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Du 01 Avr au 27 Mai 2017

Vernissage : 31 Mar @ 18h30

Rituel de transmutation & Contaminations au présent, Michel Journiac

Catégorie :

18 Cher

"Le corps est le lieu de tous les marquages, de toutes les blessures, de toutes les traces."

Adresse :

Friche l'Antre-Peaux 26, route de la Chapelle 18000 - Bourges

Fichiers liés :

L’ exposition Michel Journiac « Rituel de transmutation » & Contaminations au présent, qui aura lieu du 1er avril au 27 mai 2017, revient sur une figure essentielle injustement écartée de l’histoire de l’art officielle.

Considéré comme l’un des fondateurs de l’art corporel, Michel Journiac s’est affirmé dans les années 1970 avec une série d’actions iconoclastes qui dynamitaient les codes de la société française. Pour Journiac, l’action vise à mettre en scène le corps dans sa matérialité la plus cruelle, devenant ainsi un outil d’intervention directe dans les champs du social et du politique.

En transformant certains rituels – la messe, le référendum, la peine capitale, la journée d’une femme – en critiques acerbes, Journiac entend répondre à la pesanteur de l’Histoire occidentale qui xe le corps et les sexualités au sein d’une morale judéo-chrétienne.

Cette exposition vient en complément de celle organisée à Paris par la Maison Européenne de la Photographie (MEP), du 20 avril au 18 juin 2017, qui explore la dimension photographique dans la pratique de cet artiste.

TROIS SECTIONS EN GUISE DE PORTRAIT

L’ exposition présente un Michel Journiac peu connu, à partir d’œuvres et de documents inédits. Grâce à la complicité de Jacques Miège, ayant droit de l’artiste, les deux commissaires : l’artiste Vincent Labaume, spécialiste de l’œuvre et Damien Sausset, directeur du Transpalette ont imaginé un parcours en trois étapes.

1 – LES 12 RITUELS DE TRANSMUTATION

L’ exposition s’ouvre sur les douze Rituels de Transmutation, du corps sou rant au corps transfiguré. Tout débute en 1993 lorsque Michel Journiac s’engage face au scandale du sang contaminé. « Aujourd’hui », affirmait-il, « le contact avec la mort se fait par l’intermédiaire du sida, éminemment proche. Il est de l’ordre du quotidien, comme la misère et l’exclusion. » Dans les mois qui suivent, il explore les thèmes de l’épidémie du sida, la disparition de ses proches et la possibilité de rédemption face à ce fléau. Achevés peu de temps avant son décès en 1995, ces rituels attestent d’une ouverture de sa pratique vers la plasticité de la peinture et de l’icône, plasticité marquée par le sang, la chair et la décomposition de la société.

2- LES ŒUVRES EMBLÉMATIQUES

Le 1er étage du Centre d’art rassemble des œuvres emblématiques des années 1970. Cette section débute avec quelques peintures des années 1960, déjà marquées par l’idée de sang et de chair. En regard de ces toiles, sa première « action corporelle » : Messe pour un corps, œuvre emblématique de 1969, est ici présentée grâce à la vidéo de 1975.

Dans ses productions révélant des identités piégées par la religion, le pouvoir, la police, la normalisation des sexualités, le travestissement devient une arme. En témoignent Hommage à Freud (1972) ou L’inceste (1975), ensembles de photographies outrancières avec une dimension sexuelle revendiquée. D’autres œuvres complètent cette section : vidéos d’actions, affiches (Référendum Journiac ou La lessive), objets d’installation, etc. Comme l’affirme Vincent Labaume : « Face à toutes les impositions du dehors qui tentent de conditionner et de réduire l’individu, seul celui parvenu à la conscience du fait corporel premier et fondamental peut faire dérailler les formes manifestes de la représentation. »

