Qu’est-ce qu’un jeu vidéo ? Suis-je en train de jouer un jeu vidéo ? L’œuvre fait-elle sens sans ma présence ?
ElefantCat, propos recueillis par Olivier Collet dans l’article « Ils ont pixelisé St Martin pour le Pont Wilson de Tours » pour Infos Tours en Juin 2016 (§ 4)
Nous appelons jeux vidéo l’ensemble des jeux qui reposent sur un programme informatique et des interations personne-machine au travers d’interfaces.
Ter Minassian, Hoving, et al. « Comment trouver son chemin dans les jeux vidéo ? Pratiques et représentations spatiales des joueurs », l’Espace géographique, vol. tome 40, n°3, 2011, pp. 245-262 cité par Loïc Volat, NON JEU, Revue Laura n°23, novembre 2017, p. 36, § 1.
La publication récente de deux articles consacrés au duo artistique ElefantCat au sein de la revue Laura n°23, parue en novembre 2017 : METAGAME et NON JEU, respectivement écrits par Jérôme Diacre et Loïc Volat, nous a donné envie de publier au sein de l’AAARevue l’entretien réalisé par Sophie Payen au sein de son blog « artconseils » en septembre 2017. Depuis deux ans, elle retranscrit ses rencontres avec des artistes et des acteurs culturels dans les « Dialogues de l’art » où ils révèlent leurs regards sur l’art.
Pour introduire cet entretien, nous nous permettons de citer Loïc Volat et Jérôme Diacre.
« Jean Roukas et Charles Hilbery (elefantCat) appartiennent à cette nouvelle génération d’artistes qui ont progressivement fait de la création vidéoludique un nouveau champ de recherche exploratoire et esthétique (au même titre qu’Isabelle Arvers, Cory Arcangel ou encore Igor Keltchewsky). », Loïc Volat, p. 36, § 2
« Le « metagame » est une variante du jeu vidéo dans laquelle les choix et les options définies par le joueur re-configurent le jeu lui-même. Ce n’est plus un ensemble de règles strictes à l’intérieur desquelles une prouesse ou une habileté est mise à l’épreuve, il s’agit d’une responsabilité réinvestie par une participation plus intelligente ». Jérôme Diacre, p.34, § 4
« Le nonJeu ne comporte par essence aucune règle, celles-ci s’établissent dans une collusion visuelle, par voie contractuelle entre les joueurs, parfois même dans le silence le plus total à la discrétion de chaque joueur ». Loïc Volat, NON JEU, p. 37, § 6
« Lorsqu’il s’agit de réfléchir sur des pratiques artistiques qui s’emparent du jeu vidéo, précisément celles qui appartiennent au courant du « métagame », nous sommes alors confrontés à cette même tension inhérente à l’hyperréalisme des années 70, à savoir d’un côté une critique négative qui porte sur la dimension rassurante et main stream de ce domaine de production, et de l’autre, une portée conceptuelle qui questionne profondément les ontologies de l’image, de l’expérience de l’immersion sensorielle et de notre approche de la réalité ». Jérôme Diacre, p.34, § 1 « […] l’implication sensorielle et intellectuelle exigée par les « geek games » contribue à l’appauvrissement de l’imagination et de la responsabilité. La déception, l’incompréhension, la frustration permettent à l’individu de réinvestir cet espace par sa propre intériorité. » Jérôme Diacre, p.36, § 4
ElefantCat – L’art, le jeu vidéo et le nonJeu
Article de Sophie Payen, publié le 22 septembre 2017 au sein de son blog
Ancré dans son temps, l’artiste a toujours été à l’affût des nouvelles technologies pour faire évoluer son art. Dès les années 1990, certains d’entre eux s’étaient appropriés un média populaire, dans le sens noble du terme : le jeu vidéo. Car, n’en déplaise à ceux qui pensent que l’art doit être sérieux, le jeu a toujours été un élément important dans la création artistique.
