Le 20 juillet 2003 à « Jérusalem », autour d’un repas préparé à la maison par Françoise Bermès. Fabrice Cotinat, Henrique Martins-Duarte, David Legrand pour la Galerie du Cartable ; Kathy Alliou et Jean-Marc Bermès pour l’A.A.A. «En attendant les cerises productions».
J-MB : Comment nous sommes-nous rencontrés ?
FC : Aux Rencontres philosophiques de Vouillé, dont le thème était, en 2002 : « Pouvoir du corps, corps au pouvoir ». Nous avons été invités, David et moi, sur proposition du Frac Poitou-Charentes.
DL : Notre réponse à cette invitation a été de prendre comme point de départ un film de Jean-Marie Straub et de Danièle Huillet : « Les yeux ne peuvent pas en tous temps se fermer ou peut être que Rome se permettra de choisir à son tour », réalisé en 1969 sur le Mont Palatin à Rome, avec comme argument les luttes de pouvoir dans la Rome du Bas Empire et, pour nous, d’apparaître dans le paysage de Vouillé, en toge, comme des personnages du film.
HM-D : Le film des Straub est lui-même l’adaptation d’une pièce de Corneille : « Othon », qui met en scène des luttes de pouvoir, des intrigues de cour dans l’Empire romain, où, à côté d’une magistrature corrompue et impuissante à empêcher des putsch, le Peuple apparaît comme le véritable souverain et décide qui sera empereur. Le film des Straub transporte les personnages de Corneille à l’époque actuelle, dans le cadre les ruines de la Rome antique.
DL : Notre travail consiste à placer les personnages du film hors du cadre et dans la réalité du colloque de Vouillé.
HM-D : La scène d’Othon, à Vouillé, ne devait avoir lieu qu’une fois. La scène 1 de l’acte 1, qui est la scène d’exposition, met en place les luttes de pouvoir à la cour impériale de Rome. C’était le propos initial de cette action.
J-MB : Peux-tu me rappeler, Fabrice, quel est le dispositif de cette action ?
FC : Nous surgissons de manière anachronique, en toge, dans le paysage actuel d’un parc ouvert au public, en portant sur le dos le dispositif technique : la galerie du cartable.
DL : La collision anachronique se fait entre le port de la toge et celui du dispositif technologique du cartable vidéo.
KA : Ce premier projet, l’épisode d’Othon, est-il à l’origine de la création de la galerie du cartable ?
FC : Le Cartable existait déjà. L’origine était de construire notre propre galerie que l’on voulait portative.
DL : L’origine, c’est simple, vient d’un manque. On sortait de nos études, on n’avait pas de galerie, on n’avait pas de moyens de diffusion, chacun vivait dans des villes différentes, on avait besoin d’un outil commun de diffusion. Ce qu’on dit habituellement, Fabrice et moi – Henrique nous a rejoint ensuite – c’est qu’on avait d’abord un travail de sculpture. Nous étions encore dans une période charnière, la fin des études et la possibilité de commencer à exposer. En même temps, on était subordonné à des petits boulots et comme entre ces petits boulots on faisait un certain nombre de trajets pour rentrer simplement chez nous le soir, on s’est dit que le meilleur moyen d’employer ce temps libéré, de le rendre fructueux, c’était de rendre notre travail de sculpture fonctionnel en l’incorporant à notre propre structure de diffusion. La seule forme de temps libre, c’étaient les marches entre le travail et chez nous. On devait, en marchant, fabriquer un lieu qui permettrait de montrer ce qu’on faisait.
J-MB : Je ne savais pas tout ça : quand j’ai rencontré Fabrice je le croyais seul porteur du cartable. Quand je suis allé à Vouillé, j’ai vu que vous étiez deux, en toge ! J’en ai parlé à Kathy : « C’est un événement ! il faut les prendre ! C’est notre programme ! Ça correspond très bien à ce qu’on veut à l’Appart’, je vais en parler à Fabrice. » Je lui en parle et, qu’est ce qu’il me répond ? Il me répond : « On est trois ! » Est-ce que tu peux me parler de ça ?
