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Du 16 Jan au 08 Fév 2014

Vernissage : 16 Jan @ 17h00

Projections animalières, Caroline Picard

18 Cher

Exposition proposée par Caroline Picard 
dans le cadre de sa programmation curatoriale Ghost Nature

Organisé par :

La Box

Adresse :

rue Édouard-Branly 18006 - Bourges

avec Art Orienté objet (Marion Laval – Jeantet et Benoît Mangin),
Marcus Coates,
Assaf Evron,
Institute of Critical Zoologists,
Jenny Kendler,
Stephen Lapthisophon,
Milan Metthey,
Akosua Adoma Owusu,
Tessa Siddle
et Xaviera Simmons.

« … L’esprit [humain] a une propension inévitable à voir le monde comme s’il était constitué non pas d’un flux temporel en perpétuel changement, mais d’un ensemble d’éléments qu’il est possible de calculer.» (Jane Bennett, Vibrant Matter, Duke University Press, 2010, p.76)

« …Rien n’est statique. Ce que nous appelons la Nature est quelque chose de monstrueux et en perpétuelle mutation, étrangement étrange à tous les niveaux… Le Livre de la Nature ressemble plus à un poème de Mallarmé qu’à une œuvre unifiée, à la syntaxe bien organisée. Les mots s’étalent sur la page: faut-il les lire de gauche à droite? Comment s’assemblent-ils? Les mots fluctuent et changent de position sous nos yeux.» — Timothy Morton, The Ecological Thought, Harvard University Press, 2010, p 61.

L’humanité veut faire valoir sa supériorité dans le monde.
D’essence en partie animale et en partie divine, l’humain se voit comme une espèce particulière, capable de langage, capable de concevoir sa propre mort, émergeant de la boue primordiale comme la scène finale du grand opéra de la conscience. Nous constituons une espèce qui bénéficie d’un riche héritage culturel et historique.
Nous utilisons des outils et nous construisons des bâtiments qui transforment le paysage environnant.
Mais alors que ces attributs peuvent paraître à première vue comme les signes distinctifs uniques à l’homo sapiens, une autre espèce est tapie aux confins de notre conscience, prête à faire preuve de la même qualité que celle revendiquée avec tant de fierté par l’humanité pour se définir : le langage lui-même. «Jusqu’au dix-huitième siècle, le langage – qui deviendra la caractéristique par excellence de l’homme – transcende les ordres et les classes, car on soupçonne alors que même les oiseaux peuvent parler.»
[Giorgio Agamben, L’Ouvert : De l’homme et de l’animal].

Peut-être du fait de notre incapacité à répondre à cette étrange question sur l’essence de l’homme, peut-être du fait que la raison humaine impose des définitions catégoriques, statiques de notre expérience du monde, l’humanité est si investie dans la supériorité du potentiel humain que nous ne remarquons pas l’étrange nature de nos cousins animaux.

En reflétant, critiquant, estompant et bouleversant les frontières entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas, les plasticiens présentés ici soulignent l’énigmatique fluidité du paysage naturel que nous habitons.

