
La tribune, dédiée à la prise de parole, est ici particulière, elle prend place sur un trottoir qu’elle partage avec les piétons et diffuse au travers d’un mégaphone, des extraits d’un poème d’Arthur Rimbaud « Soir historique », (Les illuminations 1873-1875 ), en une dizaine de langues différentes.Des drapeaux composés de rubans de signalisation sont les sémaphores d’un non lieu inspiré et rebelle.
S’il ne s’agissait que d’une sculpture. S’il ne s’agissait que d’un mobilier public mobile et mobilisable. S’il ne s’agissait que de faire une pause dans le flux des passants comme une roche muette du jardin de Ryoanji qui là, précisément, arrangerait les corps et les langages un moment passagers. S’il ne s’agissait que de converser avec le temps représenté dans un espace immunitaire où la proxémie régit les termes d’un libre échange entre soi et soit! , entre la cité et l’art comme ‘respirateur’. RB
Les œuvres de Rémi Boinot explorent inlassablement les phénomènes où la population se met en mouvement. Le « devenir-foule » des individus, condition de tout changement politique radical, est toujours en contradiction avec les ressorts de la division, du morcellement et de l’affrontement des singularités les unes contre les autres. La politique, telle qu’elle s’exprime depuis le tournant des années cinquante, joue sans cesse avec sa propre mise en scène de manière à donner l’illusion du rassemblement et de l’unité. Au sentiment d’être-avec, s’est substitué le sentiment de « pouvoir être-avec » validé par l’émotion spectaculaire qui tient à distance l’expérience directe. La critique situationniste est devenue inaudible parce que les processus d’isolement se sont eux-mêmes emparés des logiques qu’elle dénonçait. L’ironie et le culte du ricanement ont rendu possible ce jeu de dupe. Cependant, à travers nombre de ses œuvres, Rémi Boinot affirme encore et toujours le caractère – en chantier – de la politique…
On ne peut qu’insister aussi sur le soin que Rémi Boinot apporte aux enregistrements des voix étrangères, des chants traditionnels et de la poésie, ses compositions sonores soulignent la force de l’incarnation des idées bien au-delà de toutes les rhétoriques à la mode. La parole confiée, le chant partagé et la poésie dévoilée témoignent avec plus de prégnance ce que « l’être-avec » et le sentiment d’un devenir commun ont d’important : la concorde et l’émancipation.
Jérôme Diacre