3- L’ENSEIGNANT ET LE POÈTE

Le troisième étage révèle un Journiac inconnu, secret à plus d’un titre, jamais exploré dans les expositions passées. Grâce à Jacques Miège, son ayant droit, les deux commissaires ont eu un accès privilégié aux archives de son atelier. Ces dernières dévoilent un artiste lecteur, annotant avec minutie des ouvrages qu’il lie et relie, commente dans les marges avec précision. Un Journiac poète, amoureux des mots et des concepts, comme en témoigne l’espace lecture créé à cette occasion au sein de l’exposition. De 1972 à 1995, il fut également un pédagogue et un passeur par le biais de son enseignement à l’Université Paris 1 – Centre Saint-Charles. Le Transpalette présente des documents pédagogiques et artistiques relatifs à cette activité essentielle pour lui. En n, une large place est consacrée à la parole de l’artiste, par le biais de citations, vidéos, lms, interviews sonores, articles parus dans la presse de l’époque, bandes dessinées, affiches-slogans sonores…


L’œuvre de Michel Journiac est indissociable de deux événements historiques dans lesquels elle s’origine puis s’émancipe pour se perdre et se rejouer à nouveau et tenter d’atteindre à l’immortalité, but de toute œuvre : Mai 68 et le Sida.

De Mai, Journiac a reçu l’impulsion vertigineuse de l’élan négateur : abandonnant les oripeaux d’une peinture sans autre action que de pure forme, séparée désormais des affects puissants qui se découvraient vierges de pratique, il devint l’un des inventeurs de l’Art Corporel en interrogeant à la Lessive et au Corps nu, au Referendum et à la Guillotine, à l’Enquête et au Chèque, à l’Envoi postal et à la Messe, au Piège et au Constat, au Sondage et au Contrat, et, bien sûr, par ce qui devint son médium privilégié, à son propre Sang, les représentations mythologiques de notre société occidentale : la famille, l’identité, l’argent, la religion, l’état, l’art, le sexe, la mort. De l’apparition du Sida, au tournant des années 1980, Journiac reçut le coup le plus douloureux et le plus stupéfiant qu’on puisse imaginer pour un artiste : celui de voir ses amis, ses amants, ses relations emportés les uns après les autres, infectés par un virus qui prenait ses propres outils de recherche, le Corps et le Sang, pour les vecteurs mêmes du mal et de la mort. Un mal qui semblait devoir anéantir le peuple nomade des exclus que Journiac prétendait faire accéder à la condition de fait social plastique par un art ressourcé au commun des mortels : le désir, l’échange, la fraternité, la vie. Inauguré en janvier 1993 par l’envoi postal de billets de 100 francs plastifiés contenant de son sang, en réponse à la sinistre a aire du « sang contaminé » où des stocks infectés par le virus du Sida avaient continué d’être transfusés pour des raisons bassement nancières, le Rituel de transmutation – du corps sou rant au corps transfiguré constitue la dernière œuvre et le testament artistique de Journiac, mort en octobre 1995 des suites d’un cancer et non du Sida comme on croit devoir l’écrire encore couramment, comme si une telle entreprise ne pouvait être justifiée que par une cause personnelle… Or il n’en est rien ! Car ce Rituel testamentaire qui emprunte à François Villon la forme d’un poème d’actes autant que de mots, est une œuvre sans précédent dans l’histoire de l’art contemporain, par laquelle un artiste ne cherchait plus à s’approprier quelque arpent du réel demeuré insensible à l’art, ou à déplorer la perte in nie de son objet, mais venait se déprendre de chacun de ses processus plastiques en les exposant à la mort de l’autre, de chaque autre ; comme si l’art élargi à la vie par l’action corporelle telle que Journiac la concevait, devait également pouvoir élargir la mort à la vie.

Ambition folle et ultime interrogation, menée en 12 (ou 13) étapes d’une Passion directe et sans garantie d’au-delà, sur ce que peut l’art parvenu à la reconnaissance sociale d’une pratique symbolique, émancipée de la farce du génie comme du Grand Œuvre alchimique et s’élixirant pourtant d’elle- même dans la perspective d’une nouvelle alliance iconique entre les hommes. Et que par celle-là, au moins, l’art ne meurt pas encore.