FC : On est trois parce qu’on était déjà trois à l’époque.
DL : En fait, on se connaissait déjà depuis dix ans, on a fait nos études au lycée ensemble. Et comme en 1999 on était séparés, on a décidé de se doter d’une structure de diffusion commune qui s’est transformée en cartable vidéo. On a toujours considéré les arts plastiques comme un lieu et on a toujours fabriqué des lieux pour montrer notre travail. Comme on n’avait pas de lieu, on a décidé que le cartable serait notre lieu, qu’il nous accompagnerait partout où on irait.
Quelle est la forme de portage qui nous accompagnerait ? Cette première forme c’est d’abord un sac. Ce n’est pas une idée récente, Robert Filliou avait fabriqué un sac à œuvres qui l’accompagnait partout où il allait.
C’était une période où on n’avait pas de base de logement, donc on était assez fluctuants. Comme on se déplaçait tout le temps, on a décidé de fabriquer une sculpture de diffusion à porter. C’est devenu un cartable parce qu’on a décidé de cette forme là, étant donné qu’on avait déjà développé des formes liées à l’école, individuellement.
FC : En fait, on avait déjà, individuellement, transformé du matériel scolaire en sculpture.
J-MB : J’ai d’abord cru que le cartable était dû à la seule ingéniosité de Fabrice, lorsqu’il l’a présenté dans le cadre d’une résidence scolaire à Angoulême. D’autant plus qu’il inaugurait ainsi la production de l’Archéopoïétographe, maintenant acquis par le FRAC Poitou-Charentes, ce qui faisait de Fabrice, pour moi, une sorte de génie à la Panamarenko.
H M-D : Quand j’ai rejoint la galerie du Cartable, il y avait bien déjà deux univers artistiques dont le Cartable formait la synthèse : celui de Fabrice Cotinat et celui de David Legrand.
DL : On va dire que Fabrice faisait des robots et que je faisais des enfants monstres. Le cartable est un hybride de ces deux formes de sculpture, formes qui existaient déjà dès le collège Marcel Duchamp où nous nous sommes rencontrés. Le Cartable est vraiment l’objet qui fait la synthèse de deux expériences plastiques, celle de Fabrice avec une partie technologique et d’animation : animer l’inanimé, on va dire, et de moi, qui faisais des figurines complètement inanimées. On a décidé un jour, grâce à l’ingéniosité des constructions de Fabrice, d’animer mes formes inanimées, et c’est devenu ce cartable vidéo.
KA : Et toi, Henrique, quelle est ta participation dans la galerie du cartable ?
HM-D : On se connaît depuis le lycée. On s’est rencontré dès la première année du collège Marcel Duchamp, où nous avons eu tout de suite des projets en commun. Je suis parti ensuite, j’ai entrepris des études littéraires, et lorsque le Cartable a été présenté à Bourges, pour « La République des enfants », David m’a proposé d’écrire un texte sur cette exposition.
DL : Sur le site de « Dans la République des enfants » d’où émergeait le Cartable, et le Cartable serait le lieu mobile de la « République des enfants ». La galerie du cartable est devenue l’une des extensions de la « République des enfants » à travers nous trois.
HM-D : Et c’est une extension qui a pris toute la place.
J-MB : Quand on vous a invités à l’Appart, c’était pour réaliser une étape supplémentaire dans la démarche, déjà le Cartable était rentré dans l’Histoire. Il était question de faire rentrer un nouveau personnage technologique dont j’avais eu vent par Fabrice. il disait qu’il se faisait fort de fabriquer une « Vélocaméra ». Finalement, le passage par l’Appart ne devait-il pas être le passage de la Galerie du Cartable à la Vélocaméra ?
