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23 janvier 2017

L’analyse du Budget Culture 2017 vs Arts Visuels par la CAAP – Comité des Artistes-Auteurs Plasticiens

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BUDGET CULTURE 2017 ET ARTS VISUELS : UNE SITUATION D’INCURIE REMARQUABLE

Pour les acteurs de terrain que nous sommes, la lecture du projet de loi de finance (concernant les arts visuels dans le programme 131 du PLF) est toujours un exercice étrange, tant est grand le gouffre entre les déclarations d’intention du gouvernement, les moyens mis en œuvre et la situation réelle des acteurs du champ des arts visuels, notamment celle des auteurs des arts visuels eux mêmes.

Les effets d’annonce nourrissent la presse mais nullement les artistes-auteurs.

Alors que s’achève le quinquennat de François Hollande, force est de constater que la situation catastrophique des auteurs des arts visuels (arts plastiques, graphiques, photographiques…) n’a pas été améliorée en dépit des promesses de campagne et des divers engagements ministériels. Cette situation s’est au contraire largement empirée.

L’article 45 de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) [1] prévoit la remise aux parlementaires d’un rapport sur les arts visuels au plus tard en janvier 2017. A ce jour et à ce sujet, aucune concertation avec les syndicats des auteurs d’arts visuels n’a été initiée…

Nous demandons que le rapport sur les arts visuels prévu par la LCAP fasse l ‘objet d’une concertation avec les syndicats professionnels d’auteurs des arts visuels et qu’il soit effectivement réalisé et transmis aux parlementaires dans les meilleurs délais.

Dans cette attente, nous rappelons quelques points saillants de la situation actuelle. En effet, il nous apparaît que les intérêts moraux et collectifs des artistes-auteurs ont rarement été aussi peu, ni aussi mal pris en compte par l’État. De procrastination en procrastination, nous sommes face à une véritable incurie.

1/ Le non respect des droits d’auteur dans les arts visuels se poursuit sans entrave.

La gratuité reste la règle imposée aux auteurs des arts visuels par les diffuseurs publics ou privés. On continue d’observer une « tendance très forte des collectivités territoriales et structures publiques à ne pas respecter leurs droits patrimoniaux. Est notamment systématiquement négligé le droit de présentation publique que les diffuseurs refusent de rémunérer en faisant valoir l’intérêt que présentent l’accès au public et la visibilité offerte à un artiste, décisive pour sa carrière [2] ». Cette tendance, déjà mentionnée en 2014 par la sénatrice Madame Marie-Christine Blandin, n’a pas été inversée bien au contraire.

2/ Le développement mondial et non régulé de l’économie numérique se fait au détriment des auteurs de « contenus », notamment les auteurs des arts visuels.

« On voit ainsi, chiffres à l’appui, que les plateformes numériques américaines ont non seulement des parts de marché hyper dominantes en Europe – 90% pour Google, 77% pour Facebook, 85% pour YouTube – mais « pompent » légalement, sans beaucoup de contrepartie, la valeur générée par les créateurs et les acteurs européens du monde de la culture… Les contenus culturels ont un fort impact direct sur la génération de revenus par Facebook (43% soit 1 milliard d’euros) et YouTube (66% soit 480 millions d’euros), plus modéré pour Google (18% soit 2,8 milliards d’euros) [3]. »

À cet égard, nous nous réjouissons que l’amendement [4] proposé par l’USOPAV et la SAIF sur les moteurs de recherche d’images ait été adopté. Le CAAP s’interroge cependant sur le calendrier et les conditions de sa mise en application effective. Il est prévu que cette disposition s’applique à compter de la publication d’un décret en Conseil d’Etat et au plus tard, six mois après la promulgation de la loi.

3/ Les concours et appels d’offres imposant un travail non rémunéré aux auteur des arts visuels se multiplient.

Le travail spéculatif [5] (demander à une multitude de créateurs de produire gratuitement un projet visuel pour choisir un final l’un des projets qui est le seul rémunéré) produit ses effets dévastateurs dans toutes les professions des arts visuels et est dénoncé depuis longtemps [6].