Vincent Labaume, Co-commissaire de l’exposition


Informations pratiques

Ouvert du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous

 

À noter

Vernissage Vendredi 31 Mars à 18h30 avec le concert META MEAT à 20h30, composé de Somekilos (moitié de 2kilos&More) et Phil Von (co-leader de Von Magnet) / Prix libre soirée concert


+ + +

Nous vous invitons à lire la critique de l’exposition Contamination/Transmutation, Michel Journiac • 1935-1995 présentée à Transpalette, Bourges du 31 mars au 27 mai 2017, par Ilan Michel.

L’exposition du Transpalette est la seconde grande rétrospective de Michel Journiac depuis sa disparition en 1995. L’actualité de cet artiste tient à la fois à la galerie Christophe Gaillard, représentant l’estate depuis 2017, qui mène une campagne de documentation et de restauration de l’Œuvre, et à la nostalgie d’une époque marquée par un fort engagement politique [1]. Non chronologique, l’exposition observe 25 ans de pratique et invite à reconsidérer l’ensemble du travail à l’aune de ses ultimes formulations. Le parcours s’ouvre sur les 12 étapes du Rituel de transmutation du corps souffrant au corps transfiguré, effectuées par Michel Journiac de 1993 à 1995 [2], constituant le cœur du projet d’exposition. Le premier étage accueille une sélection d’œuvres emblématiques des années 1970 tandis que le second réunit des documents inédits exhumés de l’atelier parisien, venant éclairer des facettes méconnues du travail de l’artiste : recueils de poésie, photomontages originaux, supports pédagogiques, projet de colloque « Les créateurs face au Sida » élaboré dans le cadre de ses activités d’enseignant [3]… Plusieurs ouvrages issus de sa bibliothèque sont présentés sous vitrine. Photocopies de couvertures et de pages annotées sont collées au mur, juxtaposées comme des indices sondant les sources intellectuelles de l’artiste. Ce parcours ascensionnel est accentué par les affiches du Référendum Journiac (1970), en frise dans la cour de la friche, scandant l’espace jusqu’au sommet de l’ancienne usine où le dispositif électoral originel est « réactivé ».

En écho à la situation actuelle − très différente car l’artiste n’est plus un inconnu −, l’œuvre souligne la fonction des rituels dans le sentiment d’appartenance à un groupe. L’apparition du Sida le conduit à s’intéresser à l’exclusion de la communauté homosexuelle. L’essai de Susan Sontag, La Maladie comme métaphore / Le Sida et ses métaphores [4], présent dans l’exposition, analyse les fantasmes d’une maladie perçue comme le châtiment d’une sexualité déviante et d’une identité souillée. C’est l’affaire du sang contaminé révélée en 1992 qui le décide à accomplir ce Rituel de transmutation, hommage aux amis disparus, rétablissement du sacré face au libéralisme déréalisant.

À la dispersion du fluide infecté, Journiac réagit par l’utilisation démultipliée de son propre sang. Les Billets de sang (1993) sont adressés à ses amis par voie postale avant d’être reproduits sous forme de planches (1995) recouvrant ici le mur d’entrée du rez-de-chaussée. Matérialisation de l’argent sale, c’est la reproduction mécanique des billets souillés qui est ici mise en avant. Lors de la Messe pour un Corps (Galerie Templon, 1969 ; Galerie Stadler, 1975), l’artiste communiait déjà avec le public sous la forme d’hosties de boudin réalisées avec son propre sang, rite communautaire parodique. Ses actions cherchent à atteindre chacun directement, sans intermédiaire. Les valeurs de partage et de fraternité, héritées de mai 68, s’opposent à l’individualisme dans lequel la consommation et la désinformation nous ont plongés.