FC : En partie oui, ça allait être le lieu de réalisation de la Vélocaméra, mais c’était aussi le lieu de continuité de tout ce qu’on avait déjà élaboré, qui était toujours en cours…
DL : On trimballait depuis 99 un certain nombre d’idées et de projets qu’on n’avait pas déposés (rires) lorsque le projet d’un appartement pour poser une forme en lieu de vie et d’atelier…
FC : on appelait ça une base d’ailleurs parce que…
HM-D : C’était vraiment la première fois … (rires) Comme on habitait chacun à un endroit différent : David à Marmagne, moi à Nantes, Fabrice dans la région parisienne, on n’a jamais eu vraiment d’endroit stable où travailler ensemble. Avec la résidence à Poitiers, on avait enfin une base pour se réunir, travailler ensemble de manière constante, construire un projet dans la durée, au lieu de se consulter de manière rapide, de se réunir avec l’un alors que l’autre ne pouvait pas venir. C’était, pour la première fois, un vrai travail collectif. On a pu utiliser une base pour un vrai travail collectif.
DL : Pour la première fois on ne travaillait plus par le manque. La galerie du cartable a été conçue par le manque de lieu de diffusion pour nous, la Vélocaméra a été conçue par le manque de caméra. Pour la première fois, l’Appart nous a permis de reformuler tout ce qu’on avait fait depuis 99.
J-MB : Je conçois bien que l’Appart a été un lieu de réunion pour vous trois, mais, du point de vue de la réalisation de la Vélocaméra, des systèmes techniques, Fabrice s’en foutait complètement, il avait besoin d’un atelier ailleurs pour ça. Est-ce que l’Appart vous a été vraiment utile, de ce point de vue ?
FC : De ce point de vue, effectivement non. Du point de vue de la réalisation technique, non. Mais comme l’ont dit Henrique et David, par le fait qu’on était rassemblés, on a pu effectivement avancer sur toutes ces choses qui étaient en cours et qui n’avaient pas pu être réalisées avant. Elles ont trouvé ici leur expansion, plein de parcours, les essais, les parcours dans Poitiers, la création du cabaret d’écoutes, le ciné-club. On a pu réaliser ce qui était représentatif de nos idées, faire un véritable laboratoire de création. Même s’il n’y avait pas d’atelier technique, le laboratoire de création était présent.
DL : Et pour la première fois on pouvait travailler à un rythme commun, dans une unité de lieu. Vous nous avez offert ça, ça c’est clair.
KA : Justement, sur la question du manque, et au-delà de la forme sculpturale du cartable et de l’outil de diffusion autonome de vos propres travaux : peut-on parler d’une fonction de générosité du cartable, mise en œuvre, notamment, par des invitations d’artistes, dans cette base mise à votre disposition à Poitiers ?
FC : Ça c’est notre vision de la coopération.
DL : Si la coopération c’est de la générosité, alors on est généreux. Au départ on est coopératifs, depuis le début, c’est à dire qu’on a jamais travaillé seuls, même si chacun a son travail personnel. On a toujours eu un rythme collectif, On formait déjà un collectif d’école, on n’a jamais travaillé en dehors d’un collectif, jamais.
KA : Je ne faisais pas tant référence à votre travail à trois, qu’aux invitations auxquelles vous avez régulièrement procédé.
DL : À partir du moment où notre style de travail était collectif on a toujours cherché des collaborations, d’autres propositions artistiques de tierces personnes, on a imaginé dès le départ un lieu de collaboration, le Cartable était évidemment un prolongement de ces collaborations.
HM-D : Comme dans une galerie, dans une galerie y a pas que les trois artistes, il est évident qu’on invite d’autres personnes à exposer. Quand j’ai commencé à travailler avec la Galerie du Cartable, c’était autour d’un projet de diffusion vidéo d’artistes invités à produire pour la Galerie. On était déjà, avec l’objet cartable, dans la logique de l’appartement et de l’espace en tant qu’espace d’exposition et de monstration, comme nous l’avons mis en œuvre à Poitiers.
DL : Très vite on a voulu casser l’objet Cartable, au sens où le cartable ne serait plus seulement l’objet technologique que l’on porte, mais pouvait devenir, comme on l’avait écrit dans « La politique du piéton », un lieu conceptuel sans parois et qui permettrait à un certain nombre de personnes de réaliser des films pour le Cartable. Finalement, le Cartable ne serait que le dernier témoin visuel de ce lieu beaucoup plus large et plus abstrait qu’était la galerie du cartable, qui est finalement un lieu sans murs.
