Maladaptive Daydream
Trois – petits – coups, ouvrent sur les traces d’un ballet imaginaire.
A dream is a wish your heart makes
Elle a ouvert les yeux.
When you’re fast asleep
Fiction, produit compulsif.
In dreams you lose your heartaches
Elle est dans son lit avec ses cheveux cendrés.
Whatever you wish for, you keep
Elle a enduit de vaseline ses pieds, a repris ses esprits et enfilé ses bottes.
Elle a regardé là, au cœur de la maison, se jouer au pied des cendres, le décor qui s’habite, le sol qui se déplie.
Des nageuses cisaillent l’air de leurs bras répétant leur bal.
À leurs pieds, la piscine se transforme en billard.
Deux joueurs rampent sous le lustre, parmi les boules.
À sec, elle s’est regardée danser. Mais cette pièce-là, c’est le théâtre des contraintes ou des libertés ?
Have faith in your dreams and someday
Je vois qu’elle a rejoué la scène, elle a mis le couvert et elle a tout détruit.
Your rainbow will come smiling through
Je parcours la maison, l’Octroi, l’adaptation du conte.
No matter how your heart is grieving
Il était une fois, le va et vient entre le souvenir qu’elle a élaboré dans son ventre et la fiction
If you keep on believing
Je vois toute la pièce se répéter indéfiniment, la mélodie continue.
The dream that you wish will come true.
Eva Houzard
Ce texte d’Eva Houzard évoque l’exposition / installation d’Alexandra Riss à l’octroi sud-est de Tours. La sortie de résidence d’Alexandra Riss, sur l’invitation de l’association Mode d’emploi, est l’occasion d’explorer plus avant le travail de cette jeune artiste, diplômée de l’esba Talm Tours depuis deux ans, qui a séjourné et travailler ici pour sa toute première résidence.Suivre l’évolution d’un.e artiste sur quelques semaines vis a vis d’un projet d’œuvre ou d’exposition est passionnant. J’ai eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises lors de ce séjour et d’approcher son processus d’appropriation de ces conditions de travail et d’élaboration de ces œuvres dans ce lieu, avec ce lieu.
Une cendrillon de sang froid
La démarche d’Alexandra Riss renouvelle profondément le rapport que les spectatrices et spectateurs pourront avoir du bâtiment de l’octroi, qu’elle a littéralement domestiqué, de façon allégorique.
Ce bâtiment historique devient le support de projections mentales et de performances fantasmées.
L’artiste aime l’oralité et c’est autour d’une double histoire : le conte de Cendrillon et des histoires de famille (autour d’une maison dont seul le plan fait désormais partie de son héritage) qu’elle incarne par des corps fantômes et des objets bien tangibles l’habitation d’une maison archétypale, qui abrite références et réminiscences, matérialité et évanescence.
Wishing
Espérer
Dreaming
Rêver
A dream is a wish your heart makes
Un rêve est un vœu formulé par ton cœur
When you’re fast asleep
Quand tu t’endors rapidement
In dreams you will loose your heartache
Dans tes rêves tu oublieras tes peines de cœur
Whatever you wish for you keep
Quoi que tu souhaites, protège ce serment
Have faith in your dreams and someday
Crois profondément en tes rêves et un jour
Your rainbow will come smiling through
Ton arc-en-ciel viendra en souriant
No matter how your heart is grieving
Peu importe à quel point ton cœur est lourd
If you keep on believing
Porte ton rêve vers l’avenir
The dream that you wish will come true
Et ce rêve secret se réalisera
No matter how your heart is grieving
Peu importe à quel point ton cœur est lourd
If you keep on believing
Porte ton rêve vers l’avenir
The dream that you wish will come true
Et ce rêve secret se réalisera
Par l’usage rêvé : un objet crée une situation transitionnelle
Lorsque j’ai discuté avec Alexandra de sa résidence et productions en cours, il y a quelques semaines de cela, Alexandra m’avait laisser emprunter son mémoire de fin d’études en école d’art, en mentionnant le devenir idéal de cette édition unique : être une rumeur, un objet qui circule de main en main, ou plutôt de bouche à oreille. « Merzescalade (La Montagne Inversée). Récit fictif. » est une courte fiction qui raconte l’escalade du Merzbau de Kurt Schwitters. Écrit à la première personne, il s’agit vraisemblablement de sa propre escalade, mais rien ne permet de cerner l’identité de la narratrice, toute entière tendue dans sa quête du sommet et concentrée sur la technique appropriée.
Il me semble qu’Alexandra Riss envisage de manière récurrente dans son travail une sorte de rêverie de l’action, une rêverie par l’action. À l’image des faits héroïques qui fondent un personnage de légende, c’est la mise en scène évoquée, narrée ou juste imaginée qui révèle le pouvoir des choses. Loin de n’être que des accessoires, les objets deviennent acteurs, témoins, passeurs d’histoires muettes. L’objet créé ouvre une situation lors de laquelle il sera éprouvé dans un usage spécifique. Lors de l’exposition et du partage avec le public, les récits furtifs de cette utilisation composent une scène fictive. L’œuvre est finalement tout cela : elle est une histoire, elle est du temps et des états successifs, elle est à la fois une présence matérielle et immatérielle.
Les gestes et déplacements du corps sont-ils pour Alexandra Riss des moyens, tels des ressorts dramatiques, pour nous raconter, ou nous inciter à nous raconter nous-mêmes, des histoires ?
Il n’y a pas d’aléatoire dans tout cela, cependant, la rumeur
L’artiste désigne la plupart de tes productions en trois dimensions comme des objets performatifs. Il sont nets et précis dans leurs taille, volume et aspect, à l’issue de finitions méticuleuses. Elle cale les performances avec des professionnels convoqués pour la précision de leurs gestes et la maîtrise de leurs savoirs-faire. Les performances orchestrées impliquent concentration extrême (où il faut « se vider la tête ») et maîtrise (où il s’agit de « ne faire qu’un.e avec son corps ») avec pragmatisme et sang froid. Autour de toute cette précision, Alexandra souhaite encourager une sorte de rumeur, un écho plus ou moins distordu de ce qui s’est passé, transmis oralement. Quelques antonymes de précision sont indécision, approximation, confusion ou incertitude.
Au sein de ces champs lexicaux, où ses œuvres se situent-elles ? Quel rôle, voire responsabilité, avons-nous pour cela ?
Je sais que pour la sortie de résidence le calendrier n’a pas permis la réalisation des performances envisagées, celles-ci sont donc plus que jamais des récits fantasmatiques. Mais cela change-t il notre perception des objets performatifs produits ? Il me semble que tout le lieu est devenu un objet performatif.
En découvrant son exposition de sortie de résidence, toute la place est laissée aux possibles habitations de la part des spectateurs. Ton corps se devine par des empreintes discrètes : dans la dimension du lit dans lequel tu peux t’allonger (La Vestale – Installation, couvertures de survie, cendres, bois, miroirs), dans la hauteur de la chaise d’arbitre sous laquelle tu peux te tenir debout (A Dream Is A Wish Your Heart Makes – Objet performatif, métal, bois), dans le moulage grandeur nature de tes pieds (Ça lui allait comme un gant – Objet performatif, silicone, vaseline), la taille de la nuisette (Comment ça va à la selle ? – Objet performatif, broderie sur tissu) que tu peux porter. À l’inverse total des maisons-témoins, surjouant l’habitation de carton pâte par des mises en scène factices, ce corps forme une présence-témoin qui infiltre le pavillon de l’octroi et domestique, littéralement, ce vestige de poste douanier des marchandises du XVIIIème siècle. Ce bâtiment administratif, simple guichet de taxation, devient une maison archétypale : une idée de maison. Les empreintes de ce corps constituent-elles des sortes d’autoportrait (en creux, en filigrane, en fragments ) ? Est-ce un moyen – plus ou moins différé – d’interagir physiquement avec les spectateurs ?
Domus – Dominium – Dominarium
Dans la salle de billard se trouve un dessin sous caisson lumineux : il s’agit du fac similé d’un plan de maison bourgeoise. La maison a été vendue, le plan en est désormais le seul héritage transmissible. Les trois pièces ouvertes au public du pavillon de l’octroi ont été rebaptisées selon des dénominations issues de ce plan : vestibule, salle de billard et chambre. Nous parlions de corps-témoin, de corps-fantômes évoqués par des objets performatifs, s’agit-il d’une maison fantôme dans la maison de conte de fées ?
Dans le conte, Cendrillon n’a pas de maison tout en étant la gardienne du foyer. Dans les adaptations cinématographiques sa famille est composée d’animaux qui habitent cette même maison en tant que parasites (rongeux, oiseaux). Le conte de Cendrillon est peut-être une évocation [Voir plus bas] des vestales romaines, ces vierges chargées de garder le feu sacré du temple de Vesta, déesse du foyer. Un feu sacré auquel elles ne peuvent pas elle-même se réchauffer…
DOMESTIQUE : domesticus (« qui est lié au foyer »), dérivé de domus « maison ». Le terme domus remonte à une étymologie indo-européenne (*dom-) qui désignait la famille sur deux générations, et tire son origine de la racine –dem-, construire.
DOMINER : De dominus (« maitre (de maison) ») et -ium – équivalent féminin : domina. Maître de maison, propriétaire. Chef.fe, souverain.ne, arbitre, maître.sse (au propre et au figuré). Terme de politesse qui équivaut à Monsieur en français. Ami, amant. (Religion chrétienne) Seigneur Dieu.
DANGER : De l’expression estre en dangier d’aucun « être à la merci de quelqu’un », originellement être « sous la domination de quelqu’un ». En ancien français dongier, dangier « domination », du bas latin *dominārium, du latin classique dominium, avec peut-être influence de dam à l’initiale.
[Référence évoquée plus haut]
Selon Jen Hellé, nous pouvons également rapprocher le conte de Cendrillon au conte égyptien de Visage de Rose