Commissariat de Mathilde Sauzet
avec Clôde Coulpier, Anne-Sarah Huet et Quentin Lazzareschi
/ avec la collaboration de la designer Gabriele Cepulyte et la présence d’une œuvre de Dora Garcia de la collection du FRAC Centre-Val de Loire.
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Compte tenu du protocole sanitaire renforcé dans les établissements d’enseignement, la galerie La Box – Ensa, outil pédagogique de l’école, n’ouvrira pas au public comme prévu le jeudi 21 janvier 2021 à 18h.
Néanmoins, l’exposition « Les nuits hantées » sera accessible à partir du vendredi 22 janvier, sur rendez-vous* (5 personnes maximum) aux horaires suivants : du mardi au vendredi, de 13h30 à 17h30, jusqu’au 20 février 2021 et ce dans les conditions strictes d’accueil – port du masque obligatoire et respect des gestes barrières.
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L’exposition Les nuits hantées présente une recherche curatoriale et éditoriale, initiée autour de L’encyclopédie des nuisances, Dictionnaire de la déraison dans les arts, les sciences et les métiers, une revue de textes critiques publiée de 1984 à 1995 par un groupe d’auteurs héritiers de l’International Situationnisme dont François Martin et Jaime Semprun.
La première publication intitulée Discours préliminaire expose la nécessité de faire l’état des dommages sociaux après deux siècles de célébration du progrès technique. Contrepoint cynique à L’encyclopédie de Diderot (Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers) qui eut pour but au XVIIIe de synthétiser les connaissances développées par la société occidentale et de promouvoir la pensée des Lumières.
Les quinze numéros de L’encyclopédie des nuisances rassemblent des articles par ordre alphabétique, d’Abaissement à Abrégé.
« Nous nous faisons fort de réaliser une encyclopédie qui,
même si elle ne devait, étant donné l’abondance de matière,
dépasser la lettre B, n’en parlerait pas moins sur la totalité. »
Discours préliminaire, L’encyclopédie des nuisances, 1984
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C’est le matin. Vous ouvrez les yeux dans cette pièce blanche qu’on appelle la salle de réveil. Avez-vous bien dormi ? Êtes-vous vraiment sorti du sommeil ? Votre corps est si engourdi que vous ne sauriez dire que vous avez mal. Si on vous demande, pour vous protéger, dites d’emblée j’ai mal à la tête. Les personnes idéalistes souffrent de la tête ; on les soulagera pour qu’elles rejoignent rapidement la vie quotidienne. On dira à celles qui ressentent une pression dans les épaules que ce n’est que l’air injecté dans leur ventre qui remonte par le dos et qu’on ne peut rien faire, que seul le temps les délivrera de cette sensation. On leur donnera ce temps donc profitez-en. Vous vous demandez cependant sous quelle forme peut circuler de l’air dans votre dos. Est-ce une image ? Il se peut qu’on ait fabriqué des images dans votre dos, mais celles-ci ne se dévoileront pas dans cette salle, pas dans ce corps fatigué. Elles vous hanteront. Elles remonteront doucement le long de votre colonne vertébrale et s’installeront au bas de votre crâne sans pour autant vous faire l’effet d’une idée. Ces images vous pèseront aussi longtemps que vous n’aurez pas tenté de comprendre comment elles vous habitent. Constatez, au fur et à mesure que votre corps se réveille, le dessein de leur présence. Les spectres seraient des êtres indécis ; forcer leur évacuation mènerait à l’émeute. Pour autant, n’attendez pas d’y voir clair ; aveuglément, observez, répertoriez, nommez celles qui vous hantent. L’ordre alphabétique vous simplifiera la tâche sans compter qu’il existe un grand nombre de mots commençant par A. Les paupières encore fermées, vous allez pouvoir tracer avec les globes oculaires le contour des formes qui apparaissent. Une baleine ? Pouvez-vous la suivre des yeux ? Un revolver ? Un revolver qui fait le bruit d’un grelot ? Vous venez de produire un son en cognant votre bague en argent sur le pourtour du lit. Le signal est donné, vous avez bien travaillé. Il est temps de vous laisser transporter dans la salle suivante pour constater au grand jour le grand répertoire auquel vous avez contribué : l’encyclopédie des hantises.
Mathilde Sauzet
Les formes de la colère
L’enjeu du travail fut de donner suite à L’encyclopédie des nuisances en passant par des biais sensibles, plastiques et émotionnels, là où la revue avait choisi la critique. Les contenus des dénonciations et revendications de ces éditions n’ont perdu ni l’actualité ni l’esprit d’insurrection qui les initia ; au contraire, les nuisances qui y sont formulées comme des dangers à venir ou la crainte du pire sont bien advenues, inchangées ou imminentes. La lecture de ces textes ne nous apprend rien, car nous y reconnaissons notre quotidien, mais elle réveille une colère au-dessus des métiers et des anxiétés, une colère absolue qui peine aujourd’hui à trouver des formes à sa mesure.
« Mon incapacité à être en colère hante souvent mes nuits. Chez moi la tristesse est la forme la plus avancée de la colère. »
Clôde Coulpier
Les nuisances existent toujours seulement elles ne s’affichent pas, elles ne se donnent pas en spectacle, elles apparaissent et blessent furtivement. On apprend à vivre avec ; on ne devrait pas, mais faudrait-il encore pouvoir les saisir. Les nuisances nous habitent désormais, elles nous hantent, comme les fantômes des Lumières. La commissaire Mathilde Sauzet a convié les artistes Quentin Lazzareschi, Anne-Sarah Huet et Clôde Coulpier à mettre en commun ce qui leur nuit, ce qui les hante. L’exposition Les nuits hantées présente des œuvres qui révèlent des hantises pour mieux les appréhender et leur tordre le cou.
Jeux, pièges et armes contre les hantises
L’exposition est conçue selon une dramaturgie démontrant le passage des nuisances aux hantises, des mots aux œuvres, de la lettre A à la totalité. « C’est le matin » précise le texte de l’entrée puis il laisse entendre que certaines opérations ont eu lieu pendant la nuit, mais les visiteurs n’en sauront jamais plus sur ces actions nocturnes. Deux espaces composent l’exposition : la salle de réveil et l’encyclopédie des hantises.
Le premier espace invoque L’encyclopédie des nuisances par les termes qui la constitue : Abandon – Abaque – A bas ! Abolir – Abolition – Abolitionniste – Abomination – Abondance.
Le film Hotel Wolfers de Dora Garcia fait contrepoint à cette incantation : au fil d’une déambulation caméra à l’épaule dans la maison Wolfers de Bruxelles, œuvre moderniste de l’architecte Henry Van de Velde à l’abandon, une voix off décrit des présences intrusives et insaisissables. On prêtera doucement ce regard inhumain à l’œil de la caméra des films du cinéma muet. La salle de réveil fait office d’antichambre au laboratoire qui suit, que l’on qualifiera selon le terme de Jacques Derrida « d’hantologique », puisqu’on y étudie les hantises.
Ce second espace intitulé L’encyclopédie des hantises présente les pièces de Clôde Coulpier (PDF 3,8Mo), d’Anne-Sarah Huet et Gabriele Cepulyte et de Quentin Lazzareschi. La sélection d’œuvres, pour certaines préexistantes et d’autres réalisées pour l’exposition, témoigne d’une traque aux fantômes modernes, aux hantises de spectacle, d’industrie mondialisée, de finance dérégulée et de média assoiffés. Jeux sans gagnants, pièges sans faille et armes blanches s’offrent comme nouveaux composants d’un système immunitaire contre les nuisances invisibles et pourtant bien sensibles de notre société.
Une édition format journal, conçue à partir des termes de l’encyclopédie des nuisances et des extraits de son iconographie par Gabriele Cepulyte permettra de garder une trace imprimée des fantômes.
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*Rendez-vous auprès de Véronique Fréjabue, responsable de la galerie, au 02 48 69 78 81
Infos pratiques
Horaires d'ouverture
accessible sur rendez-vous ( au 02 48 69 78 81) pour 5 personnes maximum du mardi au vendredi, de 13h30 à 17h30.
Tarifs
Entrée libre