Le travail de Kôichi Kurita est singulier : depuis plus de 20 ans, l’artiste a arpenté son pays natal, le Japon, puis la France, pour prélever des poignées de terre qui constituent au fil du temps une gigantesque bibliothèque qui compte aujourd’hui plus de 40 000 échantillons différents.
Avec une simple cupule, il extrait un morceau de terre qu’il va ensuite soigneusement débarrasser de toutes ses impuretés (végétaux, déchets, scories) pour le faire sécher sur de vieux journaux.
A l’aide d’un tamis et d’une pince à épiler, Kôichi Kurita « filtre » ainsi patiemment les échantillons prélevés qui sont ensuite versés dans des sachets affublés d’une étiquette portant mention du lieu et de la date du prélèvement.
A l’issue de ce processus, les terres sablonneuses sont séparées des terres plus grumeleuses : les premières seront présentées dans de petites fioles étiquetées, les secondes sous forme de carrés ou de cônes que l’artiste forme au sol, sur des papiers japonais.
En séchant, les terres de Kurita révèlent des couleurs étonnantes, qui constituent comme leur identité enfouie, et témoignent d’une chimie obscure que l’artiste met au jour. Exposant ce qui demeure habituellement caché, faisant œuvre de ce qui est quotidiennement foulé aux pieds, l’artiste travaille avec la matière la plus pauvre, mais aussi la plus commune, selon une visée quasiment alchimique qui est le fruit d’une longue ascèse.
Chaque exposition est ainsi le fruit de centaines d’heures de travail méticuleux, de gestes répétés, de volonté opiniâtre et rigoureuse de présentation de notre terre commune et diverse.
Kôichi Kurita convoque toutes les acceptions de la terre dans son travail, et semble énoncer à travers elle le paradoxe si beau du terme « identité » en français, souligné par le philosophe Paul Ricoeur : ce qui est à la fois le propre et le semblable.
Comme tout homme, la terre est même et différente. Ce message à visée universelle, et humaniste, est au cœur de son travail : toutes les terres exposées sont une expression une et multiple du sol qui nous supporte.
À la croisée de l’art pauvre, de l’abstraction géométrique et d’une tension spirituelle, l’art de Kurita agit comme un véritable révélateur de notre bien commun.
Vous pouvez lire le texte que Kôichi Kurita a écrit en pièce jointe (Traduction : Akara Yagi)
A Chambord, l’artiste présente dans la chapelle une installation de 1000 terres prélevées ces dernières années, particulièrement lors de ses deux résidences de 3 mois à Chambord en 2015 et 2016, formant sur le sol un rectangle de 12 mètres de long sur cinq mètres de large.
Ces terres de Loire ont été prélevées par l’artiste au fil des villages qui longent le cours du fleuve de sa source à son estuaire. C’est donc à une traversée onirique et chtonienne du plus grand fleuve français qu’invite Kurita, dans la diversité des couleurs qui proposera comme un immense tableau du territoire.
Dans la galerie qui mène à la chapelle sont présentées 200 fioles de terres pulvérulentes, mais également des cartes postales que l’artiste aura adressées à Chambord les deux années précédentes, présentant chacune 3 échantillons de quelques milligrammes de terres emprisonnées sous un ruban adhésif qui les fixent au dos de chaque carte.
Le commissaire de cette exposition est Yannick Mercoyrol, directeur de la programmation culturelle du Domaine national de Chambord
Le catalogue de l’exposition (bilingue français / anglais), avec les textes de Kôichi Kurita, Mutsuo Takahashi et Gilles Tiberghien, sera disponible à la boutique du château pendant toute la durée de l’événement (10 euros)