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Hanging stones

La Collégiale Saint-Mexme fut le principal édifice religieux de Chinon jusqu’à la Révolution. Aujourd’hui transformée en espace culturel, la collégiale accueille dans sa nef de l’an mil un petit théâtre en bois tandis que le narthex du XIe siècle abrite de nombreuses peintures murales médiévales et les vitraux contemporains d’Olivier Debré.

Dans le cadre de l’exposition « Roulez les mécaniques », la Collégiale Saint-Mexme est confiée à l’artiste Nils Guadagnin pour une installation intitulée « Hanging Stones » dont la traduction française signifie «Pierres suspendues». «Hanging Stones» est également la traduction moderne de « Stonehenge » un des plus célèbres monuments mégalithiques composé d’un ensemble de monolithes de plusieurs tonnes formant une structure circulaire concentrique. Ce monument fut érigé entre -2800 et -1100, du Néolithique à l’âge du bronze, en Angleterre, et garde aujourd’hui encore tous ses mystères sur son utilité.

L’installation de Nils Guadagnin établi un lien visuel et métaphysique fort avec le contexte de la Collégiale Saint-Mexme. « Hanging Stones » est composée de plusieurs éléments représentant des pierres noires en suspension et en rotation grâce à une force électromagnétique contenue dans tous les éléments constituant l’installation. Depuis la nuit des temps, la suspension et la rotation sont deux forces qui ont longuement été interrogées par l’homme pour comprendre le sens de notre univers. La science s’oppose de manière générale à la religion, qui cette dernière donne une définition biblique et divine à la création de l’univers par le récit de la Génèse.

Roulez les mécaniques (Extrait du dossier de presse de l’exposition), du 29.06.2014 au 17.11.2014

Galerie Contemporaine de l’Hotel de Ville, Le Carroi – Musée,
Collégiale Saint-Mexme, Chapelle Sainte-Radegonde, Chinon

Unphysical, de Laure Jaumouillé

L’œuvre de Nils Guadagnin est traversée par les lois qui régissent l’univers, celles de la physique et ses tentatives de modéliser les êtres présents dans le cosmos. Avec l’exposition Unphysical, l’artiste explore les frontières de la connaissance humaine. Il nous propose d’expérimenter l’interaction entre différentes formes traduisant notre impuissance devant ce qui échappe au contrôle de la raison. Notre emprise rationnelle sur le monde rencontre inlassablement les mystères du vide et de la gravité, au cœur d’un questionnement sans réponse, d’une recherche ouverte sur la notion insaisissable de l’infini.

Traduisant le désir d’une émancipation du champ traditionnel de la représentation, l’exposition de Nils Guadagnin à la galerie Derouillon invite à une expérience sensible de l’immatériel. Au cours d’une résidence effectuée à Clermont-Ferrand en 2013 débute une réflexion sur la roche volcanique caractéristique de la région. Résultant du refroidissement rapide d’un magma issu des profondeurs, celle-ci apparaît comme un condensé de tous les éléments – l’eau, l’air, la terre et le feu. Nils Guadagnin se propose alors d’explorer les différents états de cette matière originelle, depuis son incandescence, sa minéralisation, jusqu’à sa volatilisation. Tandis qu’il s’empare de fragments de roche volcanique, l’artiste développe une déclinaison d’œuvres destinées à opérer le retour de l’être minéral vers son état informe de magma, puis à traduire sa dissolution finale en particules d’air : Octaèdre, Golden Blanket et enfin Flat Dimension. Avec Flat Dimension (2013), Nils Guadagnin présente une série d’œuvres bidimensionnelles métalliques, auxquelles il applique une certaine quantité de feuille d’or. Apparentées à des tableaux, ces dernières n’offrent pourtant aucune image au regard mais renvoient le spectateur à lui-même par un effet de miroir. L’artiste tend ici à exacerber les propriétés d’un matériau, symbole de pureté et de perfection. On pense à l’or des alchimistes, métaphore d’une évolution intérieure conduisant l’état de matière vers un état spirituel détaché de tout asservissement au monde terrestre. A ces tableaux répond une série de dessins à la mine de plomb sur calque – Fade to Grey (2012). En exposant au visiteur le revers de chaque feuille par un dispositif d’aimants, Nils Guadagnin propose la contemplation par transparence d’un nuage de poussière. Le motif traité par ce dernier est celui de la tornade, apparaissant ici dans son impossibilité d’être vue, ou du moins d’être saisie par le regard.

Les œuvres de Nils Guadagnin tendent à nous détourner des schémas conventionnels d’appréhension du monde – et de sa réalité physique – comme de l’œuvre d’art. L’espace de la galerie Derouillon accueille Inversion (2013), une œuvre conçue par Nils Guadagnin comme l’addition de deux structures identiques par leurs formes, selon le principe d’une symétrie inversée. Tandis que la fragilité et l’immatérialité caractérisent la première moitié – faite de néons -, la solidité du métal distingue son pendant. Inversion traduit une ambivalence troublante quant aux fonctions potentielles de ces deux éléments ; elle pose ainsi le problème ancestral du socle : l’un des constituants de l’œuvre vient-il supporter l’autre pour le présenter au spectateur ? L’incertitude qui plane sur cette question nous renvoie au relativisme envisagé comme une méthode d’émancipation des hiérarchies établies et de mise en mouvement de la pensée. Tandis que les arrêtes de la structure dessinent le vide de l’espace environnant, la lumière issue des néons irrigue l’espace d’exposition pour révéler son  immatérialité. Hanging Stone (2014) apparaît enfin comme l’expérience déconcertante d’une pierre maintenue dans l’air par le truchement d’un système électromagnétique. Selon l’approche macroscopique du monde par la relativité générale, le principe même de l’univers consiste en des roches en suspension. Et ce, alors que l’apesanteur et la lévitation nous apparaissent comme des phénomènes d’une étrangeté des plus déroutantes. Par cette œuvre, Nils Guadagnin nous propose une contemplation inspirée du mystère de la roche volcanique, cristallisant tous les états de la matière. Il réitère en outre l’aveu d’une impossible distinction entre un socle d’une part, une sculpture d’autre part. Bien davantage, l’élément de bois reposant au sol entre en interaction avec les propriétés physiques de la pierre, annulant par là-même toute tentative de classification verticale. Renversé à 90 degrés, le regard du spectateur se trouve invité à considérer l’espace d’air qui sépare les deux éléments comme le lieu où prend fin l’emprise de son entendement sur le monde.

Dans la pratique de Nils Guadagnin, le regard se disperse dans une certaine quantité d’air, elle-même dessinée par des œuvres aux accents métaphysiques, déjouant les codes de la représentation occidentale. L’espace et le temps y trouvent de nouvelles définitions, tandis que les formes engagent le mouvement d’une pensée renouvelée sur la place de l’homme dans son environnement physique.

Laure Jaumouillé

UNPHYSICAL, exposition du 14.03.2014 au 12.04.2014
Galerie Derouillon, Paris