Depuis une vingtaine d’années, c’est un rituel auquel Josef Nadj ne déroge jamais. A chacun de ses retours en Pannonie, dans le nord de la Voïvodine, il part arpenter sa région natale au volant d’un 4X4 russe hors d’âge, un Nikon posé sur le siège passager. Là, il photographie “dans un état de présence au monde qui s’accorde à la sensibilité des lieux, la conscience entièrement absorbée dans la contemplation de la nature et de l’instant pur”.
Nadj photographie des paysages : des champs, des fleuves, des étendues sauvages ou cultivées, des plateaux désertiques, des herbes hautes. Et il photographie aussi toujours, à coup sûr, des fermes isolées, délabrées, laissées à l’abandon dans les vastes plaines de ce “triangle de la région qu’on appelle le coin des tempêtes”.
Des paysages intérieurs, cette fois.
De ces bâtiments amoindris, pétrifiés, dispersés un peu partout en rase campagne, dans les étendues étales de la Voïvodine, les occupants se sont absentés – ils ont disparu sans laisser d’adresse. Aujourd’hui, ces édifices ouverts à tous les vents sont des reliques démunies, disloquées, silencieuses, des sculptures primitives en voie de dissolution, terre battue et paille déjà prises dans la végétation, bientôt rendues à la terre, au temps de la nature.
À l’intérieur, sur les murs épuisés, s’agencent pigments de craie, strates d’argile et de chaux, lézardes obliques, photos de famille fanées, arabesques de couleurs pâlies par les années, pendules au temps suspendu…
De ces œuvres collectives où se superposent agents naturels et matériau temporel, Josef Nadj a saisi toute la picturalité. Ces motifs aux multiples variations suivent les mouvements de l’Histoire de l’art contemporain, du dripping de Jackson Pollock aux Delocazione de Claudio Parmiggiani… Nadj dessine au passage une métaphysique des lieux et une dramaturgie de l’absence qui suivent la trace laissée par le passage des hommes dans le labyrinthe de la mémoire et du temps.
Jean-François Ducrocq
Informations pratiques :
Entrée libre.