Le 3 juillet 2010, on inaugurait quatorze « vitraux » originaux réalisés par le grand peintre Zao Wou-Ki pour les baies du réfectoire du prieuré, demeure de Ronsard. Œuvre unique dans le parcours du peintre aux origines chinoises, cette création déroute par la volontaire sobriété de l’intervention à l’encre de Chine noire et par la technique employée.
Tout commence une journée de février 2009. Zao Wou-Ki, à l’invite du conseil général, visite le prieuré et salue dans un geste de recueillement et d’affection le tombeau du poète de la Pléiade comme si son âme était toujours présente en ses lieux. Il faut dire que le peintre est ami des poètes qu’il a toujours côtoyés : Henri Michaux, René Char, François Cheng…
Le réfectoire roman où il doit intervenir est d’allure austère, l’architecture y est sobre sauf dans l’espace de la chaire du lecteur riche en décors sculptés. Entouré d’un jardin qui l’hiver est chromatiquement éteint, la couleur est une tentation première vite éludée par l’artiste qui souhaite accompagner l’édifice de sa sobre écriture. La couleur noire s’impose donc par son homogénéité dans des séries dont le peintre à l’habitude. Zao Wou-Ki sélectionne une série inédite de onze encres réalisées récemment pour accompagner les poésies de son ami Dominique de Villepin, rassemblées dans un livre de bibliophilie inédit Là-bas. Onze encres dont le format agrandi s’intègre parfaitement à celui des onze baies du 12e siècle. Le monotype réalisé pour le livre servira de base à la réalisation des trois vitraux de la chaire du lecteur dont Zao Wou-Ki a compris la particularité. Cette chaire est une source, un jaillissement de la parole et c’est en rehaussant le monotype d’encre de Chine rouge, couleur du bonheur pour les chinois, qu’il fait vibrer l’édifice religieux dans le plus prodigieux respect des cultures.
La technique pose quant à elle des soucis qui semblent difficiles à résoudre. Comment respecter la liberté des traits d’encre du peintre sans les contraindre, les étouffer, les alourdir avec les fameuses résilles de plomb ? Après quelques échecs du côté des maitres verriers classiques, Zao Wou-Ki sur les conseils de son ami peintre Jean-Michel Meurice s’adresse à Eric Linard, metteur au point de la technique du « verre décoré » pour laquelle il a déposé un brevet avec Saint-Gobain. Les œuvres sont sérigraphiées sur un film de polyester protégé de feuilles de buthyl et des verres prennent place sur chacune des faces. L’ensemble est ensuite passé à l’autoclave.
Restait à convaincre la commission des Monuments Historiques qui donna son feu vert non sans s’assurer de la question de la pérennité de l’œuvre installée et de son insertion dans un bâtiment du milieu du 12e siècle, bombardé en 1944 et restauré dans les années 50, dont rien ne permet de savoir quels étaient les vitraux qui en occultaient les baies.
Aujourd’hui l’absence de résilles offre une totale transparence. L’effet suspendu des motifs, le vide et le plein plutôt que le noir et le blanc, le caractère changeant de la nature visible en transparence créent des fenêtres en trois dimensions sur un possible ailleurs, là-bas ?
Le réfectoire est le lieu où des expositions d’artistes qui marquent notre époque sont proposées chaque année. Après Zao Wou-Ki, c’est le sculpteur Bernard Dejonghe et le plasticien Ernest Pignon-Ernest qui ont honoré le prieuré.