Laïus pour P. B-J.
Paul Bonnin-Jusserand vit et travaille dans une dystopie.
La sienne est réelle, physique, subie, inéluctable.
Elle n’est pas imaginaire, n’est pas d’ordre social, politique ou idéologique, un récit d’anticipation, d’une utopie du futur qui aurait mal tourné et viré au cauchemar.
Elle est vécue, corporelle, vraie, quotidienne, avérée et clinique, irréversible et implacable.
P. B-J. vit et travaille sur la même planète que la nôtre, mais non dans le même monde. C’est pourquoi son travail traite tant de la forme que de l’informe, de la malformation et de la transformation.
Et pourquoi ce jeune artiste évoque très tôt ses lectures et son goût pour la science-fiction, ce genre qui est au fond un oxymore, une figure qui réconcilie deux sens contradictoires, sans contrariété, pour en forger un autre sens par alliage, comme le clair obscur du Caravage pour signifier le maniement de l’opposition des lumières et des ombres.
De la science-fiction, P. B-J. parvient très vite à la mythologie grecque antique.
Là, P. B-J. se revendique de la figure tutélaire d’Héphaïstos, dieu infirme et boiteux malheureux en amour, époux fidèle d’Aphrodite qui, elle, trop belle, ne lui sera jamais juste ou fidèle en échange ; mais surtout Héphaïstos le dieu du feu, le forgeron inventif, l’artisan/artiste génial et habile qui de ses mains crée le bouclier d’Achille et y représente le cosmos et le monde, des hommes et des femmes, des animaux, des végétaux et même des dieux, dans des scènes de guerre et de paix, de vie urbaine et de vie pastorale.
P. B-J. pourrait également se revendiquer de Dédale, l’architecte, ingénieur et sculpteur qui, avec Héphaïstos, est un lointain précurseur du nouveau Prométhée de Mary Shelley et du prescient Paul Atréides de Frank Herbert, rendu presqu’immortel, immunisé contre toute maladie, et enfin déifié par les hommes.
De même, tous les protocoles de détournement, de perturbation, de brouillage et de parasitage de P. B-J. finissent par faire penser aux Métamorphoses d’Ovide, l’épopée manifeste qui réécrit une vision du monde depuis le chaos des débuts.
Dans son travail d’artiste, P. B-J. aborde sa situation et non sa condition, avec candeur, franchise, tact et pudeur.
Sa situation n’est pas de son fait, mais il en paie les frais.
Et il fait avec, littéralement, son travail se déplaçant dans les styles, les techniques, les outils et les matériaux.
En cela, le travail se situe très près de l’origine des choses et d’une des raisons primaires et primales de la création artistique : s’en sortir.
Antonio Guzmán