Parmi mes lectures, je suis tombée sur un rapport extrêmement intéressant intitulé
« Equipements culturels structurants
– Quel impact territorial ?
– Comment en maximiser les effets ? »
Cette lecture fait écho à l’article tout juste publié de Sammy Engramer « Tomates-Salade-Oignon » et l’intervention de Philippe Henry lors de la Restitution des États-Généraux de la Culture en Région Centre-Val de Loire qui s’est tenue le 14 mars à Orléans. Philippe Henry*, lors de sa brève allocution, pointait :
- La difficulté liée à toute volonté de coopération : il est plus difficile de chercher à construire des projets de manière collégiale que de les mener de façon autoritaire
- La responsabilité que les structures les plus fortes devraient assumer : si les petites structures ont besoin de soutiens et d’appui, les structures les plus importantes souhaitent-elles s’ouvrir à la collaboration ?
- La langue de bois et les effets d’annonce vains : la coopération ne repose pas sur des mots, mais sur des faits et des actes, qui peuvent être difficiles et éprouvants à mener de façon satisfaisante pour toutes les parties en présence.
Le rapport cité en titre est une synthèse, d’après deux études commandées par le ministère de la culture et de la communication, réalisée par Jean-Michel Tobelem, Jean-Luce Pouts et Fabrice Thuriot. Il repose sur le constat suivant :
Les politiques territoriales de la culture accordent une place importante aux notions de « réseaux », de « tête de réseau » ou encore de « structures ressources ». Ces notions concernent directement le rapport entre fonction de « proximité » et fonction « structurante ». C’est ainsi que l’on a pu constater l’apparition du terme « équipements structurants » dont l’indéfinition relative posait question. Ce vocable est souvent utilisé par les responsables politiques et techniques de l’Etat et des collectivités territoriales, ainsi que par les acteurs culturels eux-mêmes. Pour autant, cette notion semble recouvrir des notions diverses et variées, ce qui ne permet pas de partager une définition concrète et opératoire.
Cette inflation de la notion » structurant » est contemporaine des questions soulevées par la décentralisation sur la répartition des charges du développement culturel territorial. En effet
À tous les niveaux de responsabilité, on cherche à structurer l’intervention publique en tentant de distinguer notamment les qualités des projets et des établissements culturels. […] Les Régions sont toujours plus nombreuses à souhaiter la « territorialisation » de leur politique culturelle. Avec des conceptions souvent très diverses de cette territorialisation, toutes procèdent cependant de l’idée de soutenir, sur chaque territoire, un ou plusieurs établissements montrant des qualités « structurantes ». […] À l’évidence, beaucoup de ces structures s’engagent à « rayonner » sur leur territoire en « délocalisant » une partie de leurs actions et spectacles. […] Les notions de « maillage », de « territorialisation » ou encore d’ « organisation des politique culturelles » évoluent dans cette intime relation qu’elle entretiennent avec la notion « structurants », terme que l’on détecte de manière systématique. Mais cette notion est-elle suffisamment définie pour être opératoire ? Parle-t-on bien des mêmes choses en l’utilisant ? Un équipement peut-il être structurant en lui- même ? À quelles conditions un établissement culturel pourrait-il obtenir des qualités structurantes pour son territoire ?
Cet adjectif : « structurant » est mobilisée selon les auteurs pour l’attribution d’aides publiques ET pour le développement territorial. Elle sert même, je pense, à fusionner totalement les deux, dans un maillage de façade cachant une mégalopolisation de l’art et de la culture.
Il est utilisé pour cibler dans les faits l’action publique pour la culture, puisqu’il sous-tend la définition de critères d’éligibilité à des aides publiques en induisant, sans pour autant les définir, des missions de développement des institutions culturelles. Les « vaisseaux amiraux » de la culture auraient-ils un « effet levier » ou perdraient-ils à tout jamais dans leurs lointains sillages les pédalos de la culture ? Est-ce LA réponse à apporter au besoin de structuration des acteurs et des actions « devant la difficulté de certains territoires à mobiliser suffisamment de moyens pour l’action culturelle ».
S’il existe « une relation directe entre une répartition harmonieuse de l’offre culturelle et le fait que des établissements culturels acquièrent une vocation d’organisation de cette offre », nous ne pouvons pas reporter « la définition de la notion de « fonction structurante » ».
Certains projets assureraient, à une échelle définie, un rôle déterminant, soit dans un secteur culturel en particulier, soit dans un territoire donné, soit dans les deux.
Comment les identifier ?
Un peu d’histoire
La terminologie « équipements structurants » a commencé d’être utilisée, sans être véritablement définie, par le ministère de la culture dans les contrats de plan Etat-Région (devenus depuis les contrats de projet), puis dans le Schéma de services collectifs culturels, à la suite des travaux de la DATAR, souvent par opposition aux équipements de proximité.
Un peu de « pôle »
Les équipements structurants renvoient explicitement aux notions de pôle(s), « fondés sur l’existence d’une spécificité ou d’une vocation à conforter et rassembler diverses fonctions d’ordre culturel, voire économique : création, recherche, diffusion, formation, industries culturelles », de rayonnement (national ou international) et implicitement à celles de reconnaissance, de taille et d’impact territorial.
Sur un autre registre, il peut également s’agir de « structures de coordination et de développement », constituant des « centres de ressources pour les acteurs publics, les professionnels ou les amateurs » et renforçant l’impact et la cohérence de l’action culturelle en resserrant les partenariats entre l’État et les collectivités territoriales.
