Le jour où les enfants éduqueront les parents, il y aura de l’espoir pour une architecture plus originale et plus ludique.
Guy Rottier
L’épopée de ma vie est un poème. Jour après jour, je me rendais compte que je n’étais pas un errant mais l’errance elle-même (…) M. a M. NGAL, l’Errance, 2014
Pour sa première édition, la Biennale d’Architecture d’Orléans rend hommage à l’une des gures artistiques et architecturales les plus originales de la seconde moitié du 20e siècle : Guy Rottier. Réunissant plus de cent cinquante dessins, photographies et maquettes conservés par le Frac Centre-Val de Loire, cette exposition est la plus importante rétrospective jamais consacrée à l’architecte. Elle témoigne de la relation forte entre Guy Rottier et cette institution, qui depuis plus de 20 ans, œuvre à la diffusion et à la reconnaissance internationale de cette personnalité hors du commun. Cette exposition a également valeur de manifeste. En s’inscrivant dans le sillage d’une œuvre ouverte, mutante et braconnière pour entamer son nouveau périple, le Frac Centre- Val de Loire trace ici la ligne que suivra la Biennale d’Architecture d’Orléans : celle de l’errance.
Néerlandais né en Indonésie puis naturalisé français, lycéen à Grasse puis travailleur forcé à Iéna, étudiant en école d’ingénieur à La Haye puis en architecture à Paris, émigré volontaire à Nice, à Damas puis à Rabat, avant de revenir nir ses jours à Belvédère… Guy Rottier est l’auteur d’une œuvre multiple et inclassable, dans laquelle dialoguent art et architecture, poésie et technique, où se croisent autant la silhouette de Le Corbusier, l’élan futurologique de son ami Michel Ragon que l’iconoclasme – « 40° au-dessus de dada » – des artistes de l’école de Nice, ou celui – quelques degrés au-dessous de la ceinture – du dessinateur Jean-Marc Reiser.
Avec un style insolite, fulgurant et sans compromis, Guy Rottier entendait renouveler radicalement le langage architectural au même titre que les modes d’habiter. Sans jamais faire système. Espiègle, fantasque, libre, Guy Rottier a défendu sa vie durant une approche de l’architecture plus joueuse que divertissante, plus enfantine que puérile, dé ant toutes les lois – celles de la tradition comme celles de la gravité – pour instiller dynamisme et mouvement dans l’ordre trop sclérosé de ce monde : « les hommes construisent, d’autres envahissent, s’installent, démolissent puis reconstruisent. C’est le même homme, architecte par nature qui, jusqu’à l’apocalypse, bâtit, efface et recrée une agglomération, un quartier, une maison. Parce que tout change… parce que tout doit changer : le relief du monde, la nature des choses, la maison de l’homme ». (Guy Rottier)
Abdelkader DAMANI & Gilles RION
GUY ROTTIER (1922-2013)
Né à Sumatra en Indonésie, Guy Rottier (1922-2013) est diplômé ingénieur de La Haye (1946), puis architecte DPLG de l’École des Beaux-Arts de Paris (1952). De 1947 à 1949, il travaille dans l’atelier de Le Corbusier, qui lui fait découvrir « le soleil, l’espace, la verdure, la notion d’échelle, l’homme… », et coordonne le chantier de l’Unité d’habitation de Marseille. En 1958, il s’installe à Nice et conçoit avec Charles Barberis, menuisier de l’unité d’habitation, des cabanons de vacances industrialisés en bois. Ce projet marquera un tournant dans sa carrière : l’avis négatif de l’architecte des bâtiments de France bouleverse Rottier qui décide de prendre le maquis pour lutter contre les trois « ennemis » de l’architecture : les matériaux traditionnels, l’administration, les traditions. Rottier s’engage alors dans la voie d’une « architecture buissonnière », se heurtant rapidement aux lois et règlementations en vigueur, et dont La Maison de vacances volante sera le manifeste. Dans le contexte du tourisme de