« Guillaume Constantin vient questionner le devenir et la valeur des réserves patrimoniales et muséales de la ville de Tours suivant différents dispositifs sculpturaux s’adaptant à l’architecture des octrois et à leur histoire.
Depuis une dizaine d’années, Guillaume Constantin développe une pratique sculpturale remettant en jeu les classifications qui nous permettent d’identifier et de hiérarchiser les composantes matérielles du monde. Nées des zones incertaines de la taxonomie, ses œuvres sont à la fois dispositifs de monstration, objets du regard et de spéculation. En mettant en dialogue différentes typologies d’artefacts, Guillaume Constantin fait usage des processus qui confèrent leur valeur aux matériaux et aux gestes qui les ont façonnés. Affleurant à la surface du présent, les ressources matérielles dont il s’empare ont circulé dans l’espace et dans le temps selon des conditions fluctuantes d’anoblissement et de déclassement. Constitué de fragments d’architecture, de collection d’objets brisés ou de reproductions sans valeur d’œuvres anciennes, ce répertoire matériel a été déchu de toute nomenclature. Propulsés hors des cadres normatifs et des grilles de lecture qui permettraient de s’accorder sur leur statut, ces états non nommés de la matière n’ont pourtant pas été relégués à la sphère du rebut. Collectionnés, répliqués, restaurés ou réinterprétés par des tiers, ils se sont inscrits dans d’autres régimes de valeur, d’autres économies du geste et du regard. Qu’ils soient issus du domaine industriel, artisanal, patrimonial ou domestique, les éléments qui stratifient l’exposition Arrondir les angles ont été façonnés dans la brèche ouverte par cette perte de valeur originelle. Tous sont le fruit de transactions singulières qui se sont discrètement nouées avec la matière et sédimentées dans ses replis.
Pour cette première exposition personnelle à Tours, Guillaume Constantin a choisi d’investir l’un des vestiges de l’octroi qui autrefois ceinturait la ville. Frontière économique et administrative, ce pavillon de la place Choiseul a constitué, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un lieu stratégique de modification de la valeur de tout bien qui en franchissait le seuil. Sous le règne de Louis XV, la construction des octrois s’inscrit dans un vaste programme de restructuration du territoire. Réduite à son acception économique, la circulation des individus et des biens est administrée selon un système strict de contrôle mais aussi de taxation de toute chose à laquelle est prêtée une valeur marchande potentielle.
Détournant les typologies et réglementations établies par l’esprit rationaliste de l’administration du Trésor, Guillaume Constantin rend à l’octroi de la Place Choiseul toute sa dimension historique. Au rez-de-chaussée, dédié au prélèvement fiscal de la valeur, il reproduit les logiques d’accumulation et d’empilement qui étaient alors réservées à la matière. À l’étage dévolu au logement personnel du gardien de l’octroi, il met en exergue l’interprétation sentimentale et émotionnelle du monde matériel qui lui était rigoureusement opposée. De cette dichotomie entre la matière et l’esprit, Guillaume Constantin perturbe les lignes de partage. Parce qu’elle s’inscrit dans les marges des régimes valuatifs en vigueur, cette exposition met en lumière les chemins de traverse empruntés par une catégorie subalterne de biens et la multiplicité des lectures et des modes de transmission qu’elle autorise. Alors que d’autres frontières et d’autres régimes régissent aujourd’hui la circulation des biens entre les individus, Guillaume Constantin explore des voies de création et de mise en partage de la richesse qu’une logique rationaliste de la valeur désignerait comme contrebandières. L’exposition Arrondir les angles se nourrit de ce contexte transactionnel où se jouent des appréciations émotionnelles et rationnelles tangentes. Elle ouvre ainsi un nouvel espace de négociation entre l’estimable et l’inestimable ».
Sandra Delacourt
Informations pratiques :
Exposition ouverte au public le week-end de 16h à 19h et la semaine sur rendez-vous.