Sculpture, céramique, artiste permanente de la Galerie Capazza depuis 1997.

Terres heureuses

« Two Bellies » épanouies et sgrafitées, entre fertilité assouvie et coloquinte transfigurée… vont ensemble en se tournant le dos : siamoises ou gémellaires, symétriques et complices mais néanmoins opposées…

L’œil soupèse le poids. Le regard détecte le risque de soudaine rotation. La connaissance s’intrigue de cette terre mise en sphère sans avoir été assujettie au tourne main. La mémoire se réjouit de la partition noir/blanc et retrouve dans les tracés la volupté aérienne des lourdes pivoines blanches. L’esprit se risque à rapprocher l’Afrique par la forme et la Chine par le décor… tandis que la main suit la courbe épanouie et doucement grumeleuse de la peau noire jusqu’à palper le nombril…

Le contexte leur transfuse – malgré elles ? – un supplément de sens, comme ici à Nantes. Dans la capitale ligérienne, l’emprunt du motif fut de règle pour développer et faire prospérer les célèbres manufactures d’Indiennes. Curieux moment d’une civilisation qui s’enrichit des décors tropicaux, se pâma devant la magie des plantes et des animaux exotiques et mis trois siècles, quinze générations, à reconnaître l’existence des Hommes d’Afrique et encore dût-elle pour y parvenir passer par le détour de l’art et quelques demoiselles d’une rue de Barcelone…

Qu’elles soient les unités d’une série ou la pièce unique d’une intention, de multiples créations de Daphné Corregan nous proviennent de ses Afrique, de ses « Expressions d’Afrique » ! Pichets girafes aux épaisseurs colorées selon des motifs primitifs; vases à double paroi; totem jouant sur la symbolique phallique dynamisant l’objet usuel; terres noires et brutes, percées et scarifiées; forme animalière noire fièrement dressée pour entrer en conversation avec la géométrie assurée d’une pièce précieusement vêtue d’un décor flamboyant digne de l’ébéniste ordinaire de la couronne, créateur du mobilier Louis XVI, Jean-Henri Riesner : décalages, déplacements, métissages, fusions, sont les matériaux simples d’une matière ancestrale que Daphné Corregan place au carrefour des cultures pour en tirer une joyeuse sophistication ».

Dominique Amouroux
Extrait du catalogue Daphné Corregan, Editions Galerie Capazza, 2013

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