Bombyx et fard à paupière
Une adaptation de l’oeuvre d’Ivana Adaime Makac
Le lit.
Dors, essaie de dormir ma chérie, tu verras c’est un matelas fabriqué main. Je le retournerégulièrement pour que le creux de mon corps ne se fige pas dans les plumes. Quand je change les draps, jevois le poids d’un seul corps sur la gauche près du mur. Je le retourne et j’équilibre. Mais il n’y a jamais la tracede deux corps en même temps et sur le même versant. Cela fait longtemps maintenant que ton grand-père nedort plus là. Toi, tu as sûrement oublié le sommeil solitaire. Ton amoureux te rejoindra dans quelques jours, tune peux pas avoir peur dans ma chambre.
Je n’ai plus l’habitude de dormir avec un traversin. Ma tête ne peut s’y poser à moitié. Il est trop dense. Il secoince mal sous mon cou. Soit il m’étrangle, soit il s’échappe. Ma tête tombe d’un côté ou de l’autre. Mon corpsdéborde de la cavité laissée par le corps de mamie. J’enroule le traversin autour de moi, un bout sous la tête,il descend le long de mon corps, la fin entre les jambes. J’aimerais devenir une souche. J’ai la gorge sèche.Mamie ne boit pas d’eau. Cactus dans le désert, sur la langue un goût amer. Rallume la lumière. Quelqueslivres par terre. La vie des vers à soie de Jean Rostand. La vie des vers à moi. La vie du vert en moi. L’avis duvert en toi. La visse de Duvert en moi. Je n’arrive pas à dormir. Je dois reprendre mes réflexes d’enfance. Unverre de lait, un orgasme et au lit. Je ne compte pas les moutons dans le ciel, je jouis. Un traversin entre lesjambes, je le prends pour mon cheval. Quand je demandais à mes copines vers huit ans : tu aimes faire ducheval ? Elles me répondaient qu’elle n’en avait jamais fait. Je te prête mon traversin si tu veux. Mamie, c’estgrave de faire du cheval ? Mais non ma chérie, tu feras de beaux rêves. Je me frotte et me dandine. Ici, pas degrosse pine. Je rêve que je mange des grosses tartines ramollies par le beurre. Le ventre bien rempli, mes yeuxse ferment comme lors d’une sieste de dimanche après-midi.
Les oiseaux me réveillent. Je tripote le traversin de lin entre mes doigts. Sous ma tête, je tiens quelque chose. Jene reconnais pas ce morceau. C’est ma main gauche insensibilisée par les fourmis. Mon corps s’étend dans lelit. La place à côté de moi est tiède. Mes doigts cherchent. Caresser un corps qui m’échappe. Il n’y a personne.Il y a des miettes dans le lit. Je me gratte et me dandine. L’élastique du drap housse est trop lâche. Pain grillédans la cuisine. Je me gratte et me dandine. Mamie ne mange pas dans le lit. J’époussette le drap, les yeuxencore fermés. Mais les miettes ne s’en vont pas. Je ne les sens pas directement sous mes doigts. Je frotte mesyeux collés par la nuit. Ça sent le sommeil ici, dit mamie. Ça me démange, ça me dérange encore. Regardesous le drap, tu as couvé mes petits chéris, cette nuit. Ce sont les graines de vers à soie. Habituellement je lesmets dans mon tablier à poches sous ma jupe, mais il vaut mieux une femme jeune, saine et au tempéramenttranquille pour l’incubation. La transpiration des vieilles femmes comme moi est trop acide et abondante, lesœufs n’éclosent pas. Mais bon, c’est pas pour ça que tu dois avoir des enfants.
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