« Attiré par «l’humanité» de la faïence, le jeune céramiste japonais Keiichi Tanaka produit des pièces tirées d’images urbaines dans cette matière méconnue au Japon, pays du grès et de la porcelaine. Elles réunissent comme rarement douceur de la matière et de précision de la forme.
La céramique de Keiichi Tanaka a été exposée pour la première fois en France aux Journées de Saint-Sulpice l’année dernière. De petites pièces murales en terre brune, plates, des signes graphiques angulaires ou arrondis évoquant l’outil de jardin, la clef primitive, ou le fragment de pièce d’une industrie ancienne, espacées sur un mur blanc. En sortaient ici ou là quelques végétaux, lianes, branches ou bouquets légers indiquant que ces éléments à la fois non identifiables mais pourtant familiers étaient des vases muraux de petite taille. À leur pied, leur répondaient de petits contenants, vases, bols et bouteillons blancs aux formes précises et simples et décorés de légers graphismes noirs. Keiichi Tanaka composait ainsi en blanc et noir, une partition légère comme une esquisse, de formes, d’ombres et de lignes. Cet ensemble tranchait à Paris par un parti pris graphique et novateur, qui étonne aussi au Japon.
Issu de la section céramique du département de design industriel et artisanal de l’université de Musashino, très grande école d’art de la préfecture de Tokyo, Keiichi Tanaka y est entré pour devenir designer. C’est Makoto Komatsu, son professeur et designer connu qui l’a convaincu de s’intéresser à la céramique, laquelle se résumait jusque-là pour lui à une histoire de «Trésors vivants» qui le laissait indifférent. Après un cursus de quatre ans, il est devenu assistant pendant six ans, profitant des équipements de l’école pour ses créations et ses recherches. Bingo pour lui: en 2009 il est invité à séjourner une année à Paris, résident et travaillant à la Cité des arts où son école a acheté deux chambres et où il dispose d’un atelier avec four. Séjour qu’il prolonge actuellement.
«J’ai voulu venir en France pour la faïence qui n’existe pas au Japon. J’avais visité la manufacture de Gien et je voulais apprendre cette technique de terre douce. J’ai bien tenté au Japon quelques cuissons en température plus basse que celle du grès pour obtenir cette texture spéciale mate et douce que procure la faïence mais ça ne marche pas.» Lorsqu’on s’étonne d’une telle quête qui semble oublier la douceur de la porcelaine, il répond qu’il trouve «la faïence plus relâchée, plus moelleuse, plus humaine, la porcelaine toujours plus tendue». Il lance une pierre dans son jardin japonais: «La porcelaine se déforme facilement et l’on veut toujours la rendre parfaite, alors que la déformation de la faïence est plus facilement acceptée.»
Ce n’est pas tant l’esthétique de la terre latine que le jeune céramiste japonais recherche qu’une alliance nouvelle entre qualité de forme et qualité de matière. Ses petits vases blancs au contour précis et dont l’harmonie tient au jeu serré entre élan et rupture de la ligne, relâchement et étranglement de la forme, sont enveloppés d’un engobe poli à la cuiller ou au galet qui leur procure un émouvant tremblé de surface, une matité translucide et sensuelle. Le décor, un léger désordre de quelques lignes légères, énergise la forme montée à la plaque (comme le sont toutes ses céramiques).
Ses dernières créations offrent un autre aspect de cette alliance entre forme et matière. Elles retrouvent le propos des petits vases plats, comme eux également tirés d’images de notre environnement d’abord photographiées, puis numérisées et enfin exprimées manuellement. Mais cette fois ce sont des formes creuses, graciles érigées dans l’espace, au dessin inspiré des dégradations des vieux murs de Paris, arrachages d’enduits, traces de conduits de cheminées ou d’anciens appareillages de brique ou de pierre, tout un chaos pariétal urbain qu’il ramène aux dimensions de la main, via une préoccupation d’ordre plastique.
Peu importe que partant de cette source, le résultat s’en écarte quelque peu. Ce que nous voyons ressemble en effet plutôt à des éléments de jeux de construction, mi-architectures longilignes, mi-fragments industriels (leur couleur, un jus d’oxydes bruns, renforçant ce caractère), et ce sont aussi des «vases» par leur creux intérieur. Leurs parois extrêmement fines sont destinées à donner une certaine liberté à la terre de se déformer et de rester sensible à la cuisson dont il attend qu’elle «ajoute autre chose». Ce qui compte ici c’est la recherche et la production expérimentale de sensations nouvelles, nées du dessin et de l’appréhension de la matière poussée à ses limites par le bout des doigts. C’est la mise en œuvre d’un vocabulaire céramique réactivant autrement que par le moulage, qui a marqué toute sa formation, les formes de notre environnement. »
Carole Andréani
La Revue de La Céramique et du Verre n° 172, 2010