On ne compte plus les concours ou « appels à contributions » qui demandent de fournir gratuitement des œuvres visuelles : concours de photos pour agrémenter les sites internet ou les brochures touristiques des collectivité territoriales, concours de conception d’œuvres d’art public pour « animer » des murs ou alimenter des festivals d’art visuels qui attirent les touristes et alimentent l’économie locale, concours de logos (plusieurs Régions nouvellement constituées se vantent d’avoir fait faire leur logo en interne ou par voie de concours ouvert aux lycéens ou d’appels d’offre non rémunérés, dans un souci « d’économie » ! L’économie de qui ?!?).

Dans tous les cas, les auteurs ne sont pas rémunérés pour leur travail initial et les droits d’auteur sont eux mêmes bafoués par le biais d’un règlement imposé unilatéralement par le diffuseur-commanditaire. La cession à titre gratuit des droits d’auteurs est supposée être une prérogative personnelle de l’artiste-auteur, or elle est imposée collectivement par un excès de pouvoir des diffuseurs. Chez les auteurs d’arts visuels, le bénévolat ou volontariat est en passe de devenir… obligatoire pour travailler !

À cet égard, l’USOPAV avait proposé des amendements dans la LCAP qui n’ont été ni examinés, ni pris en considération.

Nous demandons qu’il soit mis fin à ces pratiques qui nuisent gravement à l’exercice professionnel des auteurs des arts visuels.

4/ L’absence de contractualisation écrite entre auteurs des arts visuels et diffuseurs reste prédominante.

Les très faibles moyens accordés à l’USOPAV, qui est pourtant le fer de lance du chantier sur les contrats-types dans le secteur des arts visuels, ne permettent pas d’avancer suffisamment rapidement sur cette question. Néanmoins en 2016 à l’initiative de l’USOPAV, pour la première fois, un contrat-type [7] a été approuvé à la fois par les syndicats d’artistes-auteurs et par les diffuseurs du secteur (CIPAC et FRAAP), il s’agit du contrat pour les résidences artistiques.

En revanche, les artistes continuent de travailler sans contrat avec les galeries et avec divers lieux d’exposition, y compris ceux pilotés par les collectivités territoriales. A cet égard deux amendements proposés par l’USOPAV (et soutenus par la FRAAP) dans la LCAP ont été adoptés, l’un conditionne « l’octroi de subventions » au « respect des droits sociaux et des droits de propriété intellectuelle des artistes et des auteurs », l’autre stipule que « les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit. ». En ce qui concerne les droits d’auteurs cette obligation était déjà prévue depuis longtemps dans le code la propriété intellectuelle (CPI) pour les autres secteurs de la création (édition, audiovisuel…), mais pas pour les arts visuels !

Le CAAP s’interroge sur la mise en pratique effective de ces deux dispositions théoriques sachant que les structures publiques ou privées de diffusion des arts visuels sont non seulement très en retard dans ce processus de formalisation des relations contractuelles, mais aussi qu’elles ne respectent pas le droit en vigueur. Sachant également que les moyens donnés aux organisations professionnelles d’artistes-auteurs et de diffuseurs qui travaillent réellement à la professionnalisation des relations entre les acteurs du secteur (USOPAV, FRAAP, CIPAC, respectivement : 10.000€, 90.000€, 130.000€) sont loin d’être financées équitablement, ni à la hauteur des enjeux et des besoins.

5/ Non seulement les promesses d’amélioration et de simplification du régime social des artistes-auteurs n’ont pas été tenues mais la situation ne cesse de se dégrader en particulier en ce qui concerne le fonctionnement de l’AGESSA qui continue de ne pas respecter la loi.

Depuis avril 2014, il n’y a plus de Conseil d’administration dans les deux organismes sociaux (Mda-sécurité sociale et Agessa). Suite à une erreur des ministères de tutelle (culture et affaires sociales), le mandat des élus des artistes-auteurs et des diffuseurs n’a pas été prorogé (refus du Conseil d’État les mandats étant expirés). Un administrateur provisoire nommé par la DSS était supposé organiser les élections des administrateurs.
Le rôle du Conseil d’administration est notamment de régler par ses délibérations les affaires de l’organisme de sécurité sociale, de voter les budgets de la gestion administrative et de contrôler l’application par le directeur et l’agent comptable des dispositions législatives et réglementaires, ainsi que l’exécution de ses propres délibérations.