Une adaptation aux champs d’intervention ?
Selon le schéma institué par décret le 18 avril 2002, il s’agit de structurer le développement culturel par des organismes d’une ampleur adaptée à leur champ d’intervention.
Dans une perspective d’aménagement et de développement (culturel, économique, social) du territoire, d’abord, les différents aspects d’un équipement ou d’un projet, trop souvent isolés les uns des autres, doivent être traités globalement, dans leur ensemble.
De ce point de vue, dans les contrats de plan État/Région, comme dans les documents uniques de programmation des fonds structurels, les équipements ne sont considérés comme « structurants » que s’ils participent au développement et à l’aménagement du territoire.
De multiples dimensions
Partant d’objectifs multiples, la notion ne se limite donc pas à la seule dimension culturelle, mais vise un développement intégré, liant l’économique et le social, ainsi que l’environnement, au moins en théorie. Pour autant, les dimensions économiques et sociales ne sont pas premières, s’agissant avant tout de structures culturelles de haut niveau.
De la région au local ?
De plus, cette structuration se décline au premier chef au niveau régional et progressivement, par la présence de plus en plus visible de ces équipements dans leur environnement local (portes ouvertes, spectacles, participation à des festivals, tournées régionales, formation d’artistes de la région…). Autre registre mobilisé pour l’approche de ces équipements structurants, la notion d’équipements « innovants », tels ceux qui visent à mieux coordonner les fonctions de plusieurs équipements, tels que des FRAC, des centres d’art, des musées et des écoles d’art, tout en préservant l’autonomie de chaque organisme.
Une telle approche n’est pas sans lien avec la notion de « mise en réseau », participant de la structuration d’ensembles culturels, à même de développer leur impact économique, social ou territorial, et non pas seulement dans leurs champs artistiques ou culturels.
Un impact à long terme ?
C’est donc bien au plan d’un impact à long terme que les effets structurants sont placés, même si les relations de cause à effet doivent être considérées avec circonspection, compte tenu de la complexité et de l’étendue possible des impacts économiques (y compris touristiques) et sociaux (y compris éducatifs). Les équipements sont associés à des actions multiformes dont ils ne sont pas toujours les initiateurs, mais les partenaires. Les retombées des actions culturelles dépendent également des volontés locales et d’évolutions socio-économiques de long terme qu’il n’est pas toujours possible d’anticiper. Enfin, on ne saurait oublier, ni négliger – comme facteur de réussite – la notoriété des responsables d’équipements eux-mêmes.
Les auteurs nous livrent la définition suivante :
À l’issue de l’enquête exploratoire, pouvait être considéré comme « structurant » : un projet culturel qui exerce un important effet sur son environnement, du point de vue économique (y compris touristique) et social (y compris éducatif), de la mobilisation des acteurs locaux et/ou de la valorisation de l’image du territoire concerné et – d’un point de vue général – sur la dynamique du développement local.
Selon ce rapport, la volonté d’instituer des structures régionales qui irrigueraient de leur aura d’excellence tous les territoires s’avère donc vouée à l’échec, puisque le développement ne peut être que local. Il suppose aussi une VOLONTÉ de structurer, plutôt que de se satisfaire de sa position prédominante. Ce qui est mis également en avant par les auteurs :
Globalement, le dynamisme et le rayonnement des équipements paraissent dépendre de plusieurs facteurs : l’impulsion donnée par la direction de l’établissement, la qualité des équipes, les moyens disponibles et la prise en compte des données relatives au territoire, sans oublier les possibilités offertes par le mode de gestion et la façon dont on peut l’utiliser au profit d’autres projets ou structures (cf. la notion de centre de ressources) de même que les possibilités similaires offertes par les autres structures du territoire.
Les limites pointées par Philippe Henry sont là aussi clairement formulées :
[…] les coopérations entre équipements ou structures constituent souvent un moyen déterminant pour multiplier les effets de leurs actions ; certes consommatrices de temps et d’énergie, ces coopérations confortent l’utilité de chaque structure et n’apparaissent en tout cas pas contradictoires avec l’affirmation d’autonomie ou d’indépendance des structures.
Les auteurs enregistrent à propos de la pérennité du rayonnement, à plus long terme « la diminution de l’attractivité des équipements dans le temps, souvent observée après un effet initial » et ils indiquent qu’elle « peut être palliée par une politique active d’animation et de renouvellement de l’offre, ainsi que par des actions en matière de promotion, de commercialisation et de communication ».
Pour conclure, une petite phrase que j’espère non prédictive : les équipements-phares, en tant que réponse standardisée que privilégient les stratégies urbaines, risquent de détourner l’attention des véritables ressorts du développement, en particulier pour les autres types de territoires.
Bonne lecture de ce rapport, accessible en haut de cet article, et bonne suite
Sandra Émonet
* Chercheur en socio économie de la culture, Maître de conférences HDR retraité de l’Université Paris 8 – Saint-Denis. Auteur de Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle, Éditions de l’Attribut, coll. « La culture en questions », 2014, 256 p., ISBN : 978-2-916002-28-6. Pour lire un résumé : Céline Fèvres-Limonet, « Philippe Henry, Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2014, mis en ligne le 09 juillet 2014, consulté le 24 mars 2017. URL : http://lectures.revues.org/15131