« Construire une cabane est un rêve d’enfant. […] Un abri de bric et de broc patiemment construit durant l’été au fond du jardin, pour se réfugier, jouer et rêver […]. Ce havre de paix et d’aventure est aussi un rêve d’adulte. Ainsi les cabanons provençaux des calanques ou les cabanes à outils des jardins ouvriers remplissent cette fonction de refuge et de villégiature modeste »
Extraits de la conférence « Le mythe de la cabane » donnée à l’Institut français d’architecture le 13 mars 2002 (Réalités et mythes de la cabane dans l’histoire de l’architecture de 1750 à 1930) par Dominique de Font-Réaulx, conservateur au musée d’Orsay.
C’est sur cette architecture si particulière qu’est la cabane que la jeune artiste Clara Gallet, en résidence dans l’octroi de Mode d’emploi, du 15 janvier au 15 avril 2018, a décidé de se pencher.
Clara Gallet pose ses bagages à Tours
Depuis la fin de ses études, Clara Gallet enchaîne les projets, résidences et expositions. Après l’obtention d’un Diplôme des métiers d’art option Métal à l’ENSAAMA Olivier de Serres de Paris en 2012, Clara Gallet poursuit ses études aux Beaux-Arts de Bruxelles, où elle entame un Master Sculpture qu’elle achève en 2014. Elle commence à montrer son travail en Belgique, à l’issue de ses études, puis elle part en Hollande. De retour en France, c’est à Metz qu’elle complète sa formation avec un Master 2 de Scénographie puis expose in situ dans le Massif du Sancy avant de se rendre à Angers en 2016, et se trouve finalement à Tours en 2017, après un crochet à Pontault-Combault et une résidence de recherche et de transmission en milieu scolaire à Saint-Denis-De-Jouhet (36), dans le cadre de l’opération nationale Création en cours. Si elle n’a jamais mis de côté sa pratique artistique ces 4 dernières années, elle a aujourd’hui envie de se poser.
Rencontrée le 2 février dernier dans son atelier, à mi-séjour de sa résidence dans l’Octroi Sud-Est (1 place Choiseul à Tours), elle nous explique que, malgré la succession des projets ces dernières années, elle n’a pu que produire « en pointillé », de façon entrecoupée. De passage à Tours en 2017, alors qu’elle recherche un atelier sur place, elle entend parler de l’association Mode d’Emploi et des résidences qui y sont proposées. Intriguée, elle cherche à obtenir plus d’informations et rencontre Marie-Claude Valentin, coordinatrice artistique de l’association. Celle-ci découvre avec plaisir son travail, juge utile de l’accompagner et de lui permettre de « se poser » et lui propose pour cela une résidence de trois mois.
Clara Gallet profite pleinement de cet « espace-temps » offert par la résidence pour approfondir des pistes de recherches inhérentes à son travail plastique. Travailler au rythme des appels à projets (résidences, expositions, créations in situ…) a tendance à morceler le travail dont certaines facettes seulement pourront être exploitées, car il s’agit souvent de répondre à une attente particulière du commanditaire, que celle-ci soit explicite ou non.
Après ces quatre années de nomadisme, l’artiste éprouve le besoin de se poser et de permettre à son travail de se développer au quotidien en ayant un point d’ancrage. Elle cherche actuellement un endroit à Tours, un atelier mais aussi un appartement, où elle puisse produire, se poser, se reposer pour mieux voyager.
La cabane, moteur du travail de Clara Gallet
Lors de sa résidence de recherche et de transmission à Saint-Denis-de-Jouhet, sans moyen de locomotion propre, Clara Gallet réalise à quel point la nature peut finalement être absente de la campagne et des territoires ruraux. De par le faible nombre ou la fréquence aléatoire des moyens de transports en commun, c’est la voiture et ses infrastructures qui règnent sur le paysage et rythment sa découverte. Même le train ne fait que passer, sans s’arrêter. Telle une exploratrice à contre-temps, Clara se promène, parmi les ronds points et les terres agricoles, aux bords des terrains et des jardins pavillonnaires. C’est à ces lisières qu’elle remarque ces petites architectures singulières que sont les cabanes.
Cabanes au fond de terrains privés, cabanes d’ouvriers, abris de jardins : toutes ont le point commun d’être des constructions populaires, qui répondent à une nécessité de construire rapidement et pas cher, avec, dans la plupart des cas, des matériaux de récupération. De vieux volets, des fenêtres usagées, des bardages en bois, des tôles rouillées et quelques bouts de murs en ciment pour les plus élaborées, les cabanes prennent parfois des allures de sculptures, mais ont toujours la finalité fonctionnelle d’abriter. Elles servent souvent de cabane à outils de jardins, jardins où poussent ces constructions singulières.