Si les artistes se servent du jeu vidéo comme sujet de recherche – en se ré-appropriant son univers esthétique et son gameplay –, c’est cependant pour produire des œuvres différentes. En passant par le jeu, ils créent une œuvre interactive permettant non seulement de créer une dynamique plus forte avec le spectateur mais également de le faire réfléchir. Le public devient alors l’acteur de la révélation de l’œuvre. Mais dans ce cas s’agit-il d’un spectateur ou d’un joueur ? Et ce spectateur/joueur est-il vraiment en train de jouer à un jeu vidéo ? L’œuvre peut-elle faire sens sans la présence du joueur/spectateur ?…
Depuis 2012, le collectif elefantCat, duo composé de Lucas Pradalier et Charles Hilbey, questionne le jeu vidéo dans l’art contemporain. Ces deux artistes ne créent pas réellement de jeu vidéo, c’est ce qu’ils appellent le « non-jeu ». Ils nous expliquent leur démarche artistique.Le nonJeu comme une règle de l’artLe jeu vidéo est notre médium, le nonJeu vidéo notre vocabulaire artistique.Détournement absurde et poétique des codes, le nonJeu n’a aucun sens pour l’amateur de jeu vidéo et peu pour le néophyte. Bricolées, cheap, les interfaces que nous créons sont des pieds de nez à l’industrie du gaming.
À la manière de la nouvelle vague ou plus récemment d’un Quentin Dupieux qui tournent en dérision les règles d’Hollywood, nos recherches en tant qu’Artistes contemporains procèdent à un glissement du jeu vidéo vers un méta-objet. Questionner le medium par la transposition de sa propre abstraction.
Quel a été votre parcours à l’un et l’autre avant votre association ?
Charles Hilbey : J’ai étudié à l’institut d’Art Visuel d’Orléans (aujourd’hui ÉSAD) pendant cinq ans. En 2010, j’ai obtenu le Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique (DNSEP). J’ai tout de suite travaillé dans une agence de graphisme à mi-temps et j’étais membre du groupe Perox en tant que graphiste, vidéaste et choriste pendant cinq ans.
Lucas Pradalier : J’ai également étudié trois ans à l’Institut d’Art Visuel d’Orléans, puis quatre ans à l’école des Beaux-Arts de Tours où j’ai obtenu mon DNSEP en 2011. Un an après, j’étais en résidence grâce à l’association Mode d’emploi. Ensuite, j’ai eu un espace aux Ateliers de la Morinerie à Saint-Pierre-des-Corps, et depuis deux ans, nous y travaillons tous les deux.
Comment vous êtes vous rencontrés ? Qu’est-ce qui a déterminé votre association au sein d’elefantCat ?
Nous nous sommes rencontrés au lycée et nous avons passé trois ans ensemble à Orléans. On a commencé par avoir un parcours parallèle, et pendant sept ans, on s’est retrouvé ponctuellement sur des projets sous le nom de Jean Roukas – entité que Lucas Pradalier avait choisie lorsqu’il a commencé ses recherches sur le jeu vidéo.
Notre première expérience a eu lieu en 2012 à l’octroi pour Mode d’emploi. Ça a tout de suite fonctionné entre nous. On savait comment travailler ensemble. En 2015, s’associer sous le nom d’elefantCat a été une évidence pour pousser l’expérience plus loin.Nous avons été subventionnés pour nos recherches artistiques par la Région et la DRAC qui nous ont permis de nous installer, d’avoir un espace et de pouvoir nous consacrer à nos projets jusqu’à aujourd’hui. Actuellement, on recherche de nouvelles subventions.
Pourquoi elefantCat ?
Pourquoi pas !
Pourquoi avez-vous décidé de travailler spécifiquement sur l’art et le jeu vidéo ?
Dans notre collaboration, Lucas est plus accès sur ce qui concerne le développement, le code, les maths et Charles, sur le graphisme. Au départ, nous avons deux recherches personnelles, Charles est plutôt tourné vers l’illusion, les masques, les vanités, et Lucas sur « le Jeu ». L’association des deux nous a menés vers ce concept que l’on a appelé le nonJeu. Il faut préciser que c’est Lucas qui est à l’origine de ce projet puisqu’à l’école des beaux-arts, il faisait déjà des recherches sur le jeu que ce soit en peinture ou par des installations. Si nous nous sommes axés sur le jeu vidéo, c’est aussi parce que nous le pratiquons et que cela nous semblait intéressant de le travailler dans le champ contemporain.
Vous utilisez les codes du gamers mais vous ne créez pas de jeux vidéo. De quoi s’agit-il exactement ? Qu’est-ce que le nonJeu ?
