Soit, le bras du pantographe, un Atelier de recherche et de création (ARC) qui permet régulièrement aux étudiants de l’École nationale supérieure d’art de Bourges de déployer des projets à la rencontre d’un réel et d’un public hors l’école.
Soit, palèmètrèbo #6, depuis 2011, une histoire de voisinage entre le Palais Jacques Cœur et l’Énsa qui associe pour un sixième épisode art contemporain et patrimoine dans cette demeure de la Renaissance.
Soit, cette fois-ci, trois thèmes de départ et de travail, proposés par trois enseignants pour initier un processus créatif et productif :
• les coordonnées GPS du Palais, pragmatiques (Latitude 47° 5’ 4.78’’ N, Longitude 2° 23’ 38.59’’ E) ;
• comment en est-on arrivé là ?, comme une manière de prendre les devants pour éclairer le public sur les intentions des étudiants ;
• la pensée en archipel, enfin, pour circonscrire une géographie de réflexions ayant émergé lors des séances de travail préparatoires.
Inspirés par les mouvements du monde, ces thèmes et les produits de leur décantation par vingt-et-un étudiants de l’atelier font escale, le temps de cette exposition, dans le lieu originellement construit au XVe siècle comme un écrin pour les récits d’un fils de pelletier berruyer du temps de la cour du duc Jean 1er de Berry, ce fils devenant marchand, négociant, banquier, armateur, argentier du royaume, diplomate, exilé disgracié, croisé – aventurier, peut-être malgré lui.
Au final, les trois thèmes initiaux ne sont pas si différents ou éloignés les uns des autres. Dans les trois cas, il est question de situation, de poser un rapport au monde et aux autres, d’origines et de devenirs. Comme le visiteur du Palais et de cette exposition qui garde en mémoire la dernière salle traversée, salle d’une autre époque et d’un autre monde – le gothique tardif – dans l’expectative de la découverte des salles suivantes, encore inconnues.
Or Jacques Cœur n’a jamais vécu dans ce palais, son arrestation pour lèse-majesté en juillet 1451 étant vraisemblablement concomitante à la fin des travaux de construction. Le palais serait alors un signe vide (1) , où se sont aujourd’hui introduites et intégrées vingt-et-un jeunes volontés de signification contemporaine dans ce lieu d’histoire.
Le titre de l’exposition, La pensée en archipel, est inspiré d’Edouard Glissant (1928-2011), poète, romancier, essayiste martiniquais (2). Ses écrits relèvent les faits et les feintes d’un monde pluriel et excentré, ceux et celles des hommes et des femmes dans la différence et la mixité, pour en faire autant de métaphores de la mobilité et de la relation. En quel cas, à chacun sa mer, ses îles, bords de mer, ports, côtes, rives et rivages ; à Glissant les archipels des Caraïbes et de la créolisation, et, à Jacques Cœur la Méditerranée et les abords du Levant et de la Route de la soie, des épices et des parfums.
Dans sa déambulation, le visiteur de cette exposition découvrira peut-être qu’à la pensée du système et à l’identité racine, elle oppose la pensée de l’incertain et l’identité rhizome.
Antonio Guzmán, Nicolas Herubel, Didier Mencoboni
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[1] Roland Barthes, L’Empire des signes, 1970
[2] Poétique de la Relation – Poétique III (Gallimard, 1990), Introduction à une poétique du Divers (Gallimard, 1996), Traité du Tout-Monde – Poétique IV (Gallimard, 1997), Philosophie de la Relation. Poésie en étendue (Gallimard, 2009)