« L’organe des sens est donc un immense clavier, sur lequel l’objet extérieur exécute tout d’un coup son accord aux mille notes, provoquant ainsi, dans un ordre déterminé et en un seul moment, une énorme multitude de sensations élémentaires correspondant à tous les points intéressés du centre sensoriel. » Henri Bergson
Réduction du monde, le jardin se marche, se sent, s’écoute, se goûte, se voit, se touche ; l’air y circule au gré du souffle du vent, l’ombre et la lumière y alternent, le froid et le chaud, le lisse et le rugueux, le liquide et le solide, le plat et l’escarpé, le mouvement et l’assoupissement, les cris et les chuchotements s’y succèdent à l’unisson des sens et des sensations.
Le corps y exulte en une kinesthésie faisant appel à une expérience physique et spirituelle du monde. « Rien dans notre intelligence qui ne soit passé par nos sens » proclamait Aristote. « Rien dans nos jardins qui ne soit passé par nos sens » voudrions-nous démontrer et donner à voir, à sentir,… Il ne s’agira pas seulement d’invoquer les synesthésies baudelairiennes où « Les parfums les couleurs et les sons se répondent2 », mais de provoquer une immersion totale dans une magie émotionnelle jouant sur tous les tableaux en même temps.
L’homme d’aujourd’hui, sans cesse plongé dans le minéral et le virtuel, aspire de plus en plus à un état d’euphorie, d’harmonie unique où se mêlent toutes les sensations. Jardiner le corps et l’esprit, c’est aller vers soi, en tous sens. Tressant un réseau de sensations, les jardins mêleront l’illusion et le trouble à l’expérience multiple du corps en éveil. Ainsi certaines fleurs extraordinaires ont-elles des parfums d’aliments ou d’épices et diffusent-elles un goût de sucre, de miel ou de vanille.
Certaines feuilles peuvent elles aussi nous surprendre et nous offrir un goût de fraise ou de chocolat, avoir la douceur du velours … Saveurs, flaveurs, fragrances mêlées … et voilà vos sens perdus, subjugués, envoûtés en un jardin, dont les matières, les textures et les végétaux se caressent de l’œil et de la main, où les sons, les murmures et les musiques ensorcèlent les âmes.
Voilà qu’étonnamment le parfum nous plonge dans le goût, la pulpe de nos doigts nous trompe et nous étonne et nos sens nous entraînent dans une magie que nous n’aurions pas imaginée.