Élisabeth Caillet, Université de Metz, science po, 2008.
Dans le cadre de notre dossier ouvert consacré aux résidences d’artistes en région Centre, nous avons le plaisir de re-publier le texte très éclairant d’Élizabeth Caillet, avec son aimable autorisation.
Introduction
Il est d’abord manifeste que les résidences d’artistes ne correspondent pas à une définition préalable qui aurait trouvé à s’appliquer dans des structures prédéterminées théoriquement, mais que le cheminement est ici inverse. Nous sommes partis de ce qui était considéré, par les différents acteurs de l’art contemporain, comme susceptible de constituer une résidence afin d’y voir plus clair sur ce qu’était une résidence, ou plutôt sur ses conditions de possibilité. Plusieurs constats peuvent ainsi être faits, dont le premier est l’augmentation significative des résidences d’artistes en France : en effet le dernier recensement effectué en 1996, lors de la réalisation conjointe de deux guides1 par la Délégation aux arts plastiques et par l’AFAA, en comptabilisait une quarantaine. Nous en avons aujourd’hui trouvé presque une
centaine. Ce développement est sans doute dû à la facilité avec laquelle ce mode de travail avec les artistes peut concerner les acteurs les plus variés et présente une simplicité de montage qui n’est en rien comparable à d’autres dispositifs, qui comportent des critères nettement plus spécifiés et donc plus difficiles à respecter. Plus encore, une résidence ne possédant pas d’exigences figées est sans doute le moyen qui peut le plus aisément accompagner les différentes dimensions du travail de l’artiste, tout en tenant compte des attentes des promoteurs de la résidence. Ce qui explique la grande diversité qu’il est possible d’observer.
On notera également que les résidences, naguère plus largement cantonnées dans les régions de villégiature traditionnelle (le sud de la France) sont aujourd’hui largement répandues dans toutes les régions. L’ancrage qu’elles semblaient avoir dans le voyage d’initiation, voire dans le tourisme studieux, paraît actuellement être remplacé par une volonté d’accueil dans la durée, comme si la résidence reposait aujourd’hui davantage sur l’initiative de ceux qui la mettent en place que sur le désir de l’artiste de se déplacer. On peut voir dans ce changement sans doute l’effet d’une transformation du travail artistique lui-même, qui dépend moins des lieux géographiques dans lesquels l’artiste réside puisqu’il s’interroge sur sa propre démarche, questionne son statut dans le concert social, examine la société en général, mais a en tout cas quitté l’anecdotique de la description, le travail « sur le motif », même si celui-ci pouvait avoir une dimension universelle.
Une autre raison du changement de paradigme de la notion de résidence vient du renchérissement des programmes immobiliers qui ont plus rarement pris en compte le besoin d’ateliers d’artistes, axés qu’ils étaient sur des lieux plus rentables. Du coup, l’artiste est contraint de chercher dans le temporaire ce qu’il ne trouve plus dans le permanent, en particulier les moyens dont il a besoin en termes d’équipements et de matériel (en particulier des moyens issus des technologies de l’information et de la communication qu’un artiste seul n’est pas capable d’acquérir et dont il n’a pas l’usage permanent ; plus encore, l’évolution rapide de ces moyens techniques exige une capacité de renouvellement que seule une institution collective peut garantir). Si l’artiste va dans telle ou telle résidence, c’est parce qu’il sait qu’il y trouvera une aideà son travail, un lieu où faire l’oeuvre qu’il porte en lui —et qu’il aurait pu réaliser ailleurs, dans une autre résidence, voire dans son atelier s’il en avait un. La résidence répond donc en quelque sorte à la difficulté que rencontrent les artistes pour travailler dans les lieux où ils habitent ordinairement (Paris en particulier), à la pénurie d’ateliers fixes.
Mais il est nécessaire d’ajouter qu’on peut également y voir (et ce n’est pas contradictoire) l’envie de plus en plus largement répandue auprès des collectivités locales d’attirer des artistes sur leur territoire afin d’en revaloriser l’image, d’y proposer des modes relationnels différents de ceux offerts par les stricts échanges commerciaux ou l’implantation d’entreprises de production. On a là sans doute un effet de ce qui s’est formulé en termes d’aménagement culturel du territoire et a donné lieu dans les vingt dernières années à une explosion de lieux de soutien à la création et à la diffusion (centres d’art, frac, écoles d’art, autres lieux – Près de 1000 lieux d’art contemporain ont été recensés en France en 2001, cf. annuaire du Centre de ressources du CNAP, consultable sur le net et Actions/publics pour l’art contemporain, édition 00h00.com). Tous ces lieux ne peuvent exister que s’ils sont capables d’attirer des artistes pour une durée suffisante pour qu’ils y réalisent une oeuvre et en soient les médiateurs auprès de la population locale. Les politiques culturelles liées à la lutte contre la désertification en monde rural ou celles liées à la requalification urbaine des zones en difficulté ont également contribué à installer des lieux de vie pour les artistes, sans que ces lieux deviennent des lieux permanents offerts aux artistes. On trouve aujourd’hui des promoteurs immobiliers qui cherchentà attirer des artistes dans une stratégie de revalorisation immobilière préalable à l’installation des classes moyennes que les programmes immobiliers ne peuvent concerner sans accompagnement culturel (La société Altaréa, promoteur par exemple de Bercy Village, en est un exemple, du moins dans l’intention).