Au delà de leur aspect pratique, les cabanes matérialisent une occupation symbolique des terrains sur lesquels elles se trouvent. Elles permettent de s’approprier les territoires. Cette forme de domestication de l’espace offre un contraste saisissant avec le manque de maîtrise plus globale des distances, des déplacements ou de l’isolement géographique. Au seuil de la cabane, devant un terrain cultivé avec amour, ce train qui passe à grande vitesse ne fait que rayer le paysage et reste insaisissable.
Alors même que Clara Gallet cherche des cabanes à photographier, elle constate que de nombreuses lignes de chemin de fer ont été abandonnées avec le temps, provoquant l’éloignement de certains territoires, tandis que d’autres, souvent métropolitains, sont toujours plus irrigués par de nouvelles lignes de TGV. Le train lui apparaît comme un réel outil de compression ou de décompression des distances. Celui-ci est un marqueur du paysage, mais aussi une donnée géographique. Ce moyen de locomotion rend élastiques les rapprochements ou les éloignements, car la distance se mesure en temps de trajets et en nombre de détours.
Finalement, c’est en mêlant ces différentes pistes de réflexion (la cabane et ses matériaux mais aussi l’univers qui l’entoure et en particulier l’omniprésence du train) que Clara Gallet s’est lancée, depuis le début de sa résidence à Tours, dans la construction d’une cabane un peu particulière.
Une idée peut en cacher une autre
Dans la note d’intention de sa résidence auprès de Mode d’Emploi, Clara Gallet écrit :
« Ma pratique s’inspire […] de paysages, d’environnements réels ou fictifs. J’aime en imaginer des visions d’ensemble ou en extraire des caractéristiques. Je cherche à en proposer une autre perception, cela passe par le changement d’échelle, la ré-interprétation de formes ou la mise en relation d’un ensemble de détails. ».
Dans son travail en cours de réalisation, la plasticienne s’est d’abord basée sur ses photos d’abris et de cabanes de jardins, prises au cours de ses promenades. Aujourd’hui elle considère cette collection davantage comme un outil documentaire. À partir de ces prises de vues, elle a réalisé un certain nombre de dessins, plus ou moins techniques. Ces études graphiques lui ont permis de visualiser les structures et d’étudier les matériaux de construction utilisés. Elle a même réalisé des études architecturales assez poussées en déduisant des plans de montage rétrospectifs sous forme de vues éclatées.
À la suite de ses observations des Lignes à Grande Vitesse qui passaient non loin des cabanes étudiées, Clara Gallet a pu distinguer deux réalités d’espace bien différentes l’une de l’autre : les passagers du train qui regardent sous leurs yeux défiler le paysage sans trop y prêter attention et sans jamais s’y arrêter, et les propriétaires des abris qui voient sans cesse passer le train aux abords de leur terrain, mais un train qui ne s’arrête pas.
Comparant le train à une navette parcourant et faisant exister une ligne droite, telle une note continue sur une partition, elle a souhaité « lire entre les lignes », parcourir de nouveaux espaces et créer des interstices, montrer qu’un monde existe entre deux gares TGV.
Si Clara Gallet avait d’abord songé à fabriquer une rame de TGV avec les mêmes matériaux que ceux qui composent les cabanes ouvrières, elle a finalement entrepris la construction d’une cabane en forme de cabine de conduite de TGV.
Parallèlement à cette petite construction individuelle à échelle humaine, l’artiste réalise des cartes temporelles, où le train apparaît comme un marqueur, un objet permettant de mesurer la géographie.
En se basant sur le nombre de trains quotidiens à partir d’une ville placée au centre de sa carte, l’artiste a effectué de savants calculs lui permettant de noter des « points d’éloignements » sur des abscisses et des ordonnées géographiques et temporelles. Ainsi elle a effectué une moyenne du temps pour parcourir un trajet entre deux villes, selon les différents trains proposés. Sur une carte circulaire, elle a ensuite positionné chaque chef-lieu de départements selon leur axe par rapport à la ville centrale (où se situe la gare de départ des trajets étudiés) et leur distance en train de cette même ville. Une carte ayant pour centre Paris, une Tours et une Guéret ont ainsi été créées, donnant lieu à des cartes élastiques, où la France paraît plus ou moins reconnaissable.
