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Textes

Texte de Kim Leroy

A l’ère de l’image numérique,  le dessin comme processus gestuel et comme relation de contact n’en devient sans doute que plus primordial. Si la palette graphique ou la « peinture » sur écran d’ordinateur sollicitent effectivement l’intervention de la main,  le témoignage de cet événement que constitue tout tracé n’est plus de l’ordre d’une empreinte tactile irréductiblement singulière mais bien au contraire d’une charactéristique universelle aussi anonyme que désincarnée.

Que ce soit dans ses dessins à la mine de plomb ou plus encore dans ses œuvres à la pierre noire, Mathieu Dufois manifeste à l’évidence un attrait pour le grain et la matière, noirceur pulvérulente propice à remuer les tréfonds de la part  terreuse qui sommeille en chacun de nous, souffle primitif remontant aux couches les plus profondes de la vie. Aux empreintes des images motrices laissées par le crayon de Mathieu Dufois s’ajoute la sensation d’un réel imprimé, comprimé, voire fossilisé, superposant à la surface du papier la trace du geste à celle du réel représenté.

Bien sûr la relation à la photographie n’est pas étrangère au trouble d’un va et vient confondant entre le réel et l’imaginaire mais, justement, il est d’autant plus étonnant de constater  l’insistance et la persistance du dessin chez Mathieu Dufois alors même que la référence au photographique et au cinématographique se voit clairement assumée, jusqu’à les embrasser. C’est précisément dans le nœud de cette ambiguïté, croisement incertain entre tradition des Beaux-Arts et filiation technologique, que se révèle tout l’intérêt de l’œuvre déjà consistante du jeune artiste.

En s’alignant intuitivement dans la longue tradition du Memento Mori , Mathieu Dufois ne se préoccupe peut-être pas tant d’évoquer les vanités de l’existence que de réitérer sous un nouveau jour l’affirmation des liens, encore plus anciens, unissant le monde de l’image à celui des défunts, déplacement majeur vers une réflexion sur l’image elle-même en tant que rapport à l’absence et à la mort.  Si le médium photographique opère le grand écart entre une mort accomplie, celle de l’événement saisi par le cliché, et la réactivation de son existence par les puissances de l’imaginaire, passer du dessin à l’animation cinématographique creuse plus profondément encore le sillon de ce paradoxe.

En effet, si le film d’un événement redonne vie à celui-ci le temps de la projection, le Memento Mori  de Mathieu Dufois, quant à lui, plonge le spectateur dans une mise en abyme à détente multiple.  La réactivation imaginaire d’un passé révolu s’établit à partir d’une succession d’événements dont le résultat filmique constitue le témoignage : empreinte du geste, mémoire du dessin, trace  redoublée par l’empreinte photographique, le tout rendu circulairement par les scènes d’agonie prélevées dans l’histoire du cinéma.

Le Memento Mori de Mathieu Dufois ne rappelle donc pas simplement notre condition de mortel. Cette œuvre procède d’une investigation sur le dessin lui-même, en tant que médium, révélé dans une double identité, d’apparence contradictoire, qui répond symétriquement à celle qui oppose photographie et cinéma. Processus gestuel, expansion et déploiement dans le temps et l’espace, tout dessin est premièrement un parcours, un cheminement, une progression. De ce point de vue, le dessin relève de la mobilité, du flux, de l’animation, aspiration solaire. Vient ensuite le moment de l’achèvement, de l’arrêt, fixation du geste et de son image. Dès lors, le dessin entretient des liens nocturnes tout aussi étroits avec la « mort » sauf qu’à l’inverse de la photographie, le « ça a été » ne concerne pas l’événement figuré mais bien le geste appliqué et celui qui l’a posé.

