MÉDIATION
Etymologie : du latin mediatio, médiation, intervention, dérivé de medium, moyen, milieu, lien.
MEDIA
Etymologie : du latin medium (dont il est le pluriel), moyen, milieu, lien.
Cet article se propose de lancer des pistes de réflexion plutôt que de livrer strictement des définitions. Comment pourrait-il en être autrement quand les termes de médiation et d’innovation sont eux-même sujets à caution ?
Aux termes de médiateurs ou médiatrices en art contemporain, l’association des «personnes en charge des relations des publics à l’art contemporain» (association Un Moment Voulu) a d’ailleurs préféré cette locution longue mais spécifique pour s’identifier. Outre la plus grande précision des termes, ce choix a été motivé pour s’opposer à l’idée d’un conflit à résoudre entre l’art et le public, d’une remédiation nécessaire, induite par le terme de médiation. Nous vous renvoyons d’ailleurs aux réflexions et définitions qu’ils ont brillamment établies pour cerner leur champ d’activité, absent des catégories professionnelles usuelles.
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En effet, selon le Master Diplomatie et négociations stratégiques (CEI) de l’université Paris XI : « La médiation est un processus volontaire d’établissement ou de rétablissement du lien social, de prévention ou de règlement des différends. Ce processus s’effectue au travers d’une communication éthique durant laquelle les personnes s’efforcent de renouer le dialogue pour trouver une solution à leur situation. Au cours de ce processus, un médiateur, tiers indépendant, les accompagne de façon impartiale, et sans influencer les résultats tout en garantissant le respect des intérêts de chacun des participants et la confidentialité des échanges. »
(Source : Base documentaire du secrétariat général à la ville [http://i.ville.gouv.fr] : « Pour une définition européenne de la médiation. La médiation au coeur du dialogue entre les cultures. » Publié le : 19/05/2012).
Cette définition de la médiation suppose bien un « différend » à régler ou prévenir. Mais concernant l’art contemporain, il est d’usage de dire qu’il s’agit moins d’une relation conflictuelle entre l’art et le public qu’une absence de relation, une certaine indifférence plutôt qu’un différend.
Le fait est que les lieux consacrés à la diffusion de l’art contemporain (musées, centres d’art, FRAC…) ont fait partie des pionniers du développement de la médiation artistique et culturelle en mettant en place des actions concrètes pour nouer des relations plus étroites avec leurs publics.
Si nous pouvons considérer qu’une exposition est en soi une médiation entre une œuvre, ou un ensemble d’œuvres, et le public qui pourra ainsi y avoir accès, nous pouvons également constater que la simple mise en présence avec une œuvre n’induit pas sa rencontre ou la possibilité de son appréciation, jugement, compréhension, etc.
Pour qu’une véritable rencontre ait lieu, il peut être nécessaire d’aménager positivement les conditions de celle-ci. Le médiateur en art contemporain serait donc un agent favorable, parmi d’autres facteurs. Son objectif principal, d’une humilité redoutable, serait de rassembler les conditions d’une simple rencontre, et plus si affinités. Pour ce faire, il ne se situe pas au milieu, entre l’œuvre et le public, mais concourt à aménager un potentiel espace commun. En fonction de l’objet (œuvre, exposition, évènement…) et du sujet en présence (spectateur, groupe de visiteurs…), il recourra à différentes stratégies pour y parvenir. Le médiateur est dans une optique et une position de partage avec le spectateur. Il partage le même objet de regard : l’œuvre. S’agissant d’une œuvre contemporaine, spectateurs et médiateurs se situent également dans la même période historique, voire le même contexte social et culturel. Mais ce que le médiateur partage avant tout, c’est sa propre réception de l’œuvre. S’il n’a pas «reçu» l’œuvre et réfléchi ou senti à ce qu’elle implique et évoque, le médiateur ne sera pas en mesure de ménager un lieu commun pour échanger avec le visiteur. Le médiateur n’est pas là pour «expliquer» une œuvre (toujours polysémique) mais pour accompagner le visiteur dans sa propre démarche de découverte. Au cours de cet échange, il peut recevoir autant qu’il donne, comme dans toute relation inter-personnelle autour d’un objet commun de regard.
Mais l’objet de cet article est de s’interroger sur l’identification de la médiation dite «innovante».
Au sujet de «l’innovation», le Manuel d’Oslo propose cette définition générique : « On entend par innovation technologique de produit la mise au point/commercialisation d’un produit plus performant dans le but de fournir au consommateur des services objectivement nouveaux ou améliorés. Par innovation technologique de procédé, on entend la mise au point/adoption de méthodes de production ou de distribution nouvelles ou notablement améliorées. Elle peut faire intervenir des changements affectant – séparément ou simultanément – les matériels, les ressources humaines ou les méthodes de travail. »
OCDE, Manuel d’Oslo – 2ème édition – 1997
Au sujet de la médiation, quelle serait la «performance» recherchée: une meilleure adéquation avec les habitudes nouvelles de consommation de la culture et des médias?
Le dispositif de médiation usuel serait la médiation humaine, sous la forme de visite commentée (ou visite accompagnée, ludique, interactive, active…) généralement accompagnée d’outils tels que la fiche de salle, le livret de visite, le catalogue d’exposition, le dossier documentaire et pédagogique…
Le terme de médiation innovante est généralement associé à des démarches qui favorisent la participation du public et sa possible interaction avec l’œuvre ou les contenus liés à celle-ci.
Depuis longtemps des initiatives tels que des ateliers, des débats publics ou des séances de discussion, des concours ou des participations directes à l’exposition, voire des œuvres collaboratives, sont organisés dans les lieux consacrés à l’art. Cependant, à l’issue d’une recherche rapide, il est évident que la notion d’innovation en médiation concerne plutôt l’usage d’outils numériques et d’applications multimédia.
Le développement de ces outils semble acter l’apparition de nouvelles habitudes culturelles concomitantes au développement des self media. S’y dessine la figure d’un spectateur autonome et individualisé dans ses choix, ses gouts et ses connaissances tout en étant plus connecté au «bouche à oreille» des réseaux sociaux et des portails d’information accessibles sur Internet.
Ce spectateur irait lui-même chercher de dont il a besoin, ou envie, en étant pleinement acteur de ses découvertes culturelles, le tout au gré d’une circulation plus virale et fluide de l’information. Mais comment aller chercher ce dont on n’a pas connaissance? Comment découvrir ce dont on ne soupçonne pas l’existence?
Le rapport public «Culture & Médias 2030, prospective de politiques culturelles», qui met à disposition des acteurs et du public un ensemble d’outils d’analyse (fiches des facteurs, diagnostic, scénarios, défis, enjeux) indique trois dynamiques fondamentales de mutation profonde dans notre rapport à la culture : la globalisation, la mutation numérique, les rapports entre individualisme et société.
Cette mutation affecterait tous les champs de la culture. Peut-être est-ce dans cette optique que le « Programme Culture » de l’Union Européenne est devenue récemment le programme « Europe Créative » (pour la période 2014-2020) ? Ce changement de terminologie entend appuyer notamment l’aide apportée aux secteurs de la culture et de la création pour » tirer parti des atouts de l’ère numérique et de la mondialisation ».
Ainsi, l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI), créé en 2006 au sein du Centre George Pompidou, indique dans sa présentation avoir pour ambition «de participer […] à l’élaboration de nouvelles formes d’adresse au public et de contribution, de dispositifs critiques collaboratifs et de technologies éditoriales et relationnelles dans les domaine de la culture et des savoirs, à la fois en théorisant et en formalisant les technologies concernées et les pratiques sociales qu’elles suscitent, et en développant les applications culturelles et scientifiques, notamment dans le domaine muséal et plus généralement comme technologies destinées aux amateurs.»
Par exemple, un des projets auxquels participe l’IRI: «eTourisme *» a pour objectif «de développer une solution française innovante de « réalité augmentée intelligente » sur téléphones mobiles et tablettes tactiles (smart AR ou smart hyper-reality), pour offrir aux visiteurs et touristes une expérience enrichie sur le territoire français. Ces outils permettront de mettre à leur disposition une plus large variété d’offres, d’être mieux guidé avant, pendant et après leur visite, d’apprendre, de se divertir et de partager leurs découvertes de façon nouvelle. […] Les mobinautes utilisateurs peuvent ainsi se réapproprier le réel, approfondir ce qui les entoure, le commenter, être immergés de façon unique au milieu du magnifique patrimoine culturel et touristique français.».
(* aux côtés de : i-Marginal, CEA-List, des PME et start-ups,LTU technologies,DiotaSoft,XediX,des partenaires Recherche,i-Matériel.Lab (LivingLab), l’EPITA et des partenaires institutionnels,AtoutFrance,leCentre Pompidou,La Cinémathèque Française,Issy Media et de la Villa Arson).
Du spectateur à l’internaute, de l’internaute au mobinaute…
La question que pose la multiplication et l’atomisation des médias est peut-être celle de la place de ceux-ci, là où la place du médiateur était clair: pour résumer, les écrans ne feraient-ils pas écran à l’art?
En consultant des sites spécialisés, nous pouvons dégager plusieurs grandes tendances d’outils et d’applications multimédia:
- les portails d’information, généralement géolocalisés, permettant d’identifier et de filtrer l’actualité artistique (tel que AAAR)
- les visites virtuelles, se substituant plus ou moins aux visites réelles, et plus ou moins interactives et participatives
Selon le «Google Art Project», les gens passeraient en moyenne cinq fois plus de temps à regarder une peinture en ligne que dans un musée» (soit environ 1 minute contre 20 secondes). Mais selon ces statistiques également, Van Gogh et Monet seraient les artistes les plus regardés.
- les outils de préparation ou de prolongement de la visite, généralement localisés sur les sites Internet des structures
- les applications d’aide à la visite, telles qu’audioguides, parcours thématiques, commentaires et informations à la demande
Concernant les sociétés spécialisées en «médiation innovante», j’ai pu lire les termes de «gammification» de la visite, de scénographie ludique ou de parcours dynamiques.
Pour un tour d’horizon plus complet d’exemples concrets, je vous invite à consulter ce site de veille en innovation muséale: http://www.buzzeum.com/blog/
Nous pouvons légitimement nous interroger : dans le futur, l’accès à l’œuvre sera t-il facilité ou super-médiatisé?
J’imagine les visiteurs des expositions munis de «google glass», ayant accès à des informations pré-triées et orientées par le géant des moteurs de recherche, mais peut-être coupés de la grande part d’interprétation personnelle inhérente à la découverte de chaque œuvre.
En novembre 2013 aura lieu le prochain muséomix: Pendant trois jours des professionnels de musées, des acteurs de l’innovation et du monde numérique, des amateurs d’art et de sciences, et autres passionnés d’éducation et de culture vont co-créer et tester de nouvelles façons d’approcher les expositions.
Espérons que l’expérience sensible y aura pleinement sa place, sans surenchère technologique et multimédia gratuite.
Pour conclure, nous vous proposons de contribuer à cet article en nous informant des dispositifs de médiation innovante en région Centre et en nous faisant part des services et outils auxquels vous aimeriez avoir accès ICI.
À bientôt pour la suite donc,
Sandra Émonet