On se détourne du vrai jeu vidéo, en cela qu’il manque quelque chose à chacune de nos pièces pour qu’elle soit vraiment un jeu vidéo. Beaucoup de choses peuvent naître de ce genre de projet. Par exemple, le bug et « l’injouabilité » nous intéressent particulièrement, dans le fait que l’on ne puisse pas jouer : soit parce que c’est impossible ou trop dur, soit parce-que ce n’est pas adapté.
Lorsque le visiteur est devant nos œuvres, il a l’impression qu’il joue à un jeu vidéo, avec les codes du jeu vidéo, puisqu’il peut y avoir un score, un gagnant ou un perdant ; certaines de nos pièces se jouant à deux, les joueurs peuvent se retrouver en compétition. Mais à un moment de l’expérience, il se passe quelque chose qui déstabilise le visiteur et lui fait comprendre que ce n’est pas réellement un jeu. Il peut donc croire qu’il a été berné. Pour nous, ce moment est intéressant dans notre recherche : il s’opère une introversion qui fait réfléchir le spectateur. C’est la compréhension de l’œuvre par la frustration. On offre un véritable côté ludique, un côté divertissant mais sous cette apparence, on propose autre chose. C’est là que l’on parle de détournement ou de déplacement des codes.
Les jeux vidéo sont très populaires. Mais pour 63% des français·es, cela ne relève pas de la culture. Pourtant aujourd’hui, le jeu vidéo est entré dans les collections de musées – en 2013, le musée d’art moderne de New York a acquis 14 jeux vidéo. En France, en 2015, le musée d’art ludique lui a consacré une exposition Art dans le jeu vidéo. Pensez-vous qu’en utilisant les codes du gamers, cela peut démocratiser l’accès à l’art ?
Ce n’est pas notre démarche. Le jeu vidéo est évidemment un objet culturel. Que ce soit de l’art ou pas, ce n’est pas la question. Tout le monde a joué à un jeu vidéo ou a au moins vu jouer quelqu’un.
Par ailleurs, des psychologues travaillant avec des adolescent·es nous ont contactés. Depuis 2012, lors de conférences ou de formations, on les initie aux jeux vidéo dans l’idée qu’ils puissent pratiquer professionnellement avec les ados. Parmi ces psychologues, certains vont nous dire que le jeu vidéo ne fait pas partie de leur monde et d’autres, au contraire, trouvent que comme toute pratique, on peut l’exercer avec modération, ça n’enferme pas les gens. Pour ces interventions, nous leur apportons notre regard et la façon d’utiliser ce médium.
Vos œuvres peuvent prendre des formes différentes : la réalité virtuelle(1) (tel que Destokou Femme Fontaine), le mapping video(2)(tel qu’Aurore), le jeu en ligne à télécharger (tout le monde peut télécharger Faraway sur votre site), etc. En utilisant ces différentes formes d’expression, vous réalisez des œuvres hybrides, entre art, science et technologie. Vous sentez vous plus proche du domaine de l’art ou de la technologie ?
La technologie, c’est juste un outil comme un pinceau. Nous, on questionne le jeu vidéo, c’est notre pratique artistique. On se sent proche de l’art contemporain car nos pièces sont plutôt conceptuelles. On aime le travail sur l’absurde aussi. On ne fait pas de pièces illustratives, on essaie toujours de trouver quelque chose d’intéressant à dire sur le médium.
Vous êtes deux artistes associés. Combien d’œuvres avez-vous réalisé ensemble ? Comment travaillez-vous ? Comment vous répartissez-vous les différentes étapes de vos projets ? Vous ne devez pas travailler ensemble de la même façon pour chaque projet ? Plus concrètement, par exemple, comment avez-vous procédé pour créer le pavoisement des drapeaux sur Saint Martin en 2016 pour le pont Wilson à Tours ? Ou pour votre exposition réalisée à l’Annexe : Level_Design, dans laquelle étaient présentées des bornes interactives, avec un parcours en forme de labyrinthe ?
Comme on l’a déjà précisé, Charles est plutôt dans le graphisme et Lucas dans la programmation. Mais on mélange les tâches et on fait un peu les deux. À la base on est tous les deux derrière la conception et ensuite, chacun va essayer d’avancer sur une partie du projet. C’est du ping-pong entre nous ! Lucas commence par dessiner un croquis, Charles va le re-dessiner, Lucas le reprend à nouveau, ajoute des choses, etc. Et ainsi de suite. C’est automatique. Et si l’un de nous a envie de travailler sur un point particulier, il le fait. Jusqu’ici, on a réalisé et exposé une dizaine d’œuvres interactives ensemble avec cette « méthode ».