Il semble que la résidence offre ainsi tant aux artistes qu’aux collectivités territoriales, qui en sont les principales promotrices, un instrument vers lequel convergent des intérêts complémentaires : lieu de travail pour les uns, équipement capable d’induire une image de mécène pour les autres et, pour les uns comme pour les autres, lieu d’une rencontre temporaire sous forme d’un contrat à durée limitée, moment passager permettant un renouvellement constant. Stable dans son instabilité, la résidence se développe parce qu’elle coïncide avec ce que la société contemporaine se représente du travail artistique et parce que l’artiste y produit la symbolisation de la société qui l’accueille.
Qu’est-ce qu’une résidence ?
Il s’agit ainsi en fait d’un type de projet artistique et culturel qui met à la disposition d’un artiste un lieu de travail (atelier), un logement, une assistance technique et une aide financière, ces différents éléments pouvant avoir des poids relatifs variés. N’importe qui peut être à l’origine d’une résidence (individu ou collectivité) et n’importe quel artiste plasticien peut en bénéficier (français ou étranger, professionnel inscrit ou non à la Maison des artistes). Ces deux aspects suffisent pour définir une résidence si l’on prend au sens plein la notion de projet artistique et culturel. La résidence aura la forme du projet que ses promoteurs auront décidé. C’est pourquoi il est important de préciser les points sur lesquels il est nécessaire de travailler et de faire des choix opportuns.
Un projet formalisé en charte
Une résidence se monte en tenant compte d’un questionnement, initié par un porteur de projet ; à partir des premières options qu’il prendra, il réunira des partenaires qui transformeront son idée initiale et donneront la forme finale du projet de résidence. Celui-ci, une fois défini selon les éléments cités en annexe et tous les autres que l’on aura estimé important de préciser peut prendre la forme d’une charte donnant la définition de la résidence. Cette charte est établie par les différents partenaires de la résidence dont elle formalise l’engagement. Elle est utilisée pour établir la convention que signera l’artiste lorsqu’il entrera en résidence. Trop souvent encore, ces deux documents sont confondus et il apparaît qu’il est important de les distinguer afin qu’un cadre soit donné à chaque résidence et que son mode de fonctionnement fasse l’accord, dans la clarté et la transparence, entre des acteurs.
La convention
La convention est le document contractuel établi, selon les divers points listés en annexe, entre la structure et l’artiste en résidence. Elle précise les objectifs de la résidence de l’artiste accueilli.
Le budget de fonctionnement
Il ne saurait exister de budget type d’une résidence d’artistes étant donné la variation de chaque projet. On peut toutefois, à titre indicatif, donner les précisions suivantes : une allocation de séjour peut s’élever à 1524 €/mois, comprenant les déplacements, les repas, les frais techniques, le travail de recherche (ex. ADDC — Dordogne) ; quelquefois il n’existe pas d’allocation en tant que telle mais l’hébergement est gratuit (ex. le Centre régional d’éveil aux arts plastiques et à la BD, à Audincourt en Franche-Comté) ou bien encore les conditions financières sont étroitement liées au projet de l’artiste en résidence (ex. le Château de Grignan dans la Drome).
Le personnel
Lorsque la résidence s’installe dans une structure préexistante, elle bénéficie de ce fait de personnel permanent, pour exemple le lycée Pasteur de Besançon où le proviseur est le responsable de la résidence. Cependant ce n’est pas toujours le cas et l’on veillera à ce qu’il y ait un encadrement minimal, au moins un responsable bien identifié et un technicien ou régisseur pour la maintenance.
Le dossier de recrutement
Là encore nous ne saurions donner autre chose que des indications issues de l’examen de l’ensemble des résidences en France. Le dossier minimal à adresser au responsable de la structure doit comporter :
— le projet de l’artiste
— des documents sur son travail antérieur
— une lettre de motivation
— les dates du séjour en résidence
S’agissant de lieux excentrés, on réfléchira sur la nécessité d’exiger le permis de conduire. S’agissant des étrangers, il peut être important de demander la connaissance du français au moins parlé. Il faut savoir également que certains artistes sont invités en résidence et dans ce cas précis il s’agit d’affinités artistiques particulières entre le ou les responsables de la résidence et l’artiste accueilli.
Le recrutement
Il est conseillé de mettre en place pour ce faire un jury régulièrement renouvelé comportant des professionnels de l’art contemporain de la région où est sise la résidence voire même issus d’autres régions, des élus locaux, tel le président du conseil général ou le maire. On peut envisager de demander des avis circonstanciés à des personnes externes au jury.
La structure juridique
Le plus souvent ce sont des associations loi 1901 qui portent les résidences. On peut utiliser d’autres structures ayant la même caractéristique pour y adjoindre une résidence (un centre d’art ou un Frac). Les écoles d’art peuvent également être de bons lieux d’arrimage pour une résidence si leur fonctionnement en service municipal est suffisamment souple pour pouvoir répondre aux différentes exigences de ce type d’accueil d’artistes.
Les résidences d’artistes qui se développent actuellement favorisent l’échange et le croisement des domaines artistiques et ne sont pas seulement mono disciplinaires. La conception de la résidence est donc à imaginer en tenant compte de la présence d’artistes de disciplines différentes tout en respectant les conditions du travail particulier des plasticiens.
Au croisement des oeuvres réalisées par les artistes répond celui des publics : la résidence est certainement le moyen de rendre présente la création plastique au plus près des populations, de les concerner dans la durée, de leur faire appréhender la démarche de création, dans sa lenteur et son opiniâtreté. Loin de l’exposition spectacle, la résidence offre aux politiques territoriales un outil adapté à des transformations en profondeur qui voient dans l’art un mode d’innovation, un geste désintéressé, un apprentissage de l’autonomie.
Élisabeth CAILLET, Université de Metz, science po, 2008.
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