On pourrait penser que tout a commencé le 20 août 2013. Premier jour, où Laure Tixier a visité le Val Fourré à Mantes-la-Jolie (1). Mais en observant de plus près la démarche de l’artiste, on se dit que ceci se profilait déjà pendant son enfance lorsqu’elle habitait dans le grand ensemble La Fontaine du Bac à Clermont-Ferrand. En poussant plus loin nos réflexions, on se demande si, justement, ça n’a pas plutôt débuté avec la construction, en France, de ces logements collectifs, des années 1950 aux années 1970.
Puis, la résidence à La Borne nous révèle que finalement tout a été amorcé il y a bien plus longtemps.
Laure Tixier s’intéresse à l’urbanisme, aux relations sociales engendrées par l’architecture. Sa démarche se déploie à travers divers médiums et se prolonge par ses recherches, ses rencontres, son écoute et son regard.
La résidence La Borne était l’occasion pour l’artiste de poursuivre, sous un autre angle, les réflexions soulevées via ses projets « Radar au fil du temps » (2) et « Formes collectives » (3). Au milieu du XXe siècle, alors que la construction des grands ensembles se développe, La Borne connaît un regain d’intérêt. De nombreux céramistes du monde entier viennent travailler dans des ateliers, parfois s’y installent, afin d’être au plus près de la terre dans tous les sens du terme.
Nous avons donc, à la même période, un nombre important de personnes, aux cultures variées, logées dans des tours ou barres d’immeubles pour venir travailler dans des usines ou du moins dans les grandes villes et, des citadins, venant également de divers pays, souhaitant s’installer à la campagne et pratiquer la terre en appréhendant des techniques traditionnelles. Deux styles de vie radicalement différents, mais qui génèrent par la richesse culturelle, des échanges et des relations que souhaitent mettre en avant Laure Tixier rejointe sur ce projet par Hervé Rousseau.
Laure Tixier souhaitait travailler avec ce dernier dont elle suivait le travail depuis déjà un certain temps. La démarche de l’artiste céramiste, et plus visibles, les gestes qu’il imprègne à ses volumes s’opposent à la radicalité des grands ensembles.
Les deux artistes sont partis d’une forme verticale (la tour) et d’une seconde horizontale (la barre). Ils ont travaillé la terre dans des coffrages en bois, éléments rappelant ceux utilisés pour les constructions en béton. Les techniques archaïques retenues sont celles utilisées par Hervé Rousseau tels que les colombins ou la terre foulée au pied… Laure Tixier s’est « glissée (4) » dans les pratiques d’Hervé Rousseau. Elle les a observées puis les a mimées sans pour autant les copier. Les gestes ont naturellement été revisités. L’artiste se les est appropriés.
Quant à Hervé Rousseau, il a dû s’exprimer dans un parallélépipède, une contrainte qui jusqu’alors ne lui était pas familière. C’est ainsi que plusieurs dialogues ont eu lieu. Ceux entre les artistes et ceux générés par les nouvelles pratiques de la terre mises en place par chacun. Si les gestes sont mis en oeuvre dans ce qui sera par la suite l’intérieur des volumes, ils imprègnent néanmoins leurs surfaces extérieures qui révèlent également les différentes techniques utilisées.
Ces parallélépipèdes reprennent les formes des grands ensembles, mais font également référence à celles des ruches. Accueillant des essaims d’abeilles elles sont constituées majoritairement d’ouvrières à l’instar des logements collectifs qui ont été construits en grande partie pour des familles d’ouvriers. Ruches ré-utilisées par nombre de personnes dans les années 60 et 70 faisant le choix de s’installer à la campagne.
Le rucher de Laure Tixier et Hervé Rousseau est constitué de dix tours et huit barres. Son titre « Des chemins de grues aux chemins de grès » révèle une fois de plus le contraste entre la radicalité des constructions de grands ensembles et les céramistes qui ont souhaité quitter la ville pour prendre la clé des champs. Dans les grands ensembles, les rails sur lesquels se fixaient des grues devaient permettre une meilleure optimisation du chantier de construction, tandis qu’à La Borne, les chemins de grès sont posés, ici, aux pieds du four Noborigama d’Hervé Rousseau afin de déplacer aisément les pièces. Une analogie de conception que les artistes suggèrent avec poésie dans le choix de leur titre.
Ces dix-huit volumes ont été engobés et émaillés en blanc soit au pinceau soit au pistolet (5) générant des surfaces variées. Certains
On pourrait penser que tout a commencé le 20 août 2013, premier jour où Laure Tixier a visité le Val Fourré à Mantes-la-Jolie (dans le cadre d’une résidence lors de laquelle a été réalisé, en 2014, le projet Radar au fil du temps).
Mais en observant de plus près la démarche de l’artiste, on se dit que ceci se profilait déjà pendant son enfance lorsqu’elle habitait dans le grand ensemble La Fontaine du Bac à Clermont-Ferrand.
Les deux artistes sont partis d’une forme verticale (la tour) et d’une seconde horizontale (la barre). Ils ont travaillé la terre dans des coffrages en bois, éléments rappelant ceux utilisés pour les constructions en béton. Les techniques archaïques retenues sont celles utilisées par Hervé Rousseau tels que les colombins ou la terre foulée au pied… Laure Tixier s’est « glissée (4) » dans les pratiques d’Hervé Rousseau. Elle les a observées puis les a mimées sans pour autant les copier. Les gestes ont naturellement été revisités. L’artiste se les est appropriés. Quant à Hervé Rousseau, il a dû s’exprimer dans un parallélépipède, une contrainte qui jusqu’alors ne lui était pas familière. C’est ainsi que plusieurs dialogues ont eu lieu. Ceux entre les artistes et ceux générés par les nouvelles pratiques de la terre mises en place par chacun. Si les gestes sont mis en oeuvre dans ce qui sera par la suite l’intérieur des volumes, ils imprègnent néanmoins leurs surfaces extérieures qui révèlent également les différentes techniques utilisées.
Ces parallélépipèdes reprennent les formes des grands ensembles, mais font également référence à celles des ruches. Accueillant des essaims d’abeilles elles sont constituées majoritairement d’ouvrières à l’instar des logements collectifs qui ont été construits en grande partie pour des familles d’ouvriers. Ruches ré-utilisées par nombre de personnes dans les années 60 et 70 faisant le choix de s’installer à la campagne.
Le rucher de Laure Tixier et Hervé Rousseau est constitué de dix tours et huit barres. Son titre « Des chemins de grues aux chemins de grès » révèle une fois de plus le contraste entre la radicalité des constructions de grands ensembles et les céramistes qui ont souhaité quitter la ville pour prendre la clé des champs. Dans les grands ensembles, les rails sur lesquels se fixaient des grues devaient permettre une meilleure optimisation du chantier de construction, tandis qu’à La Borne, les chemins de grès sont posés, ici, aux pieds du four Noborigama d’Hervé Rousseau afin de déplacer aisément les pièces. Une analogie de conception que les artistes suggèrent avec poésie dans le choix de leur titre.
Ces dix-huit volumes ont été engobés et émaillés en blanc soit au pinceau soit au pistolet (5) générant des surfaces variées. Certains éléments sont ressortis nacrés ajoutant ainsi une préciosité aux volumes. Laure Tixier et Hervé Rousseau, souhaitant évoquer les échanges et la convivialité qui prédominaient au début des grands ensembles, n’ont pas ajouté de charbon à la fin de la cuisson (6). L’empreinte du feu aurait pu évoquer les violences récentes subies dans ces quartiers, situations que ne nient en aucun cas les artistes, mais dont ce n’est pas, ici, le propos. Certes, ces logements locatifs ont connu et connaissent encore des moments durs. Certains ont été démolis en espérant ainsi éradiquer les problèmes. Pendant la résidence de La Borne les deux artistes ont organisé un workshop avec des étudiants (7) de l’École nationale supérieure d’art de Bourges pour déplacer sur un autre territoire le récit de la modernité par les savoirs faire ancestraux de la céramique. En partant du plan de masse de barres et de tours démolies (8) chaque étudiant a imaginé, réalisé une élévation où les gestes et les volumes s’éloignent totalement de la radicalité des grands ensembles. Du chemin de grues au chemin de grès, toutes les bifurcations sont les bienvenues.
Leïla Simon
1 Résidence au Val Fourré où a été réalisé le projet « Radar au fil du temps », 2014.
2 « Radar au fil du temps », série de 6 broderies et texte, 2014, tissus, fils, perles, Fadma Bamarouf (1972), Sylvie Ziane (2000), Fatima Ouahid (2005), Jemia Chelkine (2006), Hasna Bamarouf (2007), Naïma Guessouss (2014), 40 x 31 cm chacune.
3 « Formes collectives », 2015 – 2017, aquarelles, céramiques, installations, vidéo, dimensions variables.
4 Terme utilisé par Laure Tixier lors de notre rendez-vous le 29 novembre 2018.
5 Le pistolet était jusqu’alors peu utilisé par les artistes.
6 Hervé Rousseau ajoute du charbon pendant la cuisson afin de préciser l’empreinte du feu sur ses pièces.
7 Ambre Dourneau, Laura Duchesne, Clara Gendre, Serin Kim, Julia Soldano, Insun Song, Charlotte Thibault.
8 Barres et tours détruites dans le quartier des Gibjoncs à Bourges.
Parallèlement à l’exposition de Laure Tixier et Hervé Rousseau, nous accueillons l’exposition du projet issu du workshop réalisé avec les étudiants de l’Ensa Bourges : Ambre Dourneau, Laura Duchesne, Clara Gendre, Serin Kim, Julia Soldano, Insun Song, Charlotte Thibault.
Sous la direction de Laure Tixier et Hervé Rousseau.
En poussant plus loin nos réflexions, on se demande si, justement, ça n’a pas plutôt débuté avec la construction, en France, de ces logements collectifs, des années 1950 aux années 1970. Puis, la résidence à La Borne nous révèle que finalement tout a été amorcé il y a bien plus longtemps…
Infos pratiques
Horaires d'ouverture
Ouverture tous les jours de 11h à 18h.