En relation avec Les Itinéraires, nous avons proposé à Émilie Pouzet et Quentin Aurat de réaliser librement le montage de leur entretien, réalisé par Sandra Émonet, Rédactrice en chef d’AAAR.fr, et Gunther Ludwig pour Les Itinéraires, dans le Jardin de la Vieille Intendance, à Orléans, en juillet 2015.
En leur confiant ces captations sonores, il s’agissait de les inviter à dresser un état des lieux de leur jeune parcours artistique. Ils ont coupé, taillé, et émaillé les sons d’extraits de leurs propres œuvres.
Entretien avec Emilie Pouzet et Quentin Aurat
Gunther Ludwig : J’aimerais que l’on commence par votre travail individuel, sa nature et ses lignes fortes, ses origines ?
Quentin Aurat : Lorsque je suis arrivé en école d’art, j’avais déjà une pratique de la musique régulière et l’envie de l’intégrer dans un travail plastique, mais pas dans un rapport d’illustration, plutôt en venant modifier ma pratique au sens plus large. Très tôt je me suis intéressé aux correspondances entre image et son, à faire des projets avec la présence du son. J’ai un travail que je qualifierait de fondamental : c’est souvent le médium qui se questionne lui-même, sans autre sens que la situation que je mets en place. Le son est donc mon cheval de bataille depuis 8 ans, la manière dont il se propage, dont il est reçu, transcrit dans d’autres médiums, notamment l’image.
Emilie Pouzet : Avant d’entrer en école d’art, j’étais très proche de la danse. J’ai voulu ouvrir cette danse, l’utiliser autrement, en me servant du corps grâce à un processus pluridisciplinaire qui tend à réexaminer l’outil du corps au quotidien sous des formes variées : installation, vidéo, projets participatifs. Ce qui m’intéresse c’est le corps social, celui de tous les usages.
GL : Votre formation s’est déroulée dans une école avec une spécificité design graphique. Pourquoi avoir choisi, au-delà de votre travail de designers graphiques, une démarche d’auteurs dans le champ des arts plastiques ?
QA : Nous n’excluons pas une pratique par rapport à l’autre. La pratique d’auteur arrive en plus de celle de designer graphique qui est active. Je le vis comme quelque chose de nécessaire, naturel, de faire les choses pour soi, à l’inverse du design où l’on est souvent dans un rapport de commande.
EP : Ce type d’enseignement a été très riche, à la fois basé sur des rencontres d’artistes et sur la technique aussi. Ca permet de solliciter cette double orientation dans nos projets, qu’ils soient de commande ou personnels. C’est du savoir-faire acquis, à réinvestir dans tous les types de projets.
GL : Comment est née votre démarche commune, qu’est ce qu’elle vous apporte, notamment sur le temps long d’un travail ensemble, différent de collaborations ponctuelles, temporaires ?
EP : Nous nous sommes vite rapprochés à partir de nos pratiques respectives, Quentin du son, moi du corps, pour essayer d’expérimenter des notions communes : le corps instrument, la machine…
QA : Cela nous a paru assez évident étant donné la proximité de nos références, centres d’intérêt. Qui plus est, pour certains projets de l’époque j’avais besoin de la présence d’un corps, mais qui ne soit pas le mien. Ce qui nous a mené à un premier travail ensemble, mais sans savoir que cela se développerait plus largement ensuite. Un projet comme Jack Duo – performance où nous sommes tous les deux avec un système son, le buzz du jack, phénomène sonore, instrument corporel construit à deux à partir du toucher, de la pression et d’une base de sons très bruts – vient de cette période qui nous a incité à poursuivre le travail commun. Notamment pour réaliser des recherches plus longues, avec plus de moyens aussi, imaginer des systèmes de résidence, etc.
Sandra Émonet : Comment travaillez-vous, quel est votre processus créatif ?
QA : Quand on est au stade des idées, on ne sait pas ce que l’on a mutuellement en tête. Et c’est bien de garder un peu de mystère, même entre nous. L’idée de faire ensemble un projet, ce n’est pas ouvrir toutes grandes les vannes. J’ai un tempérament très indépendant dans ma manière de travailler, ce sont des espaces que l’on s’octroie. Pour faire un projet, il faut d’abord que j’y réfléchisse longtemps, j’attends qu’il me brûle les yeux, le cerveau ! C’est aussi pour cette raison que je produis assez peu, en dehors de mon travail de graphiste. Je crois que cette façon de faire est très occidentale. Je connais des artistes asiatiques qui produisent un peu tous les jours, de manière très rituelle. Il n’y pas de bonne et de mauvaise méthode, évidemment…
EP : Je pense que cela appartient à chacun. Je fonctionne beaucoup par fragments, avec la difficulté de ménager travail personnel et plus alimentaire. Je commence seulement à trouver le juste milieu, la bonne balance au niveau du temps à gérer, à trouver pour soi. Je me laisse aussi du temps que je consacre à me nourrir, avec beaucoup de lectures, en utilisant des carnets où je note, j’inscris… Après, ce sont ces carnets qui, au moment où j’ai envie de produire quelque chose, sans idée préconçue, sont une base. Je reviens à ces notes, qui sont souvent une amorce, sans savoir ce qu’elles impliquent et où elles mènent.