Pour sa première exposition personnelle aux Tanneries intitulée Des Histoires d’eau, Ouassila Arras (née en 1993 à Juvisy-sur-Orge, vit et travaille à Reims) présente sous la Verrière deux installations en face-à-face : Les Voisines (2020) et Mise en chantier (2020). De leur mise en dialogue naît une réflexion à la fois personnelle et universelle sur les phénomènes de migration et leurs impacts identitaires et culturels, dessinant ainsi les contours d’une figure hybride et nomade qui traverse – tout en étant traversée par eux – des corps, des frontières et des territoires, mentaux comme réels, unifiés comme éclatés, hérités comme vécus ou bien, encore, rêvés.
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Les Voisines, de vieilles paraboles constituées en petite foule, se tiennent là, chacune fardée d’effet de rouille plus ou moins accentué par l’artiste. Directement issue d’un corpus de photographies de travail initié par Ouassila Arras depuis plusieurs années et qui ont pour sujet les toits-terrasses qui jalonnent l’ensemble du pourtour méditerranéen, des villes du Maghreb à celles du Machrek, Les Voisines en constituent une retranscription topographique singulière sur le presque-toit à ciel ouvert qui se déploie sous la Verrière du centre d’art.
Espace de sociabilité et d’échange où les femmes se regroupent et se rencontrent, le toit-terrasse et ses paraboles symbolise de manière métonymique le corps et la parole des femmes dans ces villes. La proximité plastique de la rouille et du henné – autre matériau de prédilection de l’artiste, profondément attaché à l’esthétique teintée de spiritualité du corps féminin – n’est d’ailleurs sans doute pas anodine dans cette entreprise de personnification où le « corps » qui s’abîme devient aussi, paradoxalement, l’expression d’une force, d’une permanence. Formées en assemblée disséminée, ces figures aux formes arrondies se font les creusets de récits partagés, d’histoires individuelles et collectives entremêlées, ainsi que l’expression d’une continuité, d’une communication, au sein de laquelle la mise en regards joue un rôle essentiel – au-delà des isolements, enfermements et éloignements.
La transfiguration dans l’exposition du toit-terrasse et de ses paraboles exprime ainsi une autre forme de communication : celle entre le pays d’origine et le pays d’accueil, entre les hommes et les femmes « restés au pays » et les membres de la diaspora. Marques d’une modernité bercée d’obsolescence, les paraboles, qu’elles soient vestiges ou encore d’utilité, conservent un ancrage particulier dans l’imaginaire de la multiplication des échanges internationaux – à l’ère des nouvelles technologies d’information et de communication. Elles cristallisent une logique de rapprochement, réelle autant que fantasmée, induite par le phénomène de mondialisation, en une forme dématérialisée d’une traversée de la Méditerranée.
Grande absente de l’exposition mais pourtant omniprésente, dans le titre comme dans l’espace, des ondes paraboliques des Voisines jusqu’aux écumes de laine de Mise en chantier – dont les roulements immobiles déploient, déplacent et repoussent les frontières intérieures comme effectives –, la Méditerranée, ses eaux et les histoires qu’elles portent et emportent, fascine l’artiste qui rappelle ici la force de son ambivalence : tantôt frontière, interstice ou trait d’union, tantôt cruelle ou chaleureuse.
Constituée d’une grande grille de treillis soudés sur laquelle repose une peau issue du tissage de sacs plastiques bleus – entre la Mer, l’Azur et leur pollution – avec de la laine de moutons d’Algérie, Mise en chantier cristallise les paradoxes et mises en tension qui forgent l’hybridité d’une identité, d’un territoire, d’une histoire, d’une double-culture. L’installation mêle la douceur et la fluidité de la laine à la froide matérialité du grillage, insinuant peut-être, ainsi, le rêve d’une frontière qui ne serait pas si terrible – accompagnée des spectres de la mise en garde et de l’isolement –, mais poreuse et mobile. S’y retrouvent aussi lourdeur et légèreté, héritage artisanal et familial du mode de tissage d’une matière animale et modernité industrielle du plastique et du fer, masculinité de l’univers du chantier et féminité de l’activité du tissage algérien – dans un entrelacement des systèmes et des espaces de production genrés.
Si, dans les œuvres de Ouassila Arras, le dialogue se noue dans la contiguïté des espaces, des temps et des choses, il oblige aussi à s’y mouvoir. Les oppositions et proximités tissées à travers le rapprochement de Voisines et Mise en chantier – au sein desquelles Ouassila Arras conjugue approche sensible, tactile et même sonore – déterminent l’étendue offerte aux déambulations des visiteurs-marcheurs. De ces déambulations – physiques et mentales – dépend l’émergence d’une figure nouvelle : celle, peut-être, de l’espoir, d’une (ré)conciliation, entre force et fragilité, violence et discrétion, agressivité et douceur, unicité et hybridité, nostalgie et actualité, mémoire et présence, racines et ramifications, petites histoires et grande Histoire, intimité et collectivité, soi et les autres.
À travers la multiplication des points de vue et des perspectives opérée par la confrontation des Voisines à Mise en chantier– entre constructions et déconstructions –, Ouassila Arras poursuit le questionnement de sa double culture, sur fond d’une « géo-poétique » qui s’inscrit dans une esthétique de la coulure, de l’insinuation, du sac et du ressac, et au creux de laquelle se dessine le motif de la vague. Cette dernière charrie avec elle Des Histoires d’eau qui résonnent et se propagent comme autant de récits d’émancipation.
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Les œuvres Les Voisines et Mise en chantier ont été réalisées dans le cadre de la résidence de l’artiste à La Fileuse – Friche industrielle, Reims, FR.
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Autour de l’exposition : Conversation publique le 4 avril 2020.
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Infos pratiques
Horaires d'ouverture
de mercredi à dimanche de 14h30 à 18h
Tarifs
Entrée libre