KA : C’est en ça que votre projet rejoint le nôtre, (nous en tant que médiateurs, vous en tant que créateurs). On avait pensé à un lieu tel que tu viens de le décrire, ce qui peut expliquer la confusion dans l’esprit de certaines personnes, la difficulté à distinguer notre projet du vôtre et finalement l’appellation globale du lieu de résidence : « La galerie du cartable ».
DL : Il faut dire aussi que pour la Galerie du Cartable, les parois sont meubles, mouvantes, fertiles. Dans la coopération, il y a toujours ce ferment, une certaine excitation liée au travail de groupe auquel on a toujours tenu. Ce ferment là ne nous a jamais quitté.
FC : Pour répondre à la question des relations entre le Cartable vidéo et l’Appart, nous on avait notre lieu, notre galerie dans le Cartable. Vous nous proposiez un lieu de vie et de travail, qui n’est pas un lieu d’exposition, en même temps, là-dessus, ça collait très bien.
DL : En vocabulaire technologique on peut dire que vous avez été nos « Provider ».
J-MB : Oui, mais en même temps, il y avait quelques impératifs, tels que de rencontrer le public de Poitiers, aussi bien dans le centre ville que dans l’environnement proche du quartier Rivaud. Est-ce que ce cahier des charges vous a créé des problèmes ou vous a amené à développer votre idée ?
HM-D : Ça fait partie de la définition du Cartable, la Galerie du Cartable est une galerie piétonne et nocturne. Par définition, elle va vers les gens. On va présenter des vidéos vers les gens, on va vers le public. En l’occurrence, il y a eu au moins trois interventions dans les rues de Poitiers, ne seraient-ce que les soirées organisées ensuite à l’Appart, les ciné-réclames, les expositions mobiles avec la Galerie du Piéton, les tournages avec la Vélocaméra…
DL : Dès qu’on sort dans la rue, ce n’est même pas qu’on va vers le public, c’est qu’on est public ! On est dans le public, pour toucher le public il suffit de le toucher.
FC : Est-ce qu’on en est contents ? Est-ce que le public poitevin en est content ? Ça, on n’en sait rien.
DL : L’intérêt d’être public, c’est qu’on est confronté avec toute la notion publique et pas seulement avec un groupe déterminé. Et il faut accepter ça, c’est à dire l’indifférence publique, puisque les gens peuvent soit s’arrêter, soit ne pas s’arrêter, nous suivre, ou ne pas suivre. Cette improvisation dans la rue, on l’accepte totalement : l’indifférence, on l’accepte totalement, les hasards des rencontres, les interpellations, ça fait partie de tout ça. C’est quelque chose qu’on n’aurait pas forcément avec un groupe de public déterminé. Les gens passent, s’écartent pour nous laisser passer, d’autres s’intéressent, c’est toute l’improvisation publique.
JMB : Encore faut-il que votre dispositif fonctionne… (rires) J’ai le souvenir de certaine caméra qui ne communiquait pas avec l’écran… (rires) et si vous n’aviez pas fait de rencontres fertiles à Poitiers, ceci serait un débat parfaitement académique !
DL : Et en même temps, la précarité de notre technologie nous amène toujours à faire dériver les projets, les projets dérivent grâce à cette précarité.
KA : On peut parler de notre mécène technique, Emmanuelle, rencontrée dans cette dérive.
J-MB : On peut parler ici de la contribution impromptue de certains professeurs de l’École Supérieure de l’Image, par exemple ! d’Emmanuelle Baud pour ne pas la nommer …
HM-D : On a une technologie qui dérive, en raison de sa précarité.
JMB : Enfin ça c’est absolument contraire à la conception même de la civilisation technique, qui veut que la technique soit maîtrise !
HM-D : Là on est dans l’hybridation, on est pas dans la sûreté technique. On fait des hybrides. On ne fait pas des jouets technologiques, on fait dans l’hybridation…
JMB : Dans l’hybridation de quoi ?
DL : On est dans l’hybridation, tout simplement de l’artisanat et d’une technologie industrielle.
HM-D : On est dans les extensions du corps, en fait, le cartable c’est une prothèse, voilà !