Ces explorations plastiques et mentales, ces découvertes articulées qui nous entraînent dans de nouveaux lieux « où l’on ne s’arrête pas lorsqu’on va d’un point A à un point B » sont à découvrir lors de la sortie de résidence du 12 au 15 avril 2018 (vernissage le jeudi 12 avril 2018 à 18h).
Clara Gallet présentera l’état d’avancement de sa cabine/cabane, sa sculpture pénétrable et démontable qu’elle accompagnera des cartes temporelles et des pièces annexes ou préparatoires (photographies, dessins, maquettes, vues éclatées, etc) comme autant de pistes en suspens.
Lors des conversations que nous avons eu le plaisir d’avoir avec l’artiste, celle-ci nous a dit être plus nourrie par des œuvres littéraires que par des œuvres plastiques, plus particulièrement par des récits de science-fiction et des uchronies. Elle mentionne par exemple l’influence de l’œuvre de Philip K. Dick.
Son travail en cours, à base d’observations et de constructions de cabane/cabine de TGV, de cartes temporelles et d’explorations d’interstices ou de distances, entre ainsi en résonance avec la création sonore « Fragments Hackés d’un Futur qui résiste » d’Alain Damasio (produit par Phaune Radio en 2015) et avec le roman « L’île de béton » de James Graham Ballard où un automobiliste qui quitte la route devient une sorte de Robinson vivant dans l’envers de la ville :
« Malgré toutes les déceptions endurées quand il luttait pour s’évader, il s’accrochait encore à l’espoir de ce miracle : un conducteur freinerait un jour, s’arrêterait, viendrait le chercher ».
La résidence, station de départ ou simple arrêt ?
Pour Clara Gallet, la résidence d’artiste, à la fois moment et espace-temps, permet souvent à la réflexion artistique de se raffiner, sans l’urgence de la productivité et sans les contraintes d’un appel à projet spécifique. Il s’agit d’un lieu de travail et de vie où il est possible de se poser dans un endroit qui devient progressivement familier. Marie-Claude Valentin nous confie d’ailleurs que lors de la résidence à Mode d’emploi, les jeunes artistes invités ont toujours découvert de nouvelles manières de travailler et ont développé une confiance accrue pour réaliser un art qui leur est propre, la plupart du temps très éloigné de leurs réalisations en écoles d’art. Clara Gallet ne montre par exemple plus rien de son travail réalisé lors de ses études, car cela “ne représente pas [son] travail”.
Conçue comme un lieu de réflexion, de conception, de construction mais aussi de rencontres entre anciens et actuels résidents, la résidence de Mode d’emploi s’articule toujours sur les besoins, les désirs et les volontés des artistes invités. Par ailleurs, un temps d’ouverture au public permet d’ouvrir l’atelier et de prolonger les échanges avec les amateurs ou les professionnels de l’art, de partager le projet en cours ou déjà réalisé, de lui donner sa première existence publique.
Le climat à la fois professionnel et convivial que propose Mode d’emploi autour de la résidence, et en lien désormais inaliénable avec l’artiste, explique peut-être, au moins en partie, le grande nombre d’artistes qui, venus en résidence de 3 mois, ont finalement posé leurs valises pour s’installer à Tours. Cette résidence, aux portes du centre-ville, leur a permis de s’acclimater en douceur à leur nouvelle ville d’adoption, leur nouvelle base géographique de travail et de vie.
Attention à l’ouverture des portes
Une résidence se conclut en générale par une rencontre : une rencontre entre les spectateurs et l’artiste, entre les idées et les faits, entre l’objectif et la finalité, entre les rêves et la réalité. Le travail d’un artiste en résidence ne donne pas forcément lieu à une exposition, mais tous souhaitent au moins ouvrir leur atelier et partager leurs questionnements, leurs pistes de travail et leurs découvertes plastiques.
Marie-Claude Valentin nous parle du « recul [sur le travail réalisé] qui arrive avec l’ouverture de la résidence », lors des prises de parole, des mises en espace, du regard curieux que les artistes portent sur leur propre production, leurs projets et leurs recherches.
Article rédigé par Manon Debarre et Nicolas Thomas dans le cadre de leur stage professionnel en master 1 culture et médiation des arts du spectacle, sous la direction et avec la participation de Sandra Émonet / Photographies de Manon Debarre et Nicolas Thomas.