Pour les drapeaux sur saint Martin, on a travaillé de manière assez naturelle. On s’est imposé une forme de petites contraintes, de type cadavres exquis(3). À force de se renvoyer la balle, on a créé beaucoup de drapeaux. On a ensuite fait une sélection pour le pavoisement. Lors de l’installation à l’Annexe, on était encore sous le nom de Jean Roukas. On a travaillé un peu à distance et un peu sur place car Charles avait encore un emploi de graphiste à Orléans. Ce n’est pas tout le temps facile de travailler à plusieurs, mais c’est toujours intéressant dans ce que cela produit.
Pour certains projets, collaborez-vous avec d’autres artistes ou vous travaillez exclusivement tous les deux ?
Pratiquement 80% de notre temps on travaille tous les deux. Parfois, on collabore aussi avec des musiciens parce qu’on n’est pas forcément qualifié pour faire des bandes son. Pour les premières pièces, on a collaboré avec une metteur en scène, un DJ, l’artiste Arthur Zerktouni, etc. Les collaborations nous intéressent, oui. Mais jusqu’à maintenant on n’a pas travaillé avec un autre graphiste ou développeur.
Depuis le début de l’année, une personne nous aide pour la communication et l’administratif de la structure elefantCat. On va bientôt accueillir un stagiaire, Florent Gay, étudiant en 4ème année de l’école des Beaux-Arts ; pendant trois mois, il va nous aider à faire des pièces et s’occuper de la régie pour des installations. Un autre étudiant en histoire de l’art cette fois, Loic Volat, va également passer plusieurs mois avec nous pour préparer sa thèse sur l’Art et le jeu vidéo, et va nous aider à écrire des textes sur notre travail.
La plupart de vos œuvres sollicitent la participation du public. Comment envisagez-vous le rôle du spectateur à vos œuvres ? Vous estimez par cette interactivité que le spectateur devient co-créateur, et donc que vos œuvres ne peuvent exister sans le public ou, au contraire, c’est uniquement la partie conceptuelle qui confère à l’œuvre son statut d’art et non le phénomène d’interactivité ?
On pense que l’œuvre fait œuvre à partir du moment où quelqu’un est en train de la manipuler. L’interactivité est essentielle dans nos installations. Aucune ne fonctionne seule. Cependant, une œuvre peut fonctionner seule à partir du moment où quelqu’un est devant, il n’est donc pas obligé de jouer mais il peut se contenter de regarder quelqu’un y jouer. C’est une autre perception de notre travail qui nous semble aussi pertinente.
On pourrait d’ailleurs faire un parallèle avec le cinéma. Lorsque que l’on regarde un film, on est regardeur et l’on actionne des choses en nous. Avec nos pièces, il se passe la même chose. L’interaction que l’on peut avoir avec un film, comme se projeter dans un personnage, se retrouve dans l’interaction de nos œuvres : elle est visuelle, mécanique, elle est pensée, c’est le gameplay, la manière de jouer. On le travaille d’ailleurs autant que le graphisme ou le son. Le gameplay a un sens. Si l’on décide pour une pièce de résumer l’interaction à déplacer un personnage à droite ou à gauche, c’est parce que cela a un sens. Il y a une réflexion derrière.
Nos pièces sont jouables par tout le monde, il n’y a pas besoin de savoir jouer au jeu vidéo. Il n’y a aucune difficulté, pas de piège, pas de règle complexe. Les visiteurs sont souvent assez craintifs face à la pièce alors qu’il faut juste essayer ! On ne cherche pas à donner un challenge au joueur. Ces œuvres sont aussi pensées pour que le jeu dure entre 1 à 5 minutes car les spectateurs doivent pouvoir faire l’ensemble des pièces sur le temps de leur visite.
Depuis deux ans, on a cependant une recherche fil rouge. Ce projet a pour ambition d’être un jeu plus long. Jusqu’ici la dizaine d’œuvres que l’on a réalisée sont des jeux rapides, pensés aussi pour l’installation, et maintenant, on veut créer une interaction beaucoup plus longue. Et comme elle serait disponible chez soi, sur ordinateur, la question d’installation ne se poserait plus.