JMB : Je pense effectivement que le concept de prothèse est le plus adéquat, comme liaison entre un corps dont toutes les réponses ne sont pas connues à l’avance et une technique qui ne sait pas ce que le corps lui veut.
Dl : C’est vrai que celui qui porte le Cartable devient un organisme particulier. Il forme un organisme public, avec toute la précarité d’un organisme, d’une matière vivante, effectivement. Et le Cartable a la fragilité d’une matière vivante, quand il est porté.
KA : Tu parlais de la nature collaboratrice de votre travail en général… Par extension, il inclut des formes d’emprunt ou de références à des personnages historiques et à des auteurs. Peut-on traduire ces relations par une forme d’hommage ?
DL : Je sais pas si c’est des hommages, en même temps, par exemple, je reviens à cette question que Jean-Marc m’avait posé : « Les idées révolutionnaires sont-elles des documents historiques ? » (rires)
JMB : Elle lui reste en travers de la gorge, celle là !
HM-D : Il en parle deux fois par jour !
DL : On a un travail qui peut s’apparenter à l’hommage, mais qui pour nous est une forme de maintien des idées. Pour nous, effectivement, il ne faut pas que les idées révolutionnaires deviennent des documents historiques, parce que ça doit rester de la matière vivante, et ces idées, pour qu’elles restent vivantes, parfois on les reprend, on les retraduit, grâce à notre dispositif de prothèse. On les retraduit à travers notre organisme hybride, comme « Othon », par exemple. Pour que les idées restent vivantes, elles traversent cet organisme hybride, le porteur du Cartable. Lorsqu’ « Othon » a été montré en 1969, il a eu certains effets, liés aux circonstances, à la situation politique de l’époque. Aujourd’hui, si on décide de réutiliser cette forme et de porter la parole politique à travers la mise en scène politique des Straub, on sait qu’en reportant ça à travers l’organisme hybride du Cartable, on va aussi proposer une forme d’activisme anachronique, et ça, ça nous intéresse, par rapport, tout simplement, à la situation des artistes actuels, ou même la manière dont ils se présentent, des attitudes activistes qu’ils prennent…
HM-D : Le problème, avec le mot hommage, c’est que, lorsqu’on rend un hommage, c’est par définition, à quelque chose ou à quelqu’un de mort. On n’est pas dans l’hommage, lorsqu’on reprend des idées, lorsqu’on fait Othon ou les expositions historiques à la galerie du cartable, ou certains films, c’est le maintien des idées et tout le reste va dans ce sens.
FC : C’est la réactivation des idées.
HM-D : C’est la réactivation et la régénération : lorsque Straub reprend Corneille c’est cinq siècles après et nous trente ans après Straub. Straub régénère une question politique qui est vieille de cinq siècles et Corneille reprenait une question politique qui était vieille de mille ans. On traverse toute l’histoire de l’humanité, et les idées ne sont pas mortes.
DL : Et la régénération fonctionne comme la régénération biologique, c’est à dire qu’on régénère une fonction d’Othon qu’on se réapproprie, pour la confronter au présent
HM-D : La matière est vivante et les idées sont vivantes.
J-MB : Je comprend très bien le contexte épistémologique, biologique, de votre démarche, ce que je saisis moins bien, c’est la finalité politique de votre action.
HM-D : La politique c’est celle du piéton. On n’est pas dans une idéologie, on est dans une esthétique.
J-MB : Il y a une distinction à faire, là.
HM-D : Lorsqu’on présente des films de Dziga Vertov, dans un ciné–club, lorsqu’on fait des films à partir des films de Straub et Huillet, on sait qu’ils sont assez lourds idéologiquement. Ce n’est pas cette idéologie qui nous intéresse, mais les formes esthétiques qui ont été développées par cette idéologie. Ce sont ces dispositifs de création développés par cette idéologie qui nous intéressent.
