Angelique vit et travaille à Paris.
Née en 1957 en France dans l’Aube, Angélique, après une licence de lettres modernes, entreprend une formation dans le domaine du textile et du vêtement.
Elle travaille chez différents couturiers jusque 1990, date à laquelle elle commence ses sculptures d’organdi.
La technique utilisée emprunte au couturier, au sculpteur, au chirurgien… Blanches, translucides ou transparentes, les sculptures d’Angélique sont travaillées dans la délicatesse des matériaux, qu’il s’agisse d’organdi (fine trame de coton), de résine polymère ou de PET en minces plaques thermoformables.
L’ange blanc
CRS = SS : “nous passions, repassions sous leur nez, les narguions, invulnérables puisqu’ils n’avaient pas le droit de nous toucher …” Claude Mauriac dans “Le temps immobile” les excuse:“ ils avaient fait preuve d’une grande patience” écrivait-il.
Personnages ambigus, corps instrumentalisés au service de l’Etat, les CRS exercent un métier hybride entre le policier et le soldat. Dans le métro, les gares ou les rues de paris, ils se promènent en groupe ; pour les émeutes, ils forment un cordon infranchissable.
Leur pistolet, leur bouclier, leur matraque donnent froid dans le dos ; leur mot d’ordre : obéir ! “ ils disparaîtront” disent certains membres de la police. Une haine culturelle entoure ce personnage au statut ambigu. Face aux CRS , des sentiments contradictoires s’entremêlent.
Angélique l’extrait de la masse sociale, du clan. Elle ne garde qu’un individu CRS, debout, seul, puissant, merveilleux, transparent, magnifique d’apparence et d’apparat, immaculé et jeune comme une évidence.
Sa présence apollinienne interfère dans la dialectique de l’ordre et du désordre. Sa dimension mythologique renoue avec la tradition et avec la naissance de la démocratie.
Comment donc serez-vous capables d’apaiser tant de désordre et d’y mettre fin? demande le commissaire du peuple aux athéniens. Lysistrata répond “Lorsque nos écheveaux sont entremêlés, nous prenons le fil par ce bout-ci , nous le dégageons, fuseau par-ci, fuseau par là : c’est comme ça que nous dénouerons cette guerre, si on nous laisse faire : ambassade par-ci, ambassade par là ”.
La mémoire de ce geste ancestral perdure dans la pratique d’Angélique. Pendant quatre ans, ainsi qu’une prêtresse, vêtue de sa toge blanche (son tablier), avec une indicible patience, elle érige son CRS de fils, tissus et coutures, rappelant les Athéniennes tissant le péplum, symbole de paix entre les cités. Il n’y a que dans l’art et dans les prières que l’histoire réponde au mythe et que le mythe raisonne dans l’histoire.
Le “Danseur de hip-hop”, la “Rappeuse”, la “Lolita aux percings”, la “Jeune fille au MP3”, par leur traitement en organdi blanc, Angélique focalise nos regards sur ces figures marginales que nous croisons dans les rues. Ainsi traite t’elle aussi le CRS : pleine lumière sur cet autre figure archétypale de notre société. Transformé en mémoire vivante, selon les lois de la beauté et de l’harmonie, nimbé de magie, l’ange haï des rues réapparait transfiguré, âpprêté, solennisé, telle la fraise blanche mettant en lumière le visage légendaire de la reine Marie de Médicis ou du roi Henri IV. Si l’on voit au travers du CRS, on, ne voit ni son cœur, ni son âme. Ainsi restons nous une fois de plus, énigmatiquement, à la surface des choses de l’uniforme, du corps, sauf qu’il nous est impossible de nier la profondeur, derrière la fragile carapace. La réputation agressive du personnage se perd dans sa transposition visionnaire. En nouant son histoire aux fils de l’histoire et en donnant à voir jusqu’à la plus petite pièce de son équipement, l’artiste s’engage politiquement à travers ce matériau spectral dont la légèreté évanescente semble descendre de son rêve en blancheur et transparence. Sa conscience humaniste comme celle de Delacroix, de Géricault, de Picasso, comme celle de Jean-François Millet et des Athéniennes tissant la tuique de pallas, crée son sublime ex-veto : l’Ange blanc.
Ieana Cornea