La lettre hebdomadairede Jean-Luc Chalumeau
Bernard Philippeaux, le pop critique
En 2005, Bernard Philippeaux semble avoir peint une toile carrée de 60 cm de côté d’une belle couleur mauve : un monochrome. Mais il prolonge le tableau dans le sens de la longueur de 30 cm et il peint sur le rectangle additionnel une non moins jolie couleur jaune. Cela devient-il un double monochrome, ou plutôt une subtile construction plastique dans l’esprit de Barnett Newman, moins le zip ? Mais il ne faut pas conjecturer avant de se rapprocher de l’œuvre : en effet, au centre de la plage jaune on peut lire une inscription soigneusement calligraphiée : « + 50 % gratuit ». Il n’y a plus qu’à rire ou sourire (on ne s’étonnera pas de ce que Philippeaux est, comme sa peinture, lui-même un pince-sans-rire) et se réjouir, peut-être, du dynamitage de la société consumériste à laquelle s’attaque ce musicien devenu peintre avec une inventivité déconcertante, mêlant les images et les mots – les jeux de mots (« beurre de missel »…) Ceux qui ont manqué sa grande exposition à la Villa Tamaris-Centre d’Art de la Seyne-sur-Mer en 2010 peuvent se rattraper en allant voir (jusqu’au 8 décembre) celle que lui consacre aujourd’hui Michel Dubois dans sa galerie Le Garage à Orléans.
Le tableau intitulé 50 % gratuit n’y figure pas, mais on voit des Babie’s Toys et des Babies’s Tank, des God-Dog et des bovins qu’il affectionne particulièrement. Tout cela est assaisonné avec une sauce où l’on repère du surréalisme (celui de Magritte), une pointe d’esprit dada (celui de Robert Rauschenberg) et une forte dose de pop. Non pas le pop américain, mais le pop critique européen, celui de Télémaque, Monory et Rancillac qui s’illustra dans les années 60 et que Bernard Philippeaux récupéra à partir de 2001, date à laquelle il décida de se consacrer à la peinture après une formation autodidacte et chaotique où se mêlèrent d’abord Picasso, Van Gogh, Magritte et Gauguin, Duchamp et Picabia, puis les plus pop parmi les peintres de la Figuration narrative. En 2005, dans une lettre qu’il devait rendre publique dans le catalogue de la Villa Tamaris, il m’annonçait des tableaux sur le thème de la « calligraphie contemporaine des marques mondialement connues Nike, Adidas… des sigles de réglementations recyclage, recyclé, inflammable, irritable… des symboles, comme le Centre Pompidou, musée du XXe, ces calligraphies rentrent dans notre champ visuel et ont la reconnaissance universelle comme les notes de musique. »
Sept ans plus tard, il a accompli son programme, et cela donne des peintures d’une étonnante efficacité. On ne les décrit pas, parce qu’il faut littéralement les lire. Comme l’écrit si bien Pierre Tilman : « Bernard Philippeaux fait une peinture qui se lit. Dans un monde qui se lit. Parce que nous vivons dans un monde qui se lit, et nous ne faisons que ça, toute la journée, sans même nous en rendre compte, lire, lire et relire… » Alors il faut bien qu’un peintre nous apprenne à lire au deuxième ou troisième degré, avant que nous ne sombrions dans l’abrutissement. Philippeaux s’est donné pour mission de nous réveiller, peut-être de nous guérir, s’il est vrai comme l’observe Tilman que « cette société qui affiche son bien être à la face du monde entier est basée sur le mal être. » Bernard Philippeaux concluait sa lettre avec précaution : « Je pense être aussi influencé par l’esprit pop dans mon travail, avec il me semble, un esprit pop, peut-être Pop critique. Sous toute réserve. »
Pas de réserve : s’il existe aujourd’hui une peinture pop pleinement, radicalement critique, c’est celle de Philippeaux. À consommer sans aucune précaution.
( www.galerielegarage.net)