L’art contemporain génère beaucoup d’a priori. Quelles sont les réactions des publics à vos œuvres ? Avez-vous des questions récurrentes ? Aujourd’hui, avez-vous un public qui vous suit ? Le connaissez-vous ?
Lorsque le public ose toucher l’œuvre, la question numéro un est : « Qu’est-ce que je dois faire ? » mais heureusement, elle s’estompe vite.
On n’a pas un public qui nous suit mais plutôt des professionnels, des artistes, que l’on a rencontré et qui suivent notre travail. Par exemple, on a des liens avec le festival Stunfest à Rennes qui s’ouvre de plus en plus aux « à coté » du jeu vidéo par des conférences, des concerts, des expositions, etc.
En France, le milieu de l’art contemporain n’a pas été toujours ouvert aux nouveautés. Comment vous accueillent-il ?
L’art contemporain n’est pas fermé aux nouvelles technologies et à l’art numérique. Au contraire, en France, il y a un engouement. La Gaieté Lyrique en est un peu le porte-étendard. Nantes a son festival de musique électronique et d’installations d’art numérique, le festival Scopitone. Le collectif One Life Reemains a été invité à Blois à la fondation du Doute l’année dernière… On le voit aussi avec toutes les bourses possibles pour l’art numérique.
Si on regarde d’autres pays, on voit qu’aux Etats-Unis, les écoles proposent un enseignement à l’ancienne, le fine art, les beaux-arts, la peinture, etc. Alors qu’en France, on est à une autre distance en termes d’enseignement dans les écoles des beaux-arts, on est à la suite de Duchamp, de l’art conceptuel. C’est plus une notion de réflexion, de développement personnel.
Vos œuvres peuvent-elles être achetées par des institutions, des collectionneurs ?
Elles sont achetables mais nous n’en n’avons pas encore vendues. On ne fait pas nos pièces pour les vendre. On a surtout envie de les montrer. Cela arrivera un jour… Pour le moment, ce n’est pas un achat de pièce qui nous fait vivre ou qui nous permet d’en produire de nouvelles mais on reçoit des aides à la création et on se finance nous-même.
L’année dernière, vous avez participé à un Workshop sur le thème du jeu vidéo et du nonJeu à l’école des beaux-arts de Tours. Pourquoi avez-vous accepté cet exercice ? Comment avez-vous travaillé avec les étudiants ? Quels étaient vos objectifs ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Au départ, on est venu avec une conférence expliquant notre travail. On avait l’idée de faire travailler les étudiants autour de cette réflexion sur le médium, le jeu vidéo, tout en ouvrant les possibilités ; ils ne devaient pas obligatoirement construire un jeu, ils pouvaient proposer un travail photographique, de peinture, etc. Cinq groupes ont été composés – certains étudiants ont travaillé seuls, d’autres en groupe – et en cinq séances, ils ont réalisé une pièce. Pour finaliser le Workshop, on a organisé un accrochage lors des portes ouvertes aux ateliers de la Morinerie.
On a noué de bons contacts avec les étudiants, comme avec Florent qui va venir en stage. On a eu de très bons échanges humainement, bien sûr. Ce genre d’intervention nous pousse aussi à réfléchir à notre façon de travailler. On fait d’ailleurs un nouveau Workshop cette année mais on aimerait proposer aux étudiants un axe de recherche plus ouvert et qu’ils ne fassent pas tous des jeux vidéo comme l’année dernière.
À Poitiers, ce genre de Workshop existe déjà avec ce questionnement sur le jeu, le nonJeu, l’art. Les étudiants viennent de différentes villes, Lyon, Paris, etc. et travaillent ensemble. Nous, on le fait uniquement avec les étudiants de l’école de Tours. On pourrait envisager de le faire aussi avec des étudiants des écoles des beaux-arts du Mans et d’Angers. Ce serait enrichissant pour tous. Être dans la transmission, travailler avec des étudiants en art, c’est quelque chose dont on a envie comme pratique parallèle.
Depuis votre association, réalisez-vous des travaux chacun pour vous, en dehors d’elefantCat ?
Charles : Je consacre 80% de mon temps à elefantCat et 20% pour le reste. J’ai une production assez importante de dessins, et je travaille avec des musiciens, je réalise des clips, des pochettes d’albums et je participe à des performances. J’ai envie de travailler avec le milieu de la musique et de l’Art vivant. J’ai aussi envie de développer un univers autre que le nonJeu.
