« Le son est le premier mouvement de l’immobile »
Giacinto Scelsi
Pour son exposition aux Tanneries intitulée Accord final, la plasticienne Élodie Lesourd (née en 1978 à Saint-Germain-en-Laye, vit et travaille à Paris) présente trois ensembles d’œuvres inédites[1] à travers lesquels elle tire les fils de séries et de principes emblématiques de sa pratique. Fondamentalement conceptuelle, cette dernière lui permet de développer – à travers le prisme singulier de la musique – une recherche à la fois sémiologique, phénoménologique et ontologique sur l’œuvre d’art et ses temporalités : entre création, exposition, documentation et filiation ; émergences, effacements et réapparitions.
Développant au sein des œuvres exposées un poétique maillage de correspondances formelles, chromatiques, musicales et numérales depuis la Verrière jusqu’en Petite Galerie, Élodie Lesourd compose un parcours comme on tisse une toile. Jouant d’allers et retours, de vides et de pleins, de mises en écho et en miroir, de répétitions, reprises et démultiplications comme d’appropriations et de transpositions, elle confronte parfois jusqu’à les confondre figurations et abstractions, tangibilités et intangibilités, éphémérités et permanences, fixités et mouvements, signes et symboles, profane et sacré, dans une tentative toujours renouvelée de toucher du doigt, de l’œil ou de l’oreille, une forme d’infini au sein de laquelle les voyages des images et des sons – physiques ou mentaux – se meuvent en destins.
À l’entrée de la Verrière, ce voyage infini prend d’abord et avant tout la forme du regard démultiplié. Associant une sculpture en acier (Bowerbird III, 2021) – dont les lignes triangulaires font écho à la structure du toit qui la surplombe – avec huit nouvelles occurrences de la série photographique « Synopsie » (Synopsie (Série Multimodale), 2021), Élodie Lesourd invite d’emblée le visiteur à se confronter pour mieux le franchir au sas sensuel et mémoriel que constitue ce prisme éclaté aux airs de constellation ancrée dans le sol. Dans l’entremêlement de ces spectres « d’images-son », silencieuses, abstraites et colorées, prises par l’artiste lors de concerts, et dans le jeu de leurs transparences, reflets et effleurements, Élodie Lesourd (dé)compose et recompose les fragments d’une mémoire visuelle et musicale à travers lesquels elle incite le visiteur à entrevoir la suite.
Véritable point d’entrée multifocal de l’exposition, cette œuvre-manifeste fait progressivement place, au-delà de l’expérience sensible qu’elle suscite, à une réflexion sur les rapports qu’entretiennent le support et l’œuvre, le contenant et le contenu, l’image et le son, le hic et nunc de l’œuvre et les hors-champs dont elle provient et qu’elle prolonge. À travers elle, l’artiste fait donc littéralement comme métaphoriquement émerger plusieurs points de vue sur l’œuvre, de l’affect à l’intellect en passant par le concept, engageant le visiteur à la mobilité au sein d’une exposition qui repose sur un art latent de la contamination et de la (ré)génération des images et des sons, entre mises en phase et en relief.
Dans la continuité de cette œuvre avec laquelle elle présente des signes indiciels d’apparentement, l’installation Some of These Days (2021) décline une série de huit sarcophages contemporains : des flight cases béants aux silhouettes de guitares jonchant le sol et dont les contenus d’origine ont été remplacés par des surfaces-miroirs. S’y reflètent la structure toute en transparence du toit et les mouvements du ciel dans une forme de continuum de présences et d’absences. Un continuum renforcé par le fait que l’artiste transforme ces réceptacles en véritables boîtes à musique qui diffusent chacune la mélodie de « Some of These Days » décomposée, distendue et reconstruite sous une autre forme visant à l’infini afin qu’elle n’atteigne jamais l’accord final.