Depuis 2 ans et demi, les artistes-auteurs sont écartés de la gestion de leur propre régime. Le directeur et l’administrateur « provisoire » gèrent seuls la sécurité sociale des artistes-auteurs sans consultation, ni même information des syndicats professionnels des artistes-auteurs.

En conséquence, la Commission d’Action Sociale [8] (CAS) commune aux deux organismes sociaux qui règlementairement émanent des deux Conseils d’administration ne se réunit plus depuis mars 2014. Normalement cette commission où siège à parité Mda-sécurité sociale et Agessa, décide de la prise en charge de tout ou partie des cotisations sociales des artistes-auteurs connaissant des difficultés économiques.

L’Agessa continue ses pratiques illégales, notamment la perception systématique d’une sur-cotisation des artistes-auteurs non affiliés en BNC, l’absence d’appel de cotisations vieillesses aux précomptés, le refus de prendre en compte certains droits d’auteurs, etc.

L’apuration du passif calamiteux de l’Agessa (le remboursement des sur-cotisations et la possibilité de régler a posteriori tout ou partie des cotisations vieillesse non appelées) n’est toujours pas sérieusement envisagée par la DSS et le ministère des affaires sociales.

La carence de décision concernant l’investissement informatique nécessaire à un fonctionnement normal des organismes sociaux empêche toute progression.

Les systèmes informatiques des organismes sociaux sont obsolètes et inadaptés (l’Agessa notamment est dans l’incapacité matérielle de gérer légalement ses ressortissants). Le projet de refonte pour aboutir à un système d’information commun et opérationnel est sans cesse repoussé par la DSS (direction de la sécurité sociale), en dépit des préconisations unanimes des représentants des assurés sociaux, de l’administrateur provisoire et du directeur des organismes.

Le caractère impérieux de cette refonte informatique est indépendant de toute réforme. Le risque d’un accident industriel technologique et la simple application des dispositions légales actuelles l’imposent. En revanche, toute réforme est impossible sans cette refonte.

La réforme du régime de base est au point mort en dépit du rapport de l’IGAC-IGAS rendu en 2013 et d’un accord consensuel des organisations professionnelles, tout secteur confondus, sur un corpus de préconisations relatives à la simplification et l’amélioration du régime des artistes-auteurs. A cet égard, l’USOPAV a proposé des amendements dans la LCAP qui n’ont été ni examinés, ni pris en considération.

Dans ce contexte, l’amendement gouvernemental dans le PLFSS 2016 qui autorise le précompte de la cotisation vieillesse de base en 2019 est extrêmement dangereux. Il n’offre aucune garantie quant à l’acquisition effective de droits en regard, au champ d’application et au remboursement des éventuels trop-perçus. Les vieux systèmes informatiques existants sont dans l’incapacité de gérer une telle mesure, toutes choses restant égales, cette disposition conduirait à une forte aggravation des trop-perçus illégaux de l’Agessa.

Un décret [9] catastrophique relatif au régime de retraite complémentaire des artistes-auteurs (RAAP-IRCEC) doit entrer en application début 2017.

Il aggravera en particulier la situation des auteurs des arts visuels dont le RAAP est le seul régime complémentaire. La collecte de cotisation passerait brutalement de 30 à 70 millions !

Ce décret, pris sans tenir des capacités contributives des artistes-auteurs, impose une majoration de cotisation littéralement insupportable pour la plupart des cotisants (au final, 8% soit un mois de revenu annuel). La grande majorité des artistes-auteurs et leurs organisations professionnelles y sont fortement opposées. Une pétition [10] demandant son abrogation a été remise en main propre au cabinet du ministère de la culture le 22 mars 2016. La délégation de syndicats des artistes-auteurs qui avait été reçue n’a plus aucune nouvelle depuis. Le dialogue social n’a jamais été organisé entre le ministère des affaires sociales, le ministère de la culture et les partenaires sociaux. La contre-proposition intersyndicale des artistes-auteurs n’a jamais été étudiée.

