Ces 15 dernières années, 70 coopératives d’activité et d’emploi ( CAE ) ont vu le jour en France. En soutenant l’entrepreneuriat et en lui offrant un statut simplifié, elles ont attiré plus de 3000 salariés en 2012, selon le réseau Coopérer pour entreprendre. Pourtant, seulement 3 structures sont spécialisées dans le secteur culturel et artistique. À Tours, c’est Artefacts, initialement basée à Orléans, qui y a logé une antenne début 2013.
Entreprendre aujourd’hui semble complexe. Il faut connaître ses droits et ses devoirs, faire sa comptabilité, choisir son statut, connaître le marché… En somme, il ne suffit pas d’avoir des compétences, il faut également gérer une entreprise. Pour Emmanuel Doudat, directeur et chargé de projet à Artefacts, la CAE permet de se décharger de nombreux aspects administratifs. Elle accueille les futurs entrepreneurs, développe avec eux leurs projets et les salarie au sein de la SCOP ( société coopérative et participative ). Le choix du salariat est majeur. L’intermittence et l’auto-entrepreneuriat sont des régimes précaires qui n’ouvrent pas certains droits à ses bénéficiaires. À Artefacts, un plasticien, un photographe ou un réalisateur pourra jouir d’indemnités de chômage, de congés maladie ou encore de congés payés.
Suffit-il de salarier ?
D’autres systèmes comme le portage salarial permettent également de bénéficier du statut de salarié. Cela dit « ces sociétés ne font pas d’accompagnement de projet et demandent un chiffre d’affaires minimum » précise Emmanuel Doudat. Chez Artefacts, il s’agit de soutenir et de développer l’activité. Le porteur de projet se voit suivi durant 3 à 6 mois avant d’intégrer pleinement la SCOP. Ensuite, la coopérative continue son travail en assurant la comptabilité, la protection juridique et en utilisant son réseau et ses outils au service du salarié en échange de 10% de son chiffre d’affaires. Si les sociétés de portage salarial demandent un chiffre d’affaires mensuel supérieur à 2900 €, les CAE n’ont aucun seuil minimal. Coopérer pour entreprendre comptait 66,5 millions de chiffre d’affaires pour plus de 3000 entrepreneurs salariés en 2012. Même si ces chiffres sont en nette progression, ils ne présagent pas un remède miracle à la situation difficile des auto-entrepreneurs et des artistes. Mais on ne devrait pas parler de chiffre d’affaires moyen selon Emmanuel Doudat pour qui « les salaires vont du minimum légal à 3000 euros par mois. Cela dépend de l’avancement du projet. Certains ont aussi un contrat ailleurs. ».
D’Orléans à Tours
Implantée au sein de la pépinière d’entreprise du Sanitas, l’antenne tourangelle coulait de source. L’implantation des différents salariés est déjà très étendue sur le territoire. Certains n’habitent même pas en région Centre. La singularité de la structure et son champs d’action culturel favorise certainement cet éloignement. Un certain nombre de salariés étaient déjà présents à Tours, tout comme Marc Frèrebeau, développeur web et élément essentiel à la création de la SCOP tourangelle.
Si la multiplication des lieux d’accueil permet la proximité, une raison financière vient appuyer le projet. Comme toute coopérative, Artefacts a la possibilité de faire appel à des subventions pour le fonctionnement de sa structure. Ainsi, Orléans a pu bénéficier d’un plan tri-annuel de la part de la région Centre. « Mais elle ne finance plus rien au-delà des 3 ans, contrairement à d’autres régions » nous informe Emmanuel Doudat. La création de cette antenne était non seulement la possibilité d’étendre le réseau, mais également de continuer à percevoir une aide précieuse au développement de cette structure. D’autres subventions du conseil général ou de la DIRRECTE viennent soutenir le projet. Cela reste du court terme pour le directeur d’Artefacts.
Un soutien à l’activité
Si Artefacts assure les aspects administratifs des entrepreneurs salariés, sa spécialisation dans les domaines des arts, de l’artisanat d’art et du numérique lui permet de développer les outils et les réseaux adaptés à ce secteur. La coopérative est capable de proposer des formations ciblées et des mallettes pédagogiques. « Nous attachons beaucoup d’importance à la culture du libre » précise Emmanuel Doudat. Par conviction, mais pas seulement. Car apprendre à utiliser des logiciels libres de droit, c’est permettre aux salariés de rester indépendants et en règle vis à vis d’outils informatiques souvent très onéreux. Des compétences non négligeables lorsque l’on débute son activité.
Laure Vivier, chargée d’accompagnement, accorde de l’importance aux réseaux alternatifs culturels locaux. Elle est arrivée au moment de la création de l’antenne tourangelle et est spécialisée autour des questions des droits d’auteurs. Au sein de la SCOP, elle est un atout important pour conseiller les artistes sur leurs droits.
Outre ce soutien technique, la coopérative permet de les sortir de l’isolement, très présent chez les travailleurs indépendants. Les locaux sont ouverts, chacun peut venir y travailler. Laure Vivier assure que tout est mis en œuvre pour qu’un dialogue s’instaure entre les salariés. L’idée est de pouvoir entreprendre des projets entre collègues. Pour ça, des liens étroits sont engagés localement avec d’autres acteurs culturels, comme les ateliers de la Morinerie, le festival Aucard de Tours, le centre social Plurielles ou encore le collectif Ohé du Bâteau. Une exposition collective ouvre ses portes le 1er juillet à la Galerie Neuve dans le quartier du Sanitas à Tours.
Artefacts met également en place ses propres outils. Après 4 ans d’expérience, Orléans a pu développer une boutique éphémère déployée 3 fois dans l’année ou depuis peu des paniers culturels. Sur le principe des paniers de légumes, la SCOP développe l’idée avant d’envisager de l’étendre sur le territoire tourangeau.
Une coopérative avant tout
Des chanteurs, danseurs, graphistes, plasticiens, développeurs, écrivains, régisseurs… 21 entrepreneurs salariés font déjà tourner l’antenne tourangelle. Il n’y a pas de profil type à Artefacts, mais des personnes susceptibles de pouvoir travailler ensemble. « Les projets collectifs sont essentiels d’un point de vue économique financier et psychologique. Ils apportent beaucoup » d’après Emmanuel Doudat pour qui l’aspect coopératif est une dimension non négligeable. Comme dans n’importe quelle SCOP, chacun peut participer au capital de l’entreprise et avoir son mot à dire sur sa gestion.
Mais pour que l’aventure fonctionne, il ne suffit pas d’intégrer la CAE. « La coopérative ne crée pas de marché là où il n’y en a pas » rappelle Emmanuel Doudat. Il faut également développer des capacités à démarcher. « On peut aider, accompagner, développer des démarches collectives, mais à la fin, il faut aller au charbon ».
La plupart des salariés arrivent déjà avec de l’expérience à Artefacts. Ils ont généralement entre 30 et 45 ans, sont en reconversion, éloignés des réseaux professionnels ou en multi-activité. Si Emmanuel Doudat veut bien avouer que la CAE n’est pas adaptée aux profils en mono-activité, son bilan reste positif. « La SCOP permet à l’entrepreneur salarié d’augmenter son volume d’affaires, le nombre de ses prestations et d’évoluer vers des projets plus ambitieux ».
Romain Deschambres, juin 2014
Exposition collective à la Galerie Neuve, place Neuve à Tours. Du 1er au 13 juillet 2014.
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