Depuis plusieurs années, Karine Bonneval mène un travail plastique autour des questions du vivant, de la position de l’homme comme élément d’un milieu plus large.
L’exposition Dendromité (en intimité avec les arbres), présente des œuvres récentes autour des échanges physiques, symboliques et physiologiques entre les arbres et les humains.
Elle fait suite à une résidence d’artistes à Berlin à l’été 2015, au sein du programme
de l’association la mire « A roof above your head » Région Centre-Val de Loire / Berlin.
Parmi un corpus de centaines de milliers d’arbres berlinois, l’artiste s’est intéressée à dix-neuf spécimens qui ont traversé l’histoire de la ville, de l’Allemagne, des rapports de l’Europe au reste du monde, de l’émergence scientifique.
La création de la sculpture sonore Dendromité, dont le titre donne son nom à l’exposition, tente de développer une proximité avec ces témoins privilégiés du temps long, compagnons singuliers des hommes.
Dendromité se présente d’emblée comme un dispositif hybride.
Sa forme évoque la dimension organique, racinaire, un objet tentaculaire, une sorte de bulbe d’où émergent de longues ramifications.
Suspendue, la structure semble flotter, comme capable de se déplacer ou de s’étendre de manière autonome.
Si son enveloppe, réalisée en fils végétaux de texture, diamètre et tons divers (lin, chanvre, bananier, ortie laineux) renvoie au monde végétal, l’âme de sa structure n’est que « technique ».
Câbles, systèmes électriques et informatiques, jusqu’au clavier d’ordinateur pris dans les mailles filaires, donnent à l’œuvre ce caractère d’entre-deux. Le choix d’un tricot de fils indique ici la nature mêlée de la pièce, analogie à la notion de réseau fait d’éléments entrelacés, indissociables.
Les dix-neuf arbres retenus par Karine Bonneval ont donné lieu à des enregistrements
sonores doubles : sons concrets de leur environnement urbain (dont les activités humaines), captation de la main de l’artiste caressant l’écorce aux accents parfois curieux.
Ils constituent dix-neuf pistes sonores, que le visiteur actionne en saisissant les médaillons de cuivre estampillés du «nom» des arbres, terminaisons sensibles et tactiles.
Après la vue, le toucher, l’ouïe est mise à contribution pour entrer en contact avec ces sujets, dans un lien qui dit le rapport très physique de l’artiste avec eux durant son travail.
Cette relation s’est construite dans le temps de la résidence et dans l’espace du territoire berlinois. Plan(s) en témoigne par bribes. Réalisée à partir de la représentation cartographique de Berlin, elle propose une lecture par couches successives, chacune étant une interprétation d’éléments réels. Le fond peint à même la cimaise adopte les formes, le rapport d’échelle et les codes couleurs de routes, rivières, plans d’eau, parcs, forêts du grand Berlin.
Les trajets effectués par Karine Bonneval, la situation des arbres sont annotés sur des calques au feutre noir. Ils se superposent au fond, écran d’une réalité vécue à partir d’une réalité donnée.
Enfin, les arbres reliés entre eux par la volonté de l’artiste sont présents via leur écorce.
Partant de photographies, la texture grattée des formes circulaires hors d’échelle, les contrastes de noir et de blanc s’éloignent de cette source.
Le sens de lecture n’a plus d’évidence, devient motif, s’approche de l’abstraction.
Ces détails gravés ne pourraient-ils pas être des « paysages » montagneux, marins, cristallins, floraux ? Aussi, la carte qu’offre Plan(s) est partielle.
De nature indicielle, elle est à la fois subjective, incomplète, morcelée. Elle induit une lecture plus poétique que pratique.
L’exposition présente un tirage numérique page à page d’une édition réalisée par des étudiantes de l’ÉSAD.
Accompagnant le projet, la publication fait écho à Plan(s). Elle est une synthèse des recherches menées en amont par l’artiste sur chaque arbre. Cette publication sera imprimée avec le procédé risographie, sorte de sérigraphie automatisée couleur par couleur. Il permet au parti pris graphique de jouer des transparences, des surimpressions et de leurs imperfections.
Aujourd’hui, Karine Bonneval est à la lisère entre sa résidence à Berlin et ses suites.
Sur ces questions, elle travaille avec deux scientifiques de l’Université de Paris-Saclay, Claire Damesin – écophysiologiste des arbres – et Ludwig Jardillier – spécialiste des micro-organismes.
En lien avec leurs protocoles de recherche, elle souhaite exprimer les échanges invisibles (flux, micro-organismes, respiration) entre arbres, milieu et humains : visualisation de nos flux de carbone (CO2) en champs thermiques colorés, étude des communautés de micro organismes vivant à la surface des troncs et leur circulation avec l’humain.
Constellations reprend la structure des dômes géodésiques qui seront utilisés pour entourer les troncs des arbres, concentrer les flux émis et les mesurer. Cet espace pénétrable construit en carton est parsemé de boîtes de Petri. Certaines ont été inséminées avec des micro-organismes présents sur les troncs, d’autres croisent ceux de la surface des écorces et de mains humaines.
Constellations révèle l’invisible à l’œil nu, un aperçu de la multiplicité des formes de la vie. Elle invite à s’asseoir sur cette pièce de bois brut, faire l’expérience métaphorique de la sensation d’une respiration commune.
Ces cosmogonies de la micro-échelle sont explorées également dans Morphogenèse.
Employant le double sens d’accroissement et de forme/structure des organismes, Karine Bonneval créé un réseau imaginaire. A partir de photographies issues d’observations de treize tiges végétales diverses au microscope électronique, elle recompose une tige fictive. L’ensemble convoque la forme d’une cellule, composée de ces camaïeux de couleurs injectées pour favoriser l’analyse en laboratoire.
Accrochée au mur, l’œuvre est essentiellement visuelle.
Ses contours paraissent mouvants, les plaques acryliques rappelant les lamelles scientifiques.
Morphogenèse entretient des liens avec Dendromité.
Les deux œuvres «balancent» dans leur espace respectif en deux et trois dimensions.
Elles paraissent dotées de la faculté de se mouvoir, entre flux et reflux. Elles donnent à entrevoir combien la résille du vivant est élaborée, complexe.
Elles suggèrent une image de notre position au cœur de cet ensemble interdépendant, que nous croyons parfois pouvoir observer en surplomb.
Gunther Ludwig
Remerciements :
Assistantes au montage :
Charlène Combes, 3è année Design Visuel/Graphique, Camille Vidal, Marion Gambier, 2è année Design Visuel/Graphique
Publication :
Delphine Mistler, Maeva Moatti, Audrey Pucinelli, 4è année Design Visuel/Graphique
Les équipes enseignantes, administratives et techniques de l’ÉSAD