Kim Leroy

Texte de Morgane Prigent

Une difficulté de terminologie se pose dès que l’on aborde l’animation. En effet, il est souvent nécessaire de préciser la définition retenue pour ce terme. Parle t’on de cinéma, de dessin animé, d’image de synthèse, de film expérimental, de court métrage ?
De même, doit-on parler pour les artistes œuvrant dans ce domaine de plasticiens ou bien de réalisateur ? L’animation se situe dans un champ d’expérimentation entre cinéma et arts plastiques. Le rendu final s’apparente à un film, succession d’images que l’on projette comme au cinéma, mais l’attention portée à la conception de chacune des images relève plus d’autres disciplines, du dessin, de la peinture ou encore de la sculpture. L’animation serait alors un «cinéma d’expériences plastiques» pour reprendre le terme de Patrick Barrès.
Si l’on poursuit le raisonnement, l’idée d’organiser une exposition autour de l’image animée peut sembler antinomique. Par définition, une animation est amenée à être projetée et non exposée. Ce qui fait sa nature même ne peut être donné à voir dans une appréhension statique. Et pourtant, exposer l’animation permet de découvrir cet entre-deux, ce champ de recherche où naît le mouvement par le biais de dessins, maquettes, papiers découpés ou images 3D.
L’exposition Images secondes se propose de montrer le travail de deux artistes, Mathieu Dufois et Richard Negre, se désignant comme plasticiens, mais dont l’animation est au cœur de la pratique. Le recours à ce procédé introduit une temporalité dans l’appréhension que le spectateur a de leurs films qui de fait, relèvent d’un processus narratif, sans toutefois parler de narration. Contrairement à une peinture ou un dessin qui peuvent être saisis dans leur entièreté plastique d’un seul coup d’œil, une animation possède un début et une fin et s’inscrit dans une temporalité, celle de la durée du film et aussi celle accordée par le regardeur.
L’invitation faite est l’occasion pour les artistes de montrer certaines pièces pour la première fois, d’accompagner les films d’étapes de travail et de maquettes. L’animation se donne à voir sous différentes facettes qui se complètent l’une l’autre.

Mathieu Dufois dessine puis anime. Le cœur de sa pratique est le dessin, à la pierre noire, toujours. Sombre, son univers plastique explore l’absence-présence humaine. Fantomatique, ses personnages habitent ses films dans une sorte de flottement.
Cinéphile averti, il explore le champ de l’animation, non pas comme un cinéaste contrarié mais bien par choix esthétique. Ses histoires recomposent une autre histoire du cinéma. Mathieu Dufois empreinte et assemble des scènes iconiques relevant d’une mémoire collective. Il s’est engagé dans la réalisation d’une série de trois courts métrages dont les deux premiers films sont achevés. Les deux premiers opus de la Trilogie des vestiges présentés sont empreints d’une ambiance pesante où la figure humaine se discerne. Fantomatique, elle ère au sein de décors qui deviennent les véritables sujets. Le spectateur est mis dans la position du voyeur. Son regard est guidé à travers des interstices du décor.
Pour la première fois, l’artiste a l’opportunité de montrer les maquettes des films. Assemblées dans l’atelier, elles constituent un studio de cinéma, où les silhouettes sont animées devant les façades tels des acteurs. Le visiteur de l’exposition a accès à l’envers du décor et découvre les procédés cinématographiques de réalisation mis en œuvre. Le rapport à l’animation est de l’ordre de l’analogie.
La sensation de déjà vu émane des différents plans. Le spectateur cherche de quel film est tiré la scène, mais il s’agit d’un savant assemblage. Mathieu Dufois puise dans sa grande culture du cinéma et ainsi construit chaque image de toute pièce et ne livre qu’avec parcimonie ses sources. Chaque plan est totalement dessiné, l’artiste n’a recourt à aucun artifice.

Morgane Prigent

Texte de Caroline Arhuero

C’est à partir du dessin que prennent formes les univers de Mathieu Dufois. En effet, avec le dessin, Mathieu fait un travail peu commun de réappropriation des images photographiques, filmiques pour nous conduire vers des déplacements permanents entre un monde bi dimensionnel, un monde en mouvement et tri dimensionnel. Un monde où le graphisme fait office de médium entre l’événement accompli, clos et la réactivation des empreintes, des traces qui nous lient au passé et qui reviennent à nous comme des strates archéologiques.
La forte présence de la matière dans le trait de l’artiste nous rappelle que le temps, même révolu, fait partie de la matière de toutes choses, du monde qui nous entoure.
Le film « Par les Ondes » nous projette dans un univers où la mémoire du lieu, d’une ville et de ses cicatrices se manifeste au spectateur de façon métaphysique en révélant les traces, les ruines qui font écho à la réalité du temps présent. Images montées, silhouettes fantomatiques traversant des lieux / non lieux qui  font partie de notre mémoire et de notre présent unissent ainsi les temporalités. C’est ainsi que la maquette, issue des images du film, vient nous donner cet écho de façon tri dimensionnelle.

Chez Mathieu Dufois la bande sonore contribue fortement à révéler cet écho d’un passé comme une onde qui traverse l’écran pour atteindre le visiteur au plus profond de lui-même.
Le travail unique de ce jeune artiste  va bien au-delà d’une vision « romantique » classique de la ruine en inscrivant son univers comme médiateur du temps et de l’espace.

Caroline Arhuero