinon, déjà, de comprendre.
Emmanuel Guez, novembre 2020
[1] Information relayée sur le site internet de l’ÉSAD Orléans à la suite de l’annonce par le gouvernement français le 16 mars 2020 de la mise en place d’un confinement général de la population pour lutter contre la propagation du Covid-19.
[2] Uncool Memories #1, Galerie de l’ÉSAD Orléans, du 18 septembre au 2 octobre 2020.