Les estampes d’Ivan Messac
Le galeriste Michel Dubois, qui fut un imprimeur spécialisé dans la sérigraphie, accueille dans sa galerie (…) les estampes d’Ivan Messac : sérigraphies, linogravures, eaux fortes etc… couvrant toute la vie créative de l’artiste de 1969 à nos jours.
L’autorité, l’humour sarcastiques et le talent graphique de Messac s’étaient imposés dès 1972. Je me souviens de sa participation au 23e Salon de la Jeune Peinture, en octobre 1972. Il présentait des peintures et des sérigraphies de la série Minorité absolue sur le thème des indiens. Il travaillait d’après des photographies, avec de subtiles interventions sur la nature et la place de la couleur.
Messac réfléchissait beaucoup sur le rôle de la couleur dans les sociétés humaines, où le code de la route associe le bleu à « autorisé » et le rouge à « interdit » (« Étrange coïncidence qui veut que les rouges soient à gauche dans un milieu où le rouge est l’interdit ») ; quant aux indiens (« un bon Indien est un Indien mort » disait-on aux États-Unis vers 1870), maintenant simples survivants parqués dans des réserves, mythifiés et auxquels l’on consacre des musées, ne représentent-ils pas assez bien la situation de l’artiste dans notre civilisation industrielle ?
Gilbert Lascault remarquait alors qu’Ivan Messac a construit un champ « pour montrer la complexité des problèmes politiques et de la couleur et les interrogations hétérogènes qu’elle suscite ».
Le critique notait aussi qu’une locomotive, emblématique du triomphe de la technologie occidentale, traverse le corps de Géronimo : elle va pouvoir pénétrer et détruire le territoire indien. Parfois, concluait Lascault, « Messac se contente de juxtaposer les chevaux et la voiture, le geste de la tisseuse et l’énorme machine moderne : à chacun de retrouver en lui-même le conflit du sauvage et du technocratique ; à chacun de ne pas concilier ses oppositions internes en un confort qui ne favorise que l’ordre établi ».
Après les Indiens, viendront par exemple les Enfants polychromes (présents à l’exposition), et j’observerai que cette série de sept sérigraphies dressait un nouvel inventaire des moyens spécifiques du peintre pour donner sens à une unique image originelle représentant un groupe d’enfants alignés sur leurs pots dans une école maternelle (une circulaire ministérielle venait de préciser fort sérieusement que les enfants iraient sur le pot chaque matin à onze heures précises).
Un spectre de sept couleurs se déployait sur la série. Chaque feuille présentait le groupe d’enfants d’une couleur différente, les autres intervenant comme un repère que côtoyait le contrepoint noir d’une image subsidiaire (mais jamais indifférente : un troupeau de moutons par exemple). Le système pictural déployé par Messac au long de cette série était fait de franchise ; la violence et l’ironie, tour à tour s’installaient pour faire place à la clarté du sens. Et par la suite ? Ce fut la même chose, avec une brillante capacité de renouvellement qu’il faudra aller découvrir au Garage.
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau