Double jeu
On connaît les couples d’artistes. Parfois ce sont de deux créateurs développant chacun une œuvre personnelle. Il peut s’agir également de deux artistes en couple se consacrant à une œuvre commune: Anne et Patrick Poirier par exemple.
On connaît également les groupes ayant produit une œuvre collective, je pense notamment à la coopérative des Malassis avec Cueco, Fleury, Parré, Tisserand dans le années soixante dix.
Bernard Dreyfuss et Claude Pougny se sont rencontrés à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts à Paris en 1965. Quelques années plus tard ils s’engagent dans une expérience artistique étonnante. Ce qui pouvait être le travail d’un groupe de peintres devient une aventure particulière: une œuvre bicéphale. Sur un point de départ qui pourrait paraître anecdotique (le bol !), Objectal se sert de cet objet quotidien pour «explorer le monde de la représentation sous toutes ses formes, de l’abstraction à la figuration». Les deux artistes qui ne font qu’un jouent avec les mots «A deux c’est mieux», « Parcours singulier pour un duo» «Il y a plus d’esprit dans deux têtes que dans une»…
Double Je
Cette configuration pour laquelle je ne vois pas immédiatement de référence possible, pose la question de l’identité de l’œuvre.La notion d’auteur est certes soumise à la question dans ce travail de peinture. Car si une œuvre à deux n’est pas sans comparaison dans des œuvres d’installations ou de performances (Les Poirier, Gilbert and George), dans la peinture une œuvre unique à deux reste un cas…unique.Bernard Dreyfuss et Claude Pougny ont ils dilué leur personnalité propre dans leurs tableaux ?
Ont-ils juxtaposé leur «Je» dans ce double jeu?
Les artistes de la Figuration narrative, génération à laquelle appartiennent ces deux peintres, aimaient souvent structurer leurs toiles sur des divisions juxtaposant des scènes, des sujets mis en concurrence, voire en conflit.
Objectal se sert parfois de cette méthode pour donner à leur création double cette confrontation des «Je».
Cette situation échappe ainsi résolument aux comparaisons des expériences collectives déjà évoquées.
Lorsque Aillaud, Arroyo, Récalcati fondaient leur pratique dans « Vivre ou laisser mourir, la fin tragique de Marcel Duchamp », la démarche était soudée par un projet artistique ponctuel.
Double tranchant
La notion de création, d’identité, d’auteur serait donc le sujet spécifique de cette oeuvre née dans une posture qui en elle-même est une oeuvre. Cette situation enrichissante est à double tranchant : l’histoire retiendra-t-elle les noms de Bernard Dreyfuss et Claude Pougny ? Les artistes se sont eux-mêmes condamnés à la peine suprême : leur disparition dans une entité qui les dépasse et les engloutit dans leur propre invention.
Chronique du chapeau noir