Élodie Lesourd poursuit alors son « œuvrage » jusqu’en Petite Galerie, où elle met en regard, sur les deux murs latéraux, cinq peintures « hyperrockalistes » encadrées par une série de cinq peintures murales spécialement créées pour l’occasion (« FACT 75 Code », 2021). Entre figurations « hyperréalistes » et abstractions graphiques réalisées entièrement à la main, entre minutie des foisonnants détails et rigueur des aplats colorés, entre reproductions extatiques de documentations photographiques d’œuvres éphémères créées par d’autres artistes sous l’influence de la musique (et du rock en particulier) et compositions codées en apparence désincarnées, l’artiste confronte de manière singulière deux types d’expériences picturales en apparence opposées pour mieux les faire dialoguer.
La présence insidieuse d’Un adieu (Scelsi il serpàio) (2021) perturbe comme elle renforce cette mise en dialogue. Œuvre sculpturale au cœur végétal dont les cinq lanières de cuir courent d’un bout à l’autre de l’espace, elle contrarie de ses courbes sinueuses et organiques la régularité des lignes et formes colorées des peintures murales et ravive la nature déréalisée des peintures hyperrockalistes. Renouvelant le potentiel plastique d’un des matériaux de prédilection de l’artiste, ces lianes qui serpentent au sein de l’espace réintègrent du mouvement tout autant que de la polysémie et viennent ainsi perturber le regard.
En-deçà des illusions d’optique et au-delà du leurre esthétique, le visiteur est ainsi amené à questionner le processus de création des œuvres, leur essence et le concept qui les porte. Poussant elle-même cette (re)mise en question jusqu’à son paroxysme, Élodie Lesourd expose ici Those Things You Thought Unreal (Non Finito) (2021), peinture hyperrockaliste dont la réalisation n’a pas été achevée. Paradoxalement, l’absence du geste artistique semble d’autant mieux en révéler les fondements – à la manière d’une coupe biologique – et en amorcer les prolongements, laissant libre cours à la part interprétative et à l’imaginaire du visiteur. Ainsi, de l’œuvre « non-finie » à l’œuvre « in-finie », n’y aurait-il alors qu’un pas ?
Dans le temps suspendu d’Accord final, Élodie Lesourd s’attache donc à faire naître de la nouveauté à partir d’un existant profondément hétérogène – fait de références et d’autoréférences – qui s’incarne dans des formes de renouvellements syncrétiques où le personnel résonne avec le collectif. En cela, l’artiste semble chercher en permanence, d’un médium à l’autre, à concilier des extrêmes pour atteindre l’insaisissable essence des choses. À la faveur d’une esthétique transcendantale teintée de rock, allant de l’art de la reprise ou encore du palimpseste jusqu’à celui de la transposition et des vases communicants, Élodie Lesourd déploie un subtil et perpétuel mouvement vibratoire qui favorise l’émergence d’intensités et d’émotions qui s’expriment étrangement en sourdine.
Communiqué de presse de l’exposition
[1] À l’exception de l’œuvre Lust Magic Obscure, peinture hyperrockaliste réalisée en 2016 à partir de la documentation photographique de l’œuvre The Eden Experiment II (2015) de Nikolaus Gansterer ; artiste dont le travail est par ailleurs présenté de manière concomitante en Galerie Haute dans le cadre de l’exposition Figures de pensée commissariée par Klaus Speidel (25 septembre 2021 – 2 janvier 2022).
PARTENAIRE DE L’EXPOSITION
Avec l’aimable soutien des Pépinières Garnier de Dordives
AUTOUR DE L’EXPOSITION
>> le samedi 25 septembre 2021, à partir de 15h30
Conversation publique avec Martine Aballéa, Élodie Lesourd, Nikolaus Gansterer et Klaus Speidel dans le cadre du lancement de la saison #6 et de l’inauguration des expositions de son premier cycle.
>> le samedi 2 octobre 2021
Atelier en famille autour de l’exposition.
>> Plus d’informations sur : https://www.lestanneries.fr/agenda/
Infos pratiques
Horaires d'ouverture
Ouverture au grand public du mercredi au dimanche, de 14h30 à 18h
Tarifs
Entrée libre