Il existe un lieu traversé par l’eau depuis des siècles.
Elle modèle le paysage, mais elle a aussi été détournée par la présence humaine.
Aujourd’hui un liquide différent surgit de ces anciennes routes souterraines.
Il en résulte une substance fluide particulière. Son extraction donne des ondes brillantes de bleu et d’or qui illuminent l’espace avant de s’enfouir à nouveau dans les profondeurs.
Martine Aballéa, extrait de note d’intention, mars 2020
Pour son exposition aux Tanneries intitulée Résurgence, Martine Aballéa (née en 1950 à New York, vit et travaille à Paris), transforme, à la faveur d’une importante et inédite installation in situ, la Grande Halle en une cavité-laboratoire aux éclats étranges, propice à l’expérimentation.
Puisant dans les caractéristiques architecturales de la Grande Halle — motifs palimpsestiques imprégnés du passé industriel des Tanneries —, l’artiste y déploie un dispositif irrigué d’un ou de mille récits. Une grande vague textile bleue, scintillante et flottante, vient recouvrir, en une ondulation aérienne et ascendante, les cuves dans lesquelles circulait l’eau du Loing déviée jadis par les tanneurs. Fixée sur une montagne d’artefacts en verre animée d’agencements alambiqués de prismes, cornues, flacons de Woolf, ballons à réduction, cyclones thermostatés, ampoules à décanter, et autres flacons laveurs[1], l’onde iridescente s’élance le long de la Grande Halle pour venir se déposer, plus loin, aux pieds des visiteurs qui sont invités à en remonter le cours, à rebours.
Centrale et primordiale, naturelle comme industrielle, mais aussi plastique, cette résurgence se meut alors en songes d’extractions et d’exploitations, émergeant d’un antre plongé dans le noir à la faveur d’éclairages et de jeux de lumière cinématographiques qui viennent renforcer les irisations de la vague turquoise et des colonnes mordorées qui l’entourent, ainsi que les reflets et éclats des verres scientifiques. Renforcés par la présence d’une création sonore[2], berceuse lancinante qui remplit l’espace d’une énergie vibrionnante, ces effets de clair-obscur contribuent au développement d’une atmosphère irréelle dans laquelle l’esprit se laisse aller et divaguer au fil de l’eau.
Au sein de ce décor fantomatique teinté d’esthétique néo-kitsch où se mêlent l’authentique et le toc, Martine Aballéa met en scène une nature dénaturée — évoquée comme invoquée — et un réel déréalisé dans une forme de mise à distance propice à l’onirisme. Plongé dans une ambiance poétique et hallucinatoire qui n’est pas sans rappeler les mises en laboratoire cinématographiques de La Fiancée de Frankenstein de James Whale (1935) ou les sacs et ressacs de la mer en plastique du Casanova de Federico Fellini (1976), le visiteur est en effet invité à laisser libre cours à son propre imaginaire, entre incarnation et interprétation. Quid de cette résurgence aux allures factices, produit de ses artifices ? Quelles pourraient en être les propriétés ? Les mystères qu’elle contient livrent le regardeur à des spéculations au cours desquelles chacun est libre de « se faire des films ».
Toujours sur le fil, en bonne alchimiste et funambule, Martine Aballéa tisse donc à travers Résurgence une narration cyclique et linéaire teintée de néo-romantisme dans laquelle elle articule références et auto-références ; autant de résurgences de thèmes, de motifs et autres champs lexicaux et visuels qui parcourent l’ensemble de son œuvre, révélant ainsi de véritables obsessions dont les contours se dessinent à l’aune de rêveries ambivalentes ponctuées de clartés et de mystères, de séduisantes apparitions et d’inquiétantes étrangetés. L’artiste crée ainsi un espace-temps singulier incitant à la déambulation physique et mentale où s’entrecroisent science et art, témoignages et narrations, fragments et mises en récits, fantasmes et illusions, mémoires et expériences, signes et symboles, fixité et mouvement, dans une oscillation constante entre vraisemblance et invraisemblance, réel et fiction, et dans lequel résurgence aquatique rime avec réminiscences plastiques et résurrection artistique.
Communiqué de presse de l’exposition
[1] Pour ce faire, l’artiste a réagencé une sélection personnelle d’objets de laboratoire en verre industriel moulé issus des collections du Musée du Verre et de ses Métiers de Dordives – Communauté de Communes des Quatre Vallées, partenaire de l’exposition.
[2] Réalisée en collaboration avec l’artiste Jérôme Poret et la bassoniste Eugénie Loiseau.
PARTENAIRE DE L’EXPOSITION
Avec l’aimable concours du Musée du Verre et de ses métiers de Dordives – Communauté de Communes des Quatre Vallées.
Infos pratiques
Horaires d'ouverture
Ouverture au grand public du mercredi au dimanche, de 14h30 à 18h
Réserver une visite de groupe : publics-tanneries@amilly45.fr
Tarifs
Entrée libre