La tisserande des nuits
photographies 1
Exposition issue des travaux du séminaire La Tisserande des nuits, en suivant les fils et les plis (Ensa, années universitaires 2013/2016) réalisée avec la collaboration des artistes et des galeries Éric Dupont, Paris ; Les Filles du Calvaire, Paris ; la Galerie Particulière, Paris ; Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles ; la galerie Fraenkel, San Francisco ; le FRAC Bretagne ; le FRAC Nord-Pas de Calais.
Jeudi 12 mai 2016
16h : table ronde à l’amphithéâtre de l’Ensa en présence d’Alicja Dobrucka, Corinne Mercadier, Stéphane Couturier et Antonio Guzmàn
18h : vernissage à La Box
La tisserande des nuits est l’intitulé donné à la première partie des Mille et une nuits.
C’est dire que dans ce projet il sera question d’images, de récits et du langage, comme dans le recueil perse de contes nocturnes entrecroisés que Schéhérazade raconta au sultan Shahryar.
Quatre repères d’un rapport au monde
Allégoriques, mythologiques ou corroborées, les histoires de l’art et du tissage sont entrelacées. En Occident, dans l’Antiquité, ce maillage relève déjà pour Pline l’Ancien de l’histoire naturelle du monde, lorsqu’il relate le fameux concours de peinture entre Zeuxis et Parrhasios, aux alentours de la 95e olympiade, où il est question de ne pas pouvoir retirer un rideau pour faire voir un tableau, dans la réitération d’un récit où le dévoilement n’est pas possible car le voile est le sujet du tableau.
À son tour, vers 1470, Léonard de Vinci forme le projet, jamais achevé, d’un Trattato de la peinture où le fécond thème du drapé et la riche diversité de ses propriétés plastiques sont mis en avant, et où l’étude de la nature matérielle des plis des draperies et des étoffes (du drap fin ou grossier, de la soie, du lin ou du crêpe) fera partie intégrante de l’activité et de l’atelier du peintre.
Vers 1826, Nicéphore Niepce réalise l’héliographie – aujourd’hui perdue – connue sous le titre de La Table servie, une nature morte sur une table nappée, considérée comme la première prise de vue photographique.
En 1844, William Henry Fox Talbot publie The Pencil of Nature, le premier livre édité avec des illustrations photographiques. Il décrit l’invention et les techniques d’un new art, et il déploie également les termes d’un nouveau rapport de l’art à la nature.
Des vingt-quatre illustrations que comporte cette publication (études d’architecture, paysages, natures mortes, scènes diverses), la plaque n°20 est le détail agrandi d’une bordure de dentelle dont les fils et entrelacs sont la démonstration du processus de passage à une image positive à partir d’une image négative.
En son temps, Roland Barthes a débuté La Chambre claire avec la seule illustration en couleur de son livre, le monotype d’un Polaroïd de Daniel Boudinet, bleu-vert sombre, une vue en contrejour d’une fenêtre aux rideaux tirés d’une pièce dans la pénombre. Ce faisant, il a tout renversé dans son roman posthume de la photographie, en faisant d’une camera obscura une camera lucida, d’une chambre noire une chambre claire. C’est là qu’il affirme la photographie comme « un objet anthropologiquement nouveau ».
Deux constats
L’actualité des grandes expositions, en France comme à l’étranger, permet de déceler la persistance du textile comme sujet, matériau, médium ou métaphore dans le domaine des arts plastiques.
Ce faisant, qu’elles soient moins spectaculaires ou extensives, monographiques ou collectives, dans des institutions ou en galerie, elles réitèrent l’actualité du recours fructueux et diversifié au textile par les artistes contemporains.
Sans aller au point de la considérer comme une résurgence ou un retour au textile, cette pratique actuelle du textile dépasse largement les frontières de l’artisanat et celles, quelque peu restreintes, de ce qui serait communément défini comme l’art textile ou fiber art.
Si le recours des artistes vivants de premier plan aux possibilités du textile, dont témoignent ces grandes expositions, n’est pas à établir, il y a encore une étude à faire du recours à l’étoffe dans la photographie contemporaine. La tisserande des nuits – photographies 1 est une première ébauche de cette étude.
La trame de l’exposition
[…] étymologiquement, « texte » veut dire « tissu ».
Roland Barthes, Théorie du texte, 1974
Dans la langue spéciale des artistes, on appelle draperie toute étoffe ou toute partie d’étoffe dont la souplesse naturelle et le libre mouvement produisent un ensemble de plis.
Léon Heuzy, Histoire du costume antique, d’après des études sur le modèle vivant, 1922
Le récit de l’exposition est tramé dans l’air du temps, à travers dix artistes, quatorze photographies, et une installation.
Les artistes sont français et étrangers, appartenant à trois générations différentes. Les uns sont célèbres mais pas dans une démarche photographique (Anne et Patrick Poirier, Hans Haacke), les autres sont primés et confirmés comme photographes (Valérie Belin, Hannah Collins, Stéphane Couturier, Corinne Mercadier, Nicholas Nixon). Une artiste jeune et encore émergeante (Alicja Dobrucka) expose ici pour la première fois en France.
Les photographies sont des scènes et des documents, en couleur et en noir et blanc, numériques et argentiques, en moyens ou grands formats.
Formellement et thématiquement, les œuvres reprennent, se retournent et relayent le récit de l’exposition, sans l’épuiser. Comme Schéhérazade et ses contes nocturnes entrecroisés, dont elle n’est que la première narratrice, et peut-être la dernière, qui dresse le métier, établit le cadre et la structure de la spirale narrative ; le premier conte introduit avant sa fin un personnage qui devient le nouveau narrateur du conte suivant, et ainsi de suite, en abyme, des contes dans des contes pendant mille et une nuits.
[…] le tissage n’est pas une métaphore du langage, c’en est l’étoffe même.
Charles Melman.
Exposition issue des travaux du séminaire La Tisserande des nuits, en suivant les fils et les plis conduit par Antonio Guzmán (ENSA de Bourges, années universitaires 2013-2016) réalisée avec la collaboration des artistes et des galeries Eric Dupont, Les Filles du Calvaire, la Galerie Particulière, Paris, Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles, Fraenkel Gallery, San Francisco, le FRAC Bretagne, le FRAC Nord-Pas de Calais.