A la fin des années 90, je voulais marquer l’achèvement d’une série de bronzes. Je me posais la question – quel pourrait être le système de représentation, ou plutôt de présentation qui allait pouvoir tenir compte de leur superficie et de leur volume ? J’avais en tête et dans mes mains la mémoire tactile du processus mis en œuvre pour les fabriquer. C’est à partir de ce que j’avais assimilé ainsi que j’ai entrepris de produire en post-production une série graphique, schématique. Du côté de cette mémoire j’avais comme une perception venant d’une main « voyante », «tactante » plutôt, capable de tourner autour, puis par ailleurs un sentiment plus difficile à décrire, celui de faire corps empathiquement avec l’objet lui-même. Le sentiment d’être dedans serait comme la découverte d’un système de boyaux souterrains, telles les carrières de tuffeau en Touraine. On se retrouve dans l’espace seulement quand il y a un carrefour, un point nodal. Ces sculptures avec leurs bifurcations successives en correspondaient justement – non pas en creux mais en plein – à ce type de configuration. Il s’agit d’un sentiment qui pourrait être imaginée en faisant corps avec le métal liquide dans son parcours à travers les moules de fonderie, vidés de leurs modèles en bois et en cire par l’entremise du feu. Le métal coulé depuis le creuset occupe progressivement cet espace, laissé en creux ; une occupation liquide et lumineuse qui rayonne dans tous les sens, comme panoptiquement, tel un sentiment corporel. Du côté de l’œil/main désincarné une autre perception s’offrait à moi qui permettais une vue, ce n’est pas le mot, une touchée d’ensemble. De deux choses l’une, je me suis imbibé jusqu’à la saturation de ces deux mémoires croisées, je tentais de les faire coïncider. Une première série exécutée sur des plaques de marbre avec de la cire liquide, et gravé par la suite à l’acide n’était pas concluante. C’est enfin avec la découverte d’un papier gris de scrapbook et avec de l’encre de chine légèrement diluée que j’ai trouvé la solution. Les yeux presque fermés, dans un état d’automatisme néosurréaliste, en levant la main je me posais en pantographe, traçant rapidement, comme une écriture, les graphies ; le papier, légèrement absorbant, faisait le reste, élargissant le trait en largueur par une diffusion (automatique) supplémentaire. Scannés et découpés numériquement par les vaillants plotteurs de l’époque, une série de collages a vu le jour. Puis pour les expositions successives de Naples et Pondichéry, des séries d’agrandissements ont été réalisées, façon d’occuper l’espace urbain par un parcours jalonné d’affichages sauvages. C’est ces mêmes affiches, montrées pour la première fois juste après le 11 septembre dans la version napolitaine, qui servent aujourd’hui dans la configuration mise en place à Bourges. Placardées sur l’extérieur de l’espace d’exposition avec une colle mélangée avec un gel hydroalcoolique, elles masquent hygiéniquement, en faisant barrière, l’espace proprement dit d’exposition, impénétrable, interdit. C’est une exposition réalisée à distance, postalement, téléphoniquement, qu’on a nommée d’un commun accord, in absentia. Les fontes qui en sont à l’origine, restent confinées dans la réserve à Saint Pierre des Corps, témoins occultés par le déploiement d’un processus qui les donne à toucher- voir, à distance, à travers le temps et l’espace ; des concomitances consubstancielles entre nature et culture, mais là, c’est une autre histoire
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