La 5ème étape du Rituel de Transmutation occupe le revers de la cimaise d’ouverture, comme si la trace écarlate des billets de 100 francs frappait désormais le corps. Lors du Marquage, action de corps exclu (Centre Pompidou, 1983), l’artiste marque son bras d’un triangle au fer rouge. Le constat photographique (documentation de l’action) présente un gros plan sur la cicatrice dont la peau se dérobe, évoquant le triangle rose concentrationnaire. Le visage hors-champ souligne la dimension générique d’un corps auquel chacun peut s’identifier. Esclavage consenti, l’action rappelle que «sans cesse la loi s’écrit sur les corps [5] ». En 1993, il réitère le marquage en public à la galerie du collège Marcel Duchamp de Châteauroux. La mise en scène photographique d’Action de marquage au présent figure un buste de profil, comme celui d’un criminel. Le noir et blanc accentue la déréalisation de la blessure devenue signe. Un polaroid est aligné aux deux autres clichés. Marqué au fer, il agit comme une image non faite de main d’homme. Cette propriété du médium intéresse Journiac à cette époque, postulant une équivalence entre corps et support [6]. L’image développée instantanément manifeste le stigmate. Aussi la question de l’icône traverse-t-elle le travail de cet ancien séminariste. Face à la mort, la série du Rituel de transmutation fait évoluer la représentation vers un processus alchimique. Dispersant le sang sur de grands panneaux dorés à la feuille, convoquant l’iconographie byzantine, l’artiste met en scène une présence abstraite dont la plasticité relève de formes aléatoires qui cherchent à se cristallier en signes. Neuf lingots de plomb et de cendres humaines, réalisés avec la poussière d’amis disparus, sont ici présentés sur une table, sous cloche en plexiglas. Etrangement perdus dans le vaste rez-de-chaussée, les reliquaires procèdent de la série, de l’objet standardisé, marqués d’un triangle, sceau de l’exclusion. Dominant l’espace, un triptyque constitué de trois panneaux à la feuille d’or substitue au Christ une aura écarlate sous laquelle on croit deviner l’estompe d’un visage [7]. Deux silhouettes repliées sur elles-mêmes, photographies transférées sur toile, occupent les panneaux latéraux – trinité mise sur un plan d’égalité. Le travail trouve ici sa force quand l’officiant s’efface, que l’identification se brouille, pour que la rencontre advienne dans l’empreinte déposée par l’autre.

Notes

  1. Les expositions concomitantes, Contre-cultures 1969-1989, l’esprit français, La maison rouge, Paris, ainsi que Michel Journiac, l’Action Photographique, Maison Européenne de la Photographie, Paris, sont à cet égard significatives.
  2. Seule la Carte du sang, 1994, (Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg) n’a pu être présentée.
  3. Michel Journiac enseigne à l’UFR d’arts plastiques de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, de 1972 à 1995. Il y fonde l’association Actes de Recherche sur l’Image du Corps (A.R.I.C.) en 1983 avec le critique F. Pluchard.
  4. Susan Sontag, La maladie comme métaphore / Le sida et ses métaphores [«Illness as Metaphor AIDS and Its Metaphors »], New York, Picador, 1989. Vincent Labaume, co-commissaire de l’exposition, a hérité d’une partie de la bibliothèque de l’artiste.
  5. Michel De Certeau, « Des outils pour écrire le corps », Traverses, Paris, n° 14-15, avril 1979, p.3.
  6. Propos tenus par l’artiste le 19 avril 1994. Michel Journiac, étape 3, interrogatoire du jeu d’échec de l’art et de la mort, étape 5, action de marquage au présent : août 1993, étape 9, géographie des errances, du vivre, du mourir et de la transmutation, Nantes, Ecole régionale des beaux-arts de Nantes, Interlope, 1995, n.p.
  7. Icône d’alliance, 1991-1993, douzième et dernière étape du Rituel de transmutation.