La mise en application de ce décret nécessite un système informatique capable de gérer la modification des modalités de cotisation (en pourcentage du revenu et non plus en classes optionnelles). Ce système n’existe pas. Il était prévu que la refonte informatique des systèmes de la Mda-sécurité sociale et l’Agessa permette la collecte des cotisations du RAAP-IRCEC (l’Agessa collecte déjà depuis longtemps les cotisations du RACD-IRCEC qui concerne les auteurs et compositeurs dramatiques, du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant). L’incurie du côté du régime de base corrélée à la mise en application précipitée du décret sur le RAAP conduisent l’IRCEC à envisager de faire payer aux artistes-auteurs eux mêmes la création d’un système informatique « maison » en ponctionnant le coût de l’investissement dans les réserves normalement destinées aux versements des pensions.

L’absence totale de coordination entre les services de la direction de la sécurité sociale (régime de base et régime complémentaire) est responsable de cette situation irrationnelle qui porte hautement préjudice à l’ensemble des artistes-auteurs. Alors que la procrastination est la première urgence du service chargé de notre régime de base, le service chargé de notre retraite complémentaire a imposé une réforme non urgente, sans concertation des partenaires sociaux et sans se préoccuper, ni des conditions de son application, ni de sa relation au régime de base.

Depuis 2013, les sempiternelles « parties de ping-pong » entre ministère de la culture et ministère des affaires sociales n’ont permis aucune amélioration, ni simplification du régime social des artistes-auteurs. En revanche, le gouvernement a imposé, sans aucun dialogue social, deux décrets qui aboutiront à une dégradation de la condition des artistes-auteurs, l’un en 2017, l’autre en 2019. Nous demandons que cesse cette incurie grave corrélée à une absence de dialogue social.

6/ Le Conseil de Gestion du fonds de formation continue des artistes-auteurs à l’Afdas est suspendu de ses fonctions depuis le 15 avril 2014.

Le Conseil de gestion a été présidé pendant un an par un représentant des artistes-auteurs de l’Agessa, il aurait dû l’être ensuite par un représentant des artistes-auteurs de de la Mda-sécurité sociale. Mais l’écrasante majorité Agessa (20 sièges sur 32) instituée par le Ministère de la culture a refusé l’application de l’alternance annuelle à la présidence prévue dans le règlement intérieur. Faute de gouvernance, le Conseil de gestion s’est ainsi trouvé sous la tutelle du Conseil d’Administration de l’Afdas.

Par ailleurs, suite aux recours du CAAP et du SNSP pour excès de pouvoir, le Conseil d’État a annulé le décret [11] et l’arrêté qui déterminent l’organisation et la composition du Conseil. Cette abrogation prenait effet au 1er janvier 2015. Les formations aux artistes-auteurs ont continué à être dispensées sous la tutelle du Conseil d’Administration de l’Afdas, les commissions professionnelles instituées par le Conseil de gestion continuent de se réunir.

À ce jour, le Conseil de gestion n’a toujours pas été recomposé, cependant un projet de décret du Ministère de la culture (récemment communiqué) laisse à penser que la recomposition prévue se fera à nouveau au détriment des représentants des arts visuels.

Le 19 décembre 2014, la ministre de la culture avait déclaré devant le CNPS : « Je souhaite que, suite à l’annulation par le Conseil d’Etat du décret d’organisation, on puisse aboutir à un mode de gouvernance apaisé et pérennisé au sein du conseil de gestion. ». Or si la recomposition se fait à l’identique, les mêmes causes produiront bien évidemment les mêmes effets. Une inégalité d’accès du droit à la formation sera organisée, les principes fondateurs de solidarité et de mutualisation seront bafoués et cette déclaration ministérielle s’avèrera à classer dans la rubrique pléthorique des vœux pieux à l’égard des arts visuels.

Nous demandons que le Conseil de gestion du fonds de formation continue des artistes-auteurs à l’Afdas soit recomposé paritairement entre les deux organismes sociaux (Mda-sécurité sociale et Agessa).