DL : Dans le contexte artistique actuel – on est dans le contexte artistique actuel, il ne faut pas oublier ça – on dégage une attitude. C’est pas rien de se présenter là où on l’a fait, dans des structures, habillés en toge, alors que les activistes, aujourd’hui, sont dans des effets de simulation, une sorte de « bœuf », y’a quelque chose de la performance « tripale » ou alors dans un discours polémique qui peut aller jusqu’à perturber une situation. Pour nous, cette perturbation est interne à la langue de Corneille, elle est interne à notre dispositif, finalement on a choisi d’être des activistes statiques, en toge, qui portons une activité politique ancienne, la conséquence de tout ça, c’est une forme esthétique qui peut paraître désuète, mais qui, dans le contexte artistique actuel nous apparaît comme une sorte de refus de…
HM-D : On n’est pas dans la mode !
FC : Ils sont toujours présents, on ne fait que les régénérer, on n’avance pas de nouveaux slogans.
DL : On n’est pas dans le slogan, la manifestation, l’art engagé. On a choisi de s’obstiner, en toge.
JMB: Ce qui vous intéresse, c’est que vos attitudes, comme dirait l’autre, deviennent formes (rires de Kathy), plus qu’elles n’aboutissent comme programme d’une revendication.
HM-D : Nos références ne sont tout de même pas innocentes, Maïakovski, Vertov, Straub… mais on ne va pas non plus défendre la dictature du prolétariat. La revendication est dans la défense des formes. On défend une esthétique. On est dans un activisme esthétique, l’idéologie, elle vient après. On essaie d’aller moins vers un public – c’est trop restreint – que vers les gens : on les invite à venir. Lorsqu’on présente Corneille dans la rue, devant l’office de tourisme à Deauville, avec des gens qui restaient ou qui ne restaient pas, il y avait cette volonté d’apporter Straub et d’apporter la parole de Corneille, une parole qui n’est plus audible, qui n’est pas écoutée, qu’on n’apporte pas aux gens. Quand on voit les théâtres de rue, c’est de la « pignolade », des marionnettes ou quelque chose comme ça. Là on apporte une certaine forme de culture, il y a une certaine forme d’exigence qui, effectivement va vers l’agit-prop, mais qu’on détourne aussi à notre manière.
DL : En décidant de sortir des personnages cinématographiques des films, on a aussi choisi d’exposer nos corps, des corps d’artistes, des corps parlants, exposés à travers des personnages cinématographiques. Déjà, l’idée d’exposer des corps, c’est à dire des images, à l’extérieur du cadre, c’est déjà nous exposer, exposer nos corps. Il y a une collision, effectivement, entre le présent, le passé du film, et l‘histoire, qui, effectivement, nous traverse en permanence.
J-MB : Oui, mais est ce que vous ne déléguez pas vos corps à des mécanismes dont l’automatisme suffit à produire ce qui vous convient ? Est ce que ce n’est pas le robot qui se charge de produire l’image plus que votre projet ?
FC : J’ai un exemple, celui de Duchamp et son « Grand verre ». On ne lui demande pas la partie technique, comment il a conçu son Grand verre, malgré la présence d’une technique de précision dont il parle, imaginons que le Cartable soit notre Grand verre, la partie technique n’apparaît plus : il est rempli de choses : toutes ces références, ces invitations de gens, d’artistes, ces slogans : c’est son contenant. Le contenu technique est présent mais il disparaît quand même. Le film réalisé va précéder la forme, à un moment donné, la technique passe par ce contenant, il y a bien une forme technique de la vélocaméra, mais c’est le film qui en fait l’existence plastique, esthétique.
DL : Le mode d’exposition de nos corps n’est pas de faire le film, mais d’exposer nos corps sur scène, c’est pourquoi on peut très bien déléguer le filmage à un robot, à un mécanisme, à qui la scène est imposée.
J-MB : Quelle est l’incidence de l’Appart dans l’accomplissement de ce processus ?
DL : On a testé notre structure collective de travail, la Galerie du piéton. On l’a utilisée, on l’a développée et, maintenant, peut être, pour revenir à des formes plus individuelles de travail. Mais aussi dans l’esprit d’un travail collectif, nous allons léguer cet outil, c’est notre projet à Gennevilliers. Ce seront d’autres qui feront fonctionner le Cartable.
KA : Je crois qu’on a conclu, là, non ?