Costumé en canard, Milan Metthey courtise des canards et Tessa Siddle incarne les loups de la série télévisée Game Of Thrones (le Trône de Fer).
Cette incarnation animale, loin d’utiliser la forme animale pour mettre en scène les fables d’Esope à l’usage des humains, permet à la démarche artistique de rejoindre l’esprit animal et de s’identifier à lui.
Art Orienté objet va un peu plus loin ; ici, l’artiste internalise l’animal. Que le cheval vive en moi présente des documents sur la performance de transfusion de sang de cheval à un humain.
Dans ces efforts pour se lier à des êtres non-humains, Metthey, Siddle et AOo cherchent à transcender la vie anthropocentrique. Ces efforts troubles, qui risquent à tout moment d’échouer de façon inhérente, mettent à l’épreuve les idées bien établies sur ce qui est, et ce qui n’est pas naturel.
Le film d’Akosua Adoma Owusu, Anance, qui évoque la fable d’un homme/araignée, occupe un espace liminaire entre la biographie humaine et le mythe.
Jenny Kendler présente un livre où la fourrure remplace le texte, ainsi qu’un coquillage nautilus où poussent des poils – ces formes semblent être à cheval entre le monde animal et le monde humain ; leur hybridité refuse toute catégorisation facile. Le nautilus pourrait être le résultat d’une contamination radioactive. Le livre propose un argument impénétrable, car ses pages contiennent une langue méconnaissable, néanmoins tactile.
L’Institute of Critical Zoologists installe un piège à abeilles avec comme appât de la peinture bleue – geste minimaliste qui peut fonctionner ou pas. Le même signe visuel communique dans deux langues différentes qui présentent un statut sémiotique aussi bien pour l’homme que pour l’abeille.
Posée sur le sol comme un corbeau ou un scarabée endormi, la sculpture sur bois d’Assaf Evron fait passer un modèle algorithmique de couleurs d’un espace digital à un espace littéral. Ses limites se définissent par la capacité réduite de l’ordinateur à produire certaines couleurs. Mais dans un espace physique, séparé de son origine, il devient un objet impénétrable dont la logique intérieure et formelle semble naturelle.
Stephen Lapthisophon agence la pomme de terre – ayant l’apparence d’un matériau connu, inerte, elle se modifie au cours de l’exposition, pourrissant par endroits et poussant à d’autres, comme pour s’exprimer dans une puissance inversée, non humaine.
Xaviera Simmons présente un portrait photographique où la forme humaine est cachée par un assemblage d’objets matériels.
Marcus Coates arrange une pile de bois pour incarner l’albatros par l’envergure de ses ailes.

Notre préoccupation avec le monde animal est prodigieusement anthropocentrique. Les animaux fournissent à l’expérience humaine des métaphores, des symboles et des signes; inversement leur comportement est appréhendé à travers le filtre des mœurs et valeurs humaines. Ils sont rarement représentés comme appartenant à un monde animal autonome aussi riche et développé que notre monde des humains.
En les passant au crible de la culture humaine, on élimine leur étrangeté. Ils deviennent des objets de mythe, fixes, statiques, représentant un idéal plutôt que la réalité. En fait, comme le propose Animal Projections, il n’est pas possible de fixer le monde naturel : il est monstrueux et en perpétuelle évolution.

A propos du programme « Projections animalières » et « Ghost Nature »

Projections animalières et Ghost Nature sont deux expositions collectives autour de l’étrangeté du monde naturel.

Dans son livre La Pensée Écologique (Harvard University Press, 2010), Timothy Morton, philosophe contemporain, postule que « la nature en tant que telle » n’existe plus comme entité distincte.

Les humains étant totalement intégrés à son « maillage », le désir Romantique de communier avec un paysage en dehors du cadre de l’humanité s’avère désormais impossible.
Pourtant, il reste le désir atavique de le faire. C’est un bug. Le fourmillement d’un membre fantôme. Un désir jamais assouvi mais qui rend fou.
Au lieu de faire face à l’environnement d’une institution à travers une pratique engagée sur le plan social, Ghost Nature nous révèle un environnement plus général, omniscient, et cherche ainsi, à travers des œuvres d’art individuelles, à mettre en évidence les éternelles attentes hiérarchiques qui ont jusqu’à présent façonné le monde occidental.

Les expositions seront accompagnées d’un colloque, en collaboration avec La Box et le groupe parisien « Laboratoire du Contemporain », qui aura lieu du 16 au 18 avril 2014.

Ce colloque sera, pour les étudiants, les artistes, les universitaires et le public, l’occasion d’une réflexion sur notre époque actuelle, si remarquable sur le plan écologique. Il se déroulera sous forme de débats, de performances et d’ateliers, où il s’agira d’interroger et de réviser la façon dont les humains se conçoivent par rapport au monde naturel.
Un appel à contributions sera bientôt émis.
Pour plus d’informations, contacter Caroline@lanternprojects.com

Ces expositions seront accompagnées d’un catalogue à paraître au printemps de 2014, avec des textes de João Florêncio, Nettrice Gaskins, Graham Harman, Timothy Morton, Laurie Palmer, Claire Pentecost et Caroline Picard.