masse des années 1960, l’architecture de vacances est au cœur de ses ré exions. A l’instar d’autres artistes et architectes de l’époque, il conçoit les loisirs comme la clé d’un renouveau architectural : « je me suis aperçu, et tout le monde le sait, que les gens, en vacances, ne se comportent pas du tout de la même façon que lorsqu’ils travaillent chez eux (…) L’architecture correspondant à cette période de l’année pouvait donc être différente, neuve pour ainsi dire, inventive, gaie, ouverte, vivante (…) Et par un juste retour des choses, cette nouvelle architecture pourrait in uencer celle de tous les jours, la rendre plus accessible, plus humaine que ces HLM ou autres immeubles collectifs souvent inhabitables et sans vie ». (Guy Rottier)
Membre du Groupe international d’architecture expérimentale (GIAP) créé par le critique Michel Ragon, revendiquant une proximité avec l’art brut et plus in uencé par les Shadocks et Hara- Kiri que par la revue L’Architecture d’aujourd’hui, Rottier multiplie les sources d’inspiration qu’il met au pro t de l’invention contre l’imitation d’un quelconque modèle. Ses maisons enterrées, nées de l’analyse de l’architecture traditionnelle de terre en Afrique du Nord, apportent de vraies réponses peu onéreuses au problème du logement des années 1960 : matériaux industrialisés, récupération, gain d’espace. Souvent, Rottier procède par emprunts et par transferts de signes divers : la forme voire le fonctionnement d’objets du quotidien ou d’êtres vivants sont transposés à l’échelle architecturale avec toujours ce même souci d’adapter l’habitat aux besoins réels des usagers. La Maison évolutive « escargot », par exemple, offre une structure en spirale qui permet aux habitants de rajouter des pièces en fonction de l’accroissement de la famille, tandis qu’il représente une cible sur la surface d’une maison enterrée destinée « aux méchants de la terre ». Dans le sillage de l’architecture parlante de Claude-Nicolas Ledoux et à la même époque que le sculpteur américain Claes Oldenburg ou l’architecte autrichien Hans Hollein, il sera l’un des premiers sinon un des seuls en France à proposer une architecture gurative et symbolique qui annonce une certaine tendance du postmodernisme. Proche d’artistes comme Venet, Arman, Ben, il s’intéresse également au rebus, auquel il donnera une nouvelle vie, comme matériau de construction.
S’il enterre l’habitant, c’est surtout avec le soleil que Rottier entretient une relation puissante empreinte de spiritualité. Au début des années 1970, il développe des projets d’architecture puis d’urbanisme solaire dans lesquels il entend revenir aux fondamentaux : la lumière. Ce rapport à la terre et au soleil, mais également à l’eau et à l’air dans certains autres projets, témoigne du rôle cosmique auquel doit selon lui prétendre l’architecture. Dès lors, il manipule par glissement les lois de l’univers pour insuf er renouveau, déséquilibre et mouvement dans la belle mécanique du monde. Jusqu’à s’émanciper de la gravité en proposant, en pleine conquête spatiale, une « architecture de l’apesanteur dans la pesanteur » (boulequiroule, 1968-1974). Jusqu’à convoquer les éléments pour faire table rase du passé, comme dans le musée submersible pour l’école de Nice ou la Maison en carton à brûler après usage.
Si certains de ses projets furent construits (la Villa Laude en 1963 et la Villa Cardi en 1967 à Villefranche-sur-Mer ; la Maison d’Arman à Vence, 1968…), Guy Rottier a consacré une grande part de sa carrière à l’enseignement, d’abord en Syrie (1970-78) puis au Maroc à Rabat (1979-87). De retour dans le sud de la France, il fonde le groupe des Conspiratifs en 1996, avec entre autres Antti Lovag et Jacques Rougerie, qui sera dissout en 2012, un an avant sa disparition.