Lucas : Comme c’était ma pratique avant, je continue à rechercher, à expérimenter et à bricoler dans le cadre du jeu vidéo et du nonJeu à temps plein.
Comment imaginez-vous l’avenir d’elefantCat ?
Radieux ! On est sorti il y a 6-7 ans de l’école. C’est long. Mais nous avons fait que grimper des marches. Maintenant, on commence à être contactés par des institutions importantes, il ne faut donc pas ralentir. Normalement, si tout va bien, l’année prochaine, on aura plus vraiment à se soucier si l’on doit avoir un boulot alimentaire ou pas. On se donne les moyens pour y arriver mais ce n’est pas évident. Quand un artiste réalise des pièces qui se vendent, c’est peut-être plus simple car de temps en temps il y a cet apport financier. Nous, heureusement, nous avons ces bourses.
Dans les Ateliers de la Morinerie, on est une centaine d’artistes dans la précarité alors que l’on travaille tous énormément. Mais en même temps, on bénéficie de ce lieu incroyable. Sans Mode d’emploi, avec Marie-Claude Valentin qui nous a trouvé des commandes et des expositions : les drapeaux, l’Annexe, l’Octroi, et sans Annie Catelas, qui gère les Ateliers de la Morinerie, nous n’existerions plus et nous n’aurions jamais existé. Et puis le soutien par les subventions de la Région et de la Drac nous stimulent.
Ce qui est intéressant en travaillant à deux, c’est la gestion des énergies. Quand l’un commence à douter, l’autre le motive. C’est une force. On ne serait peut être pas là sinon. D’où l’envie d’accueillir d’autres personnes, comme les stagiaires que nous allons recevoir bientôt. Dans ce cas, on est une force moteur. Pour l’instant, on ne se donne pas de dates butoirs pour nos projets. On est confiant.
Sur la page d’accueil de votre site, vous vous êtes représentés nus avec un bandeau noir. Cette représentation a-t-elle un sens ? Vous voulez faire passer un message ?
C’est un nonJeu car on peut supprimer le bandeau. Ça s’est fait tout seul, c’est un certain esprit, c’est notre humour. C’est comme pour le nom elefantCat, pourquoi pas ? L’important sur cette première page est de montrer que l’on est deux et que l’on travaille ensemble. C’est une manière visuelle de le montrer. Le fait d’être nu, c’est se dévoiler comme on est. Il y a une certaine intellectualisation dans nos pièces, un questionnement mais il ne faut pas oublier que l’on a aussi envie de se marrer. C’est à l’image de notre manière de vivre.
Quels sont vos projets ? Vos prochaines expositions en 2018 ?
Certains projets ne sont pas encore validés, il serait donc prématuré d’en parler. Ce qui est sûr : le week-end du 30 septembre et 1eroctobre, on présente une série de pièces lors les portes ouvertes des Ateliers de la Morinerie ; puis, le Workshop à l’école des Beaux-Arts de Tours ; à la fin de l’année, une formation pour les psychologues au CHU avec l’association Hébé du centre Oreste ; et une exposition en mai 2018 à la galerie d’exposition du passage Emmanuel Chabrier à la mairie de Saint-Pierre-des-Corps. Et on continue à travailler sur le prototype de nonJeu vidéo sur un format plus long.
- (1) réalité virtuelle : technologie qui permet de plonger une personne dans un monde artificiel créé numériquement
- (2) mapping vidéo : technologie de projection utilisée pour transformer des objets en surface d’affichage pour la projection vidéo.
- (3) cadavre exquis : jeu collectif inventé par les Surréalistes en 1925. Le principe consiste à composer à plusieurs des phrases ou à créer des dessins au hasard. Chaque participant écrit ou dessine quelque chose qu’il dissimule à la personne suivante en repliant le papier. Il est donc impossible de s’inspirer de ce qui a été fait avant. Une fois le jeu terminé, chacun peut découvrir un texte ou un dessin formé d’éléments disparates. Le nom de ce jeu est né de la première phrase supposée obtenue par ce procédé : Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau.
- (4) Ateliers de la Morinerie, 20 rue de la Morinerie, 37700 Saint-Pierre-des-Corps.