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Du 10 Jan au 30 Avr 2020

Mariana Lombard en résidence à l’Ensa

Catégorie :

18 Cher

Partenariat UNTREF Buenos Aires / Ensa de Bourges Projet de résidence à l'Ensa de Bourges, dans le cadre du partenariat avec l'Université Tres de Febrero de Buenos Aires. Artiste et doctorante, éléve candidate de master en Arts électroniques : Mariana Lombard

Adresse :

7, rue édouard-branly 18006 - Bourges

INTRODUCTION

La poésie pour converser 1

Conformément aux différentes sources documentaires, entre 1881 et 1889 des membres de divers peuples originaires de l’extrême sud du continent américain (comme les Selk ́nam, Kawésqar, Mapuche, entre autres) ont été emmenés en Europe dans le but d’être montrés dans les “zoos humains”.
L’un des lieux mentionnés dans les chroniques de l’époque est le « Jardin d’Acclimatation » à Paris où les aborigènes n’étaient pas seulement exposés au public comme une attraction exotique mais où ils étaient également photographiés, mesurés et étudiés dans un but scientifique.
Beaucoup d’entre eux sont morts suite aux maladies contractées durant le voyage ou parce qu’ils ne supportaient pas les changements et les mauvais traitements auxquels ils étaient soumis. Ainsi se sont perdues leurs traces dans le temps.

Plus tard, au moment même où Robert Flaherty filmait en Arctique ce qui sera considéré comme le premier film documentaire de l’histoire du cinéma (« Nanouk l’esquimau », 1922), entre 1915 et 1930, le missionnaire salésien italien Alberto María de Agostini filmait “ Terre Magellaniche ” (1933) où il montrait la vie, les activités et les rituels de certains peuples originaires de la Terre de feu.
Agostini était également géographe, photographe et alpiniste.
Son documentaire se composait autant de séquences de paysages et d’animaux des régions explorées que de registres de la vie des colons et de leurs activités socio-économiques qui provoquaient des changements sur le mode de vie local affectant ainsi les habitants natifs de ces terres.

Ces deux exemples permettent d’introduire et de rendre compte de ces épisodes marqués par l’absence de rencontre entre cultures qui, à l’origine, ne partageaient ni langues, ni traditions, ni religions, ni histoires, ni cosmovisions.

Que se serait-il passé si la nature de ces rencontres avait été différente ?
Que se seraient-ils dit s’ils avaient parlé la même langue ?
Que pourraient-ils se dire ou nous dire, plus de cent ans après ?
Comment jouer le rôle de traductrice de ces dialogues imaginaires qui dansent de manière anachronique entre la fiction et le documentaire, entre les empreintes de la mémoire et de l’histoire ?
Comment traduire les cosmovisions et les voix de ces peuples qui n’avaient pas d’écriture et dont les seuls souvenirs qui restent de leurs traditions orales ont été constitués par ceux qui les ont colonisés ?
Comment traduire aujourd’hui, dans un monde chargé de systèmes de communication et de liens codifiés, la complexité de langues si ambigües et symboliques comme celles des peuples originaires ?
Que faire pour réparer ces plaies qui perdurent à travers le temps ?
La traduction poétique de ces voix serait-elle une manière de transformer ces rencontres manquées ?
Comment agir poétiquement et politiquement au travers de pratiques qui défont la logique de la propre langue, de la propre culture ?
Comment parfois se mettre en retrait, sans disparaître complètement, pour que puissent apparaître d’autres voix ?

Au travers de ces questions, je cherche à établir des relations d’une part entre mon lieu d’origine – la Patagonie – et le lieu proposé de résidence – la France -, et d’autre part entre les sources documentaires étudiées spécialement pour ce projet et les thèmes et méthodologies qui font déjà partie de mes derniers travaux artistiques.
Dans ce sens, je présenterai ici trois axes de recherche qui, se rejoignant, créent des ponts poétiques, permettant : rencontre, réparation et transformation.

AXES DE RECHERCHE

La poésie c’est dire une chose par une autre et que ce soit vrai. 2

– Création de pièces audiovisuelles qui produisent des intersections anachroniques entre l’histoire, la mémoire des lieux et ma propre mémoire tout en récupérant d’autres sens dans les récits produits par les expéditionnaires, les scientifiques et les voyageurs européens et par les peuples originaires qui habitent l’extrême sud du continent américain.
Production de fictions desquelles émergerait le « je » qui deviendrait à son tour un traducteur, opérant entre les domaines de chaque culture,
afin d’écouter, d’interpréter et d’en déplacer les substrats pour favoriser un rapprochement.

La poésie, c’est avoir la conviction qu’en transformant le langage, il est possible de transformer la réalité. 3

– L’analyse des registres photographiques et cinématographiques des peuples originaires de la Terre de feu et de la Patagonie, datant de la fin du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle, révèle l’apparition et l’usage répété d’instruments de mesure anthropologique et de machines automatiques.
Ces outils seront présentés comme le signe du progrès de la civilisation prédominant sur l’état de vie sauvage des aborigènes.
Sa fascination pour l’automatisme a amené l’homme moderne à contraster ces représentations et à montrer les aborigènes transformés comme des prolétaires utiles au sein du cycle de production.
Dans ce sens, je propose de créer des machines qui permettent de démonter les fonctions de ces automatismes afin de les transformer, à leur tour, en des mécanismes disponibles pour traduire les cosmovisions des peuples originaires.

Ce n’est pas cela qui se perd avec la traduction, sinon ce qui vaut la peine de traduire un poème, le laisser partir vers un autre lieu, le mouvoir sans qu’il arrive épuisé par le voyage. Et se risquer à l’aventure du passage. Contempler ce qui n’a pu être illuminé. 4

– Documentation des actions performatives et réparatrices aux endroits clés de cette recherche en France et en Argentine. Travail collaboratif avec les étudiants de l’École d’art de Bourges.

S’approcher de l’autre, se tromper, admettre son erreur et, s’il est possible, traduire son intention. Sans arrogance, apprendre à imiter. Copier les structures, les associations, les pulsations, les rythmes et les accents. Et savoir s’arrêter, s’ennuyer, terminer. 5


1 Nom d’un des poème du livre “Cuaderno de Oficio” (2016) de la poétesse et traductrice Mirta Rosenberg, dans “El árbol de las palabras. Obra reunida 1984-2018”. Bajo La Luna Poesía.
2 Fragment du poème “Traducir poesía”, un de poème du livre “Cuaderno de Oficio” (2016) dans “El árbol de las palabras.
Obra reunida 1984-2018”. Bajo La Luna Poesía.
3 idem
4 idem
5 idem