AAAR.FR est devenu devenir•art ! Ce site est conservé comme archive mais il n'évoluera plus.

Géolocalisation désactivée

Du 27 Mar au 26 Avr 2014

Vernissage : 27 Mar @ 17h00

Ghost Nature

Catégorie :

18 Cher

Exposition proposée par Caroline Picard 
dans le cadre de sa programmation curatoriale Ghost Nature

Organisé par :

La Box

Adresse :

rue Édouard-Branly 18006 - Bourges

Exposition proposée par Caroline Picard 
dans le cadre de sa programmation curatoriale Ghost Nature

avec Sebastian Alvarez, Jeremy Bolen, Irina Botea,
Robert Burnier, Every house has a door, Carrie Gundersdorf,
Devin King, Stephen Lapthisophon, Rebecca Mir et Heidi Norton

Notre galaxie est composée d’une incroyable multitude de collisions, de zones irrégulières et discordantes. Ses composants existent simultanément sur une vaste gamme d’échelles et de conditions, chacune avec son propre lot de propensions. Certains corps sont plastiques, d’autres végétaux, atomiques, musculaires ou planétaires. Chacun occupe son propre cycle temporel : les champignons peuvent ne vivre qu’un jour tandis que les chiens atteignent l’adolescence au bout de deux ans de vie ; à l’autre extrémité, les étoiles, elles, n’entrent dans une phase de disparition qu’après plusieurs milliards d’années. Dans cette multiplicité tumultueuse, l’humanité lutte pour instaurer et maintenir un certain ordre, classifiant les plantes, les animaux et les êtres humains pour établir une histoire hiérarchique et avancer. Dans cette hiérarchie, les êtres vivants sont avantagés par rapport aux matières inanimées et la Nature a émergé dans un idéal romantique, vitrine du sublime, loin des relents industriels de l’homme et de la logique de production capitaliste.

Dans son ouvrage The Ecological Thought (Harvard University Press, 2010), Timothy Morton dénonce cette différentiation stridente et cherche plutôt à mettre l’accent sur le flux constant de notre assemblage environnemental, dans lequel la participation de l’homme est aussi signifiante que celle de n’importe quelle autre espèce, vivante ou inerte. Selon Timothy Morton, la « Nature » en tant que lieu isolé, reculé et non humain, n’existe pas. Nous occuperions plutôt un réseau de parties emboîtées, interdépendantes. L’espèce humaine est entièrement intégrée dans ce « maillage » ; le désir romantique de symbiose avec un paysage vierge de toute influence humaine est donc impossible. De tels espaces n’existent plus. Et il n’est pas certain qu’ils aient déjà existé. Pourtant, nous héritons encore d’un désir de trouver cet endroit pur et vierge. Et ce désir constitue un obstacle. Le fourmillement d’un membre fantôme. Aussi attrayant qu’une photo des Alpes sur une tablette de chocolat suisse, un désir à jamais inassouvi mais exaspérant. En s’appuyant sur un large éventail de médias, parmi lesquels la performance, la sculpture, la photographie, le dessin et la vidéo, les artistes de Ghost Nature investissent les frontières et les liens entre l’expérience humaine et non humaine, déjouant les stratégies de représentation du paysage à travers desquels ces sites ont été historiquement analysés.

Le travail de Robert Burnier semblerait tout à fait non naturel et pourtant, en tant que trace résiduelle d’une production humaine, on ne saurait le rejeter si promptement. En partant d’une pièce d’aluminium plate à deux dimensions, Robert Burnier produit un objet en trois dimensions à travers une série de plis improvisés. Chaque pli ajoute un nouveau poids et un nouveau dynamisme, tout en rétrécissant la surface originale. Lorsqu’il décrit son processus, il le fait dans des termes situationnistes, comme un dérivé se produisant à la surface d’un objet malléable et avec elle, plutôt que de la Terre. Plus Robert Burnier travaille la surface, plus des particularités émergent. Il appréhende la forme émergente à mesure que la pièce génère de la profondeur, et la forme devient un paysage différent sur le mur.

Heidi Norton inclut des matières organiques dans ses travaux bien que, à l’instar de l’aluminium, l’ingéniosité humaine ait permis de récolter et raffiner ces matières. En utilisant un assortiment de plantes, de verre, de résine et de peinture, Heidi Norton crée des plans picturaux mi vivants et semi-transparents. Ces « paysages » reconfigurés balancent entre représentation littérale et abstraite. Souvent, on verra des morceaux de plantes ou un fragment d’ambre emprisonnés sous du verre, comme des échantillons placés sous des lames pour une observation au microscope. Tantôt les morceaux de plantes meurent, tantôt ils poussent ou pourrissent. Bien qu’imprévisibles, les motifs obtenus, qu’ils aient poussé ou fané, contribuent directement à l’effet final qui se modifie avec le temps.

Tout comme le travail d’Heidi Norton, le film d’Irina Botea explore la puissance végétale. Dans Picturesque, Irina Botea et ses collaborateurs, Nicu Ilfoveanu et Toni Cartu, suivent une visite guidée de retraités à travers les paysages roumains en quête de l’idéal « pittoresque » de l’expert. À mesure que la caméra suit ses plaintes à travers des endroits sauvages et abandonnés où la végétation est superbe et luxuriante, sa déception devient plus palpable, illustrant la nature politique de son idéal antique.

À une échelle plus intime, les légumes racines de Stephen Lapthisophon semblent au repos, endormis, éteints dans l’espace de la galerie. À la manière d’un ménage, ils semblent dociles et banals. Cependant, au fil de l’exposition, ils se transforment, certains se décomposant en plusieurs morceaux, d’autres fleurissant de manière innée, grotesque et anarchique. Dans son projet intitulé Taking Care, Stephen Lapthisophon place des panais, des raves et des pommes de terre dans un sac en toile de jute rempli de glace. Replacer la glace dans le sac est un geste humain destiné à pallier l’instabilité des légumes.

Constamment, des événements infimes et invisibles se produisent autour de nous et parmi nous. Le CERN, le plus grand centre d’accélérateur de particules à haute énergie au monde est précisément dédié à ces minuscules événements. Lors de sa visite au centre à Genève, Jeremy Bolen a photographié les immeubles entourant l’accélérateur ; des structures modernes délabrées aux façades angulaires et aux fenêtres symétriques. À son retour dans l’Illinois, il a enterré le film à Plot M, une zone d’enfouissement de déchets nucléaires utilisée par l’Université de Chicago lors de ses premières recherches en la matière. Lorsque Jeremy Bolen est retourné sur le site, il a retrouvé la pellicule sur le sol, déjà mystérieusement déterrée. L’impression finale reflète non seulement les zones géographiques de l’Illinois et de Genève mais enregistre également plusieurs présences visibles et invisibles au-dessus et en dessous du sol. La bande verticale de trois structures du CERN est inquiétée par une ligne parallèle qui s’estompe, trace invisible de l’énergie du site Plot M et du CERN passant à travers le film tel un fantôme traversant un mur, une trace de plasma laissée dans son sillage.

La peintre abstraite de Carrie Gundersdorf manipule les limites de l’appréhension humaine. Poursuivant son étude sur les corps planétaires, elle présente un imposant dessin mural intitulé Four Sections of Saturn’s Rings dans la salle principale de la galerie. Au premier abord, son œuvre ressemble à une étude de couleurs – des bandes gris pastel, jaunes, rose et bleues sont disposées à différents angles et à différentes valeurs ; la composition est simple, voire minimaliste, exception faite de quelques esquisses dans la marge. Ce dessin est une traduction en couleur de photographies de Saturne en noir et blanc réalisées par la NASA. Comme la photographie, Carrie Gundersdorf condense un espace et des informations considérables dans un cadre humain, greffant cette conversion au langage de la peinture abstraite.

Devin King mêle lui aussi les échelles de sites humains et astronomiques. Ici, il a été influencé par le « fondateur de la topographie lunaire ». Johannes Hevelius a été le premier à cartographier la totalité de la surface de la Lune à l’aide d’un télescope avec lequel il ne pouvait observer que certaines sections du corps céleste à la fois. Ses cartes datant de 1647 rassemblaient ces données en une seule image compressée. À l’aide d’une reproduction du satellite réalisée par un artiste, Devin King fabrique des pochettes de cassettes audio pour un groupe fictif nommé The Moon – une image montre une diapositive rétro éclairée d’un groupe indistinct jouant du rock garage, une autre laisse apparaître un lampadaire de nuit dans une ruelle. Devin King offre une représentation particulièrement infime et modeste de l’humain, de son électricité et de la Lune, tout en reflétant la propension à plus générale de projeter des émotions humaines et des caractéristiques de visages non humains.

Plusieurs œuvres tentent de dépasser une vision anthropocentrique du monde. Malgré tout leur sérieux, ces attentes ont tendance à faillir, exposant un désir de surmonter les limites de l’expérience humaine. Rebecca Mir écrit des lettres à son amant, l’océan. Malgré le sérieux de cette démarche, aucune réponse ne sera jamais reçue. Il s’agit d’une relation à distance non réciproque. Et même si l’on s’efforce de suggérer une interprétation anthropomorphique de ce magnifique corps aquatique et salin, l’objet inculte de l’affection de Rebecca Mir défie la traduction, étant en fin de compte trop étrange, trop indépendant, trop imprévisible, et non humain. Il s’agit à la fois d’une chose – un océan -, et de nombreuses formes vivantes, composées de parties, saturées d’écologies, ainsi que de profondeurs diverses : le début de la vie et l’émissaire du subconscient humain, défiant à la fois la stabilité et la raison. Portée aisément par la physique de l’océan, la simple pierre sur la table constitue la réponse la plus claire, la plus directe que ce corps non humain pourrait offrir.

Sebastian Alvarez présente une coupe transversale d’instants suspendus dans le temps, décrivant les actions de l’humanité dans différentes parties du monde à différents moments. Plutôt que de compresser des planètes dans un cadre humain de référence, il présente l’immense étendue de l’influence humaine. Ce volumineux schéma occupe un mur entier de la galerie. Contrairement à d’autres travaux de l’exposition, le travail de Sebastian Alvarez semble principalement dédié aux actions humaines tout en intégrant la Terre, le ciel, les arbres, l’implication de l’air et même les matériaux inanimés qui survivront sans doute à la civilisation humaine, comme le métal des ventilateurs et les escalators prédestinés à réintégrer l’environnement non humain. Il transmet un instant qui survient sur plusieurs échelles et sur plusieurs sites à la fois, laissant le spectateur connecter la toile de relations entre des actes à première vue disparates.

Présents dans ces avenirs envisagés, nous sommes toujours hantés par un passé; des idéologies, des lois et des événements qui nous ont amenés jusqu’ici. Dans Testimonium, le collectif « Every house has a door » fait appel à Testimony: The United States 1885-1915, ouvrage de Charles Reznikoff dans lequel le poète objectiviste a rassemblé et édité des pages et des pages de retranscriptions de procès. De nombreuses morts violentes relatées par le collectif sont liées aux conditions de travail durant la Révolution Industrielle, qui pour certains, marque le début de l’Anthropocène. Bryan Saner incarne la voix de Charles Reznikoff sur scène, tout comme Stephen Fiehn traduit Charles Reznikoff à travers une série de représentations physiques.

En 2007, le passage du Nord-Ouest s’est ouvert dans l’Arctique. Les scientifiques continuent de prévoir une montée considérable du niveau des mers. Les populations d’abeilles ont rapidement chuté, soulevant des questions de production alimentaire. Des oreilles humaines poussent sur le dos de souris de laboratoire et des lapins luisent dans le noir. Dans cette nouvelle ère de conscience écologique, la nature des romantiques est un esprit indécis. Plutôt que de succomber à la douleur de cette perte, Ghost Nature expose les limites de la perspective humaine dans le paysage émergent qui demeure un réseau instable de créatures parfois monstrueuses, de plantes, et d’avancées technologiques.

« –pas de monument pas de moment pas d’humain

passion uniquement de la fibre d’araignée suspendue en porte-à-faux. »

—Brian Teare, Transcendental Grammar Crown

Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, de la Direction régionale des Affaires culturelles du Centre, du Conseil régional du Centre, de la Communauté d’agglomération Bourges Plus.

Exposition du 27 mars au 26 avril 2014 / vernissage le 27 mars à 18h
9, rue Édouard-Branly 18006 Bourges cedex
T./F. : +33 2 48 24 78 70
la.box[at]ensa-bourges.fr / http://box.ensa-bourges.fr
Ouvert du mardi au samedi de 14 h à 18h
Fermé les jours fériés