Faite de déplacements, sculptures, dessins, installations, performances, actions et photographies, la démarche artistique de Thomas Wattebled dépasse les frontières entre les médiums.
Ses œuvres révèlent ce qui est essentiel pour lui : « créer des coïncidences ». Faire coïncider, c’est faire dialoguer et se rencontrer des éléments, des expériences, des observations, des émotions pour en sortir une forme. À la fois esthétique et porteuse de sens, ses pièces interrogent la place de l’Homme, de l’Homme normal dans notre société actuelle en constante mutation.
Avec sa série des Échoués, (2015-2018) c’est d’abord un regard de sculpteur qui est porté sur l’objet du rond point, puis de la décoration qui est plantée au milieu. Il ne s’agit pas de n’importe quel rond point. Un long travail de recherches et de repérages sur le territoire est mis en œuvre pour trouver des ronds-points de la côté Normande et Bretonne sur lesquels des bateaux sont fièrement présentés.
Le bateau, symbole de liberté, symbole d’un horizon accessible par la mer est finalement immobilisé. Abandonné, mis de côté. On tourne autour de ce mobile immobile, on tourne en rond dans notre voiture. Le bateau s’enlise, pourri. La carte postale s’abîme. Les possibilités de voyage, d’évasions, de mouvement sont mises entre parenthèse. Puis, une action clandestine/fugace. Une fois la nuit tombée, il traverse en courant la route qui le sépare du rond-point pour se hisser sur la proue du bateau. Alors on pense aux traversées migratoires et aux actions qui se passent la nuit.
Vient la performance. Une fois en place, il déclenche les feux de détresse. Se joue alors une minute de tension. Une performance vive, ardente et intense au cours de laquelle l’adrénaline de l’artiste est au plus haut. Car l’action est interdite. C’est l’interdit de se rendre sur ce territoire, ce non lieu que l’on contourne sans le regarder, mais aussi l’interdit de brandir ces feux de détresse, explosifs réservés aux marins. C’est aussi un geste fort. Brandir ces feux de détresses, comme à la fois un cri d’alarme du naufragé qui met en lumière celles et ceux laisser de côté, mais aussi un cri de vainqueur, de corps combatif dans une société morcelée.
Enfin une photographie. Une série d’image noire et rouge, qui garde la trace de ces actions. Des images tempétueuses et romantiques à la fois. Où l’on voit l’artiste, à l’avant du navire, le visage froissé par la rudesse du climat, la pluie, le vent, le froid, où l’on note la difficulté de l’action, la peur, mais l’interrogation aussi. Que fait-il là, pour quoi et pour qui réalise-t-il cette action. A-t-elle du sens et lequel ?
Le sens – trouver le bon, celui qui nous donnera à voir le meilleur panorama, c’est que propose Thomas Wattebled avec une installation qui nous invite à prolonger l’été inlassablement.
Sept chaises « transat » s’élèvent le plus haut possible et se déploient sur un espace de 25m2. L’installation Normale de saison s’empare des codes iconiques et fonctionnels de la fameuse chaise « transat ». Une chaise qui nous paraît anodine, mais est un véritable marqueur des mutations de notre société. Symbole des premières grandes traversées en paquebot, puis des premiers congés payés, elle est aujourd’hui présente dans tous les foyers, de toutes classes sociales confondues.
Un objet emblématique que Thomas Wattebled vient court-circuiter. Il l’observe pour la copier au mieux, il multiplie les croisillons, ce mécanisme qui permet le déploiement de la chaise, les assemble pour permettre à la chaise de se hisser le plus haut possible.
Par ce geste, il fait glisser l’objet dans le champ de la sculpture et de l’installation. Normale de saison évoque la plage, son tissu rayé nous rappelle les grandes étendues des plages du Nord et celles de la Manche. Elle agite notre imaginaire, nous laisse aller à l’oisiveté, penser au plaisir simple et à la légèreté et c’est bien là, la particularité de l’installation de Thomas Wattebled.
La mutation de l’objet, la multiplication, les hauteurs variées et orientations différentes interrogent et reflètent les absurdités de notre monde contemporain. Devenues trop hautes, trop grandes, trop fragiles, à l’image d’une société de la compétition qui nous pousse à vouloir toujours plus et toujours mieux que l’autre, dans le monde du travail, dans la vie quotidienne y compris dans les loisirs.
Avoir la meilleure vue sur la mer, sur l’horizon, déployer sa chaise sur la plage où il fait le plus beau etc. Chacun à sa hauteur, chacun dans sa direction, toisant le spectateur qui chemine entre les piédestaux fragiles. Pourtant, lorsque l’on regarde de plus prêt, ces places sont précaires. Les chaises sont bancales, à la limite de la chute, Normale de saison évoque le destin d’Icare, que l’on nomme aujourd’hui l’effondrement.
Elodie Bernard
Bio
Thomas Wattebled est né en 1990. Il vit et travaille entre Orléans (45) et le Tréport (76). Il est diplômé d’un master en théorie et pratique artistique à l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens et d’un DNSEP à l’École Supérieure des Beaux Arts D’Angers sous la direction de l’artiste Alain Declercq. Thomas Wattebled a notamment participé au Salon de Montrouge 2018 et la Foire internationale Art Vilnius 2019 avec son Projet SHIFT qui allie performance, sculpture et livraison à vélo.
Son travail protéiforme pose un regard mélancolique sur notre société de la performance et du loisir. Il a été présenté lors d’expositions personnelles à la Galerie Vasistas (Nul si découvert, Montpellier, 2019) et à la Galerie Dohyang Lee (P R E